Assouplissement du dispositif anticoncentration dans les médias aux Etats-Unis

Le cadre législatif hérité de 1974 et entré en vigueur en janvier 1975 interdit, aux États-Unis, à un groupe de médias de posséder sur une même zone géographique à la fois un journal et un média audiovisuel, station de radio ou de télévision. Ce dispositif anti-concentration, qui visait notamment à garantir la pluralité de l’information locale, vient d’être remis partiellement en question par la Federal Communications Commission (FCC), l’instance de régulation des médias.

La FCC, dont le comité directeur est composé de cinq membres depuis 1984, a ainsi autorisé, le 18 décembre 2007, les participations croisées entre journaux et médias audiovisuels dans les vingt premières agglomérations aux Etats-Unis, soit 43 % des lecteurs ou téléspectateurs du pays, à condition que ces agglomérations comptent au minimum huit médias. Les participations croisées, jusqu’ici autorisées à titre dérogatoire, le groupe News Corp. possédant par exemple des chaînes locales à New York et le New York Post, ou tolérées pour celles qui étaient déjà effectives avant 1974, devraient permettre à la presse quotidienne américaine, essentiellement régionale, d’être intégrée dans de grands groupes de médias et de profiter ainsi de synergies nouvelles avec les médias audiovisuels.

Cette décision, votée par les trois membres républicains du comité directeur de la FCC et dénoncée par les deux membres démocrates de la FCC, soulève de nombreuses interrogations. La première d’entre elles porte sur l’avenir économique de la presse quotidienne aux Etats-Unis, à l’heure où la concurrence d’Internet et la baisse des recettes publicitaires fragilisent la plupart des journaux américains. Kevin Martin, le président républicain de la FCC, souligne à cet égard que plus de 300 journaux ont disparu aux Etats-Unis ces trente dernières années, indice selon lui d’une évolution du marché des médias et d’une nécessaire adaptation de la réglementation au nouveau contexte concurrentiel pour permettre à la presse quotidienne de survivre. L’autorisation des participations croisées devrait, selon Kevin Martin, « aider à arrêter l’érosion de la couverture des actualités locales en autorisant les entreprises à mutualiser leurs coûts à travers leurs différents supports » et simultanément permettre à la presse de diversifier ses revenus en direction de l’audiovisuel.

La deuxième interrogation soulevée par cette autorisation porte sur son caractère « limité », l’interdiction des participations croisées restant valable en dehors des vingt principales agglomérations du pays. En effet, cette décision avantage les groupes présents sur les principaux marchés, où la concurrence est certes favorisée et le nombre de médias plus important. A l’inverse, les groupes spécialisés dans l’information locale sur les marchés moins importants sont de fait entravés dans leur développement, à l’instar du groupe Ganett, propriétaire de USA Today, de quotidiens régionaux et de chaînes locales, lequel est concerné au premier chef par la réglementation de 1974 sur certains marchés où il doit se débarrasser d’une partie de ses actifs. Le groupe a d’ailleurs dénoncé la décision de la FCC, non pas parce qu’elle autorise plus de concentration dans les médias, mais parce que cette autorisation est « limitée » aux principaux marchés et « ne tient pas compte des réalités du marché » de l’information locale hors des grandes agglomérations.

Cette critique n’est pas celle des opposants à la décision de la FCC, qui dénoncent un avantage accordé aux grands groupes de médias américains, Gannet y compris, mais surtout News Corp. ou encore le groupe Tribune. En effet, avec cette réforme, News Corp., qui vient d’acquérir le Wall Street Journal (voir le n° 4 de La revue européenne des médias, automne 2007), devrait pouvoir conserver ses chaînes de télévision new-yorkaises et le New York Post. De la même manière, cette décision devrait permettre au milliardaire Sam Zell, qui a finalisé le rachat du groupe Tribune le 20 décembre 2007 pour 8,2 milliards de dollars (voir le n° 2-3 de La revue européenne des médias, printemps-été 2007), de conserver ses chaînes de télévision et ses quotidiens sur plusieurs marchés à Chicago, Los Angeles ou New York, alors que les dérogations obtenues par le groupe Tribune n’étaient pas transférables en cas de changement de propriétaire.

Autant dire que l’avenir de la nouvelle réglementation soulève une troisième question, celle de sa pérennité. Va-t-elle conduire à multiplier les dérogations pour les groupes présents en dehors des vingt principaux marchés ? Va-t-elle au contraire être invalidée par ceux qui dénoncent les avantages accordés aux grands groupes de médias ? En effet, bien que les deux membres démocrates de la FCC se soient publiquement opposés à l’autorisation des participations croisées, soutenus par de nombreuses associations de consommateurs, vingt-cinq sénateurs, sur les cent sénateurs que compte le pays, ont d’ores et déjà prévenu Kevin Martin, le président de la FCC, qu’ils fe- raient voter une nouvelle loi révoquant l’assouplissement proposé par la FCC au gouvernement de George W. Bush. De son côté, le candidat à l’investiture démocrate Barack Obama a accusé la FCC de fragiliser les médias des minorités et d’avoir « placé les intérêts des grandes entreprises devant (celui) du peuple ».

Sources :

  • « Un projet vise à assouplir les règles anticoncentration aux Etats-Unis », Sylvain Cypel, Le Monde, 26 octobre 2007.
  • « Le débat sur les médias se radicalise aux Etats-Unis », Eric Chalmet, La Tribune, 21 novembre 2007.
  • « USA : le gouvernement autorise une plus grande concentration dans les médias », Laurence Benhamou, AFP, 18 décembre 2007.
  • « Les Etats-Unis lèvent un frein à la concentration », Eric Chalmet, La Tribune, 19 décembre 2007.
  • « Le milliardaire Sam Zell boucle son rachat du groupe de presse Tribune », AFP, 20 décembre 2007.

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