Plusieurs organisations dénoncent des atteintes portées à la liberté de la presse en Europe

« Pressions, menaces, intimidations, agressions, tentatives d’assassinats… », trois rapports respectivement publiés par l’association Reporters sans frontières (RSF), l’Association des journalistes européens (AEJ) et l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) décrivent les méfaits dont sont victimes des journalistes aujourd’hui en Europe.

Pour la première fois, l’organisation Reporters sans frontières a enquêté sur les atteintes portées à la liberté des journalistes dans l’exercice de leur profession au sein de l’Union européenne. D’emblée, RSF précise dans son rapport publié le 3 mai 2008 à l’occasion de la Journée internationale de la liberté de la presse que « la liberté de la presse est une réalité au sein de l’Union européenne. Aucun journaliste assassiné sur l’ordre d’un Etat, aucun emprisonné et la censure officielle a disparu ». Néanmoins, le cadre législatif dans lequel s’exerce la liberté de la presse est encore « perfectible », comme le démontrent les débats portant sur la question de la protection du secret des sources, y compris au sein du Parlement européen qui appelle de ses vœux une harmonisation des législations européennes calquée sur les plus favorables, parmi elles, à la liberté d’expression.

Des cas de violence se comptent pourtant par centaines dans toute l’Europe. En France, depuis les émeutes de novembre 2005, les journalistes qui nous informent sur la vie dans certaines banlieues des grandes villes sont agressés physiquement et leurs matériels de reportage volés. Les rédactions prennent aujourd’hui des précautions particulières avant d’envoyer leur équipe, en privilégiant notamment les reportages le matin. Au début des années 2000, c’était en Corse que les journalistes étaient jugés personna non grata. Une liste de noms indésirables était diffusée parmi les mouvements nationalistes. En octobre 2005, le chef du service économie du quotidien Le Parisien, Jean-Marc Plantade, a été menacé de mort au téléphone, ainsi que sa famille, pour avoir publié un article dans lequel il dénonçait de probables détournements d’argent effectués par des employés de la compagnie maritime corse SNCM. Au Danemark, les auteurs des caricatures de Mahomet et les journalistes sont menacés de mort par les fondamentalistes islamistes. En Espagne, l’organisation terroriste ETA pratique l’intimidation et nombre de journalistes travaillent sous la protection de la police. Le directeur du magazine Cambio 16, Gorka Landaburu, victime d’une tentative d’assassinat en 2001, a été grièvement blessé par l’explosion d’un colis piégé.

En Italie, les mafias de Naples, de Calabre, des Pouilles et de Sicile mènent des actions de représailles envers ceux qui enquêtent sur le crime organisé (pneus crevés, voitures rayées, lettres anonymes, agressions diverses) et les menacent du pire en les tenant sous surveillance. Lirio Abbate, correspondant à Palerme de l’agence de presse Ansa, qui vit sous la protection permanente de la police, explique : « Depuis dix ou quinze ans, les chefs mafieux ont changé. Ils ne sont plus des cultivateurs, des hommes de la terre. Aujourd’hui, ils sont docteurs, hommes politiques, ils ont reçu une bonne éducation. Ils savent à quel point l’information est importante et doit être manipulée. La violence n’est qu’une partie des pressions. Les journalistes peuvent aussi être corrompus et achetés ». Dire de quelqu’un qu’il appartient à la mafia est perçu comme un compliment, le danger se présente à partir du moment où le journaliste enquête sur ses activités. Fin janvier 2008, Giuseppe Maniaci, directeur de la chaîne de télévision locale anti-mafia Tele Jato installée dans le village de Partinico, près de Palerme (voir le n°4 de La revue européenne des médias, Automne 2007), a été sérieusement agressé par un jeune de la famille Vitale, le clan mafieux qui règne sur la ville, aidé par l’un de ses hommes. Désormais, deux carabinieri l’accompagnent dans ses déplacements. La situation est plus difficile en Calabre, les médias sont moins puissants qu’en Sicile, mais la mafia locale, la ‘Ndrangheta, est plus discrète et plus complexe. Selon Concetta Guido du quotidien Calabria, enquêter sur les activités mafieuses est « un luxe très risqué » que les journalistes locaux abandonnent volontiers aux envoyés spéciaux des rédactions nationales.

En Irlande du Nord, malgré une situation politique plus stable grâce à la formation d’un gouvernement régional rassemblant unionistes et républicains en 2007, des groupes dissidents des deux tendances s’en prennent aux journalistes enquêtant sur leurs activités. Ainsi, des délinquants liés au trafic de drogue et au racket, issus du mouvement loyaliste protestant, prodiguent des menaces de mort aux journalistes. Ceux-ci déplorent un manque de protection quasi-total de la police et du gouvernement à leur égard. Les assassins du journaliste d’investigation Martin O’Hagan, tué en 2001, courent toujours. En outre, des groupes dissidents issus de l’IRA (Armée républicaine irlandaise) sont aussi coupables d’agressions envers les journalistes. D’autres pays européens sont inscrits sur la liste noire, la Suède, la Bulgarie, la Hongrie, la République tchèque, la Roumanie et Chypre.

Intitulée « Goodbye to Media Freedom ? », l’étude réalisée par l’Association des journalistes européens (AEJ) a été présentée à Bruxelles en février 2008. Couvrant vingt pays d’Europe, elle conclut à une régression de la liberté des médias. Les abus sont nombreux : attaque du gouvernement contre l’indépendance des médias en Slovénie ; ingérences politiques particulièrement au sein de l’audiovisuel public en Croatie, Slovaquie, Pologne ou encore pressions publicitaires et concentration excessive dans les principaux médias en France et en Italie. Selon l’ex-correspondant étranger de la BBC, William Horsley, auteur du rapport, les gouvernements en Europe ont nettement tendance à exercer un contrôle serré de l’accès à l’information afin d’empêcher les critiques. Il ajoute que les médias eux-mêmes ainsi que les institutions européennes ont une part de responsabilité puisqu’ils sont trop lents à comprendre et à rendre compte du type de censure, de pressions et parfois même des violences physiques rencontrés par les journalistes, partout en Europe.

La commissaire européenne chargée de la Société de l’information et des médias, Viviane Reding, a proposé, pour évaluer le pluralisme des médias, une nouvelle méthode fondée sur une veille systématique. Une étude indépendante définissant des indicateurs d’évaluation du pluralisme dans les pays membres de l’Union européenne sera publiée en 2009.

L’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE), organisation non gouvernementale, a fêté ses dix ans en février 2008 : ce fut pour elle l’occasion de dresser un bilan de son « action de veille » de la liberté des médias menée auprès des 56 Etats signataires de la charte d’Helsinki datant de 1975. Ancien dissident hongrois, Miklós Haraszti, le représentant de l’OSCE, constate « une détérioration de la liberté des médias aussi bien à l’Ouest qu’à l’Est ». L’organisation se bat pour l’établissement et le respect des lois protégeant le secret des sources des journalistes ainsi que l’abolition de celles qui permettent d’emprisonner ces derniers pour diffamation.

Si les législations des pays européens protègent le plus souvent les journalistes de la peine d’emprisonnement, il n’en va pas de même partout ailleurs, comme le rappelle l’OSCE, avec cet exemple du directeur d’une publication biélorusse condamné à trois ans de prison pour avoir publié les caricatures de Mahomet parues dans un journal danois en 2005.

L’OSCE note néanmoins que des mesures liées à la sécurité intérieure des pays de l’Ouest contribuent parallèlement à réduire la liberté des médias : des journalistes font l’objet de pressions pour révéler leurs sources, à moins d’être menacés de poursuites judiciaires pour publication d’informations dites stratégiques. L’OSCE s’intéresse tout particulièrement à Internet, devenu partout dans le monde une source d’information tout à la fois répandue et « surcontrôlée ». Afin de mieux faire connaître au monde les atteintes portées à la liberté d’expression – « ce qui ne plaît pas aux gouvernements mais répond aux attentes des sociétés civiles », selon les propres termes de Miklós Haraszti – l’OSCE organise des formations pour les journalistes ainsi que des rencontres entre des représentants des gouvernements et de la société civile. Dans le même esprit de discussion et d’échange, l’OSCE a publié un Guide pratique de l’autorégulation des médias en 2008 (voir infra).

La situation européenne n’a rien de comparable avec celle des pays où la liberté de la presse n’est pas la règle. Selon l’organisation de défense des libertés de Washington, Freedom House, l’année 2007 est marquée par un net recul de la liberté de la presse au niveau mondial. L’Irak et la Somalie sont décrits comme les deux pays les plus violents au monde à l’égard des journalistes. L’exercice de cette profession est également jugé dangereux au Mexique, en Russie, aux Philippines, au Sri Lanka et au Pakistan. Un autre rapport présenté à l’ONU par le Comité pour la protection des journalistes, organisation indépendante non gouvernementale basée à New York, tire les mêmes conclusions alarmantes.

Un fait d’actualité récent illustre les conclusions de ces trois rapports. Reporters sans frontières a inauguré, le 12 mars 2008, sa deuxième Journée pour la liberté sur Internet. L’organisation a appris, dans la soirée du 11 mars 2008, que l’Unesco retirait son patronage à cette manifestation, accordé le 22 février 2008. L’agence pour l’éducation, la science et la culture des Nations unies a expliqué que, pour avoir accordé son patronage au « principe de cette journée », elle ne saurait pour autant s’associer aux différentes manifestations organisées à cette occasion.

Arabie saoudite, Biélorussie, Chine, Cuba, Egypte, Ethiopie, Iran, Ouzbékistan, Tunisie, Turkménistan, Vietnam et Zimbabwe… sont autant de pays, tous membres de l’Unesco, figurant sur la liste des quinze Etats « ennemis d’Internet » publiée sur le site de RSF le 10 mars 2008 au soir.

Sources :

  • « Journalists sound alarm over press freedom in Europe », euractiv.com, 4 march 2008.
  • « L’OSCE célèbre ses dix ans de défense de liberté des médias », Lauence Monnot, Le Monde, 5 mars 2008.
  • « Goodbye to Media Freedom ? AEJ presents update media survey », Philip Hunt and Maria Laura Franciosi, nujcec.org/brussels/, 2008.
  • « La liberté sur le Web doit se passer de l’Unesco », Raphaëlle Baillot, 20 Minutes, 13 mars 2008
  • « Union européenne. Des journalistes en danger », Enquête d’Olivier Basille, Jean-François Julliard, Glyn Roberts, Elsa Vidal avec l’aide de Silvia Benedetti et Marta Molina, RSF, rsf.org, mai 2008, 13 pages.
  • « Reporters sans frontières tire la sonnette d’alarme en Europe », Laurence Girard, Le Monde, 3 mai 2008.
  • « Journée de la liberté de la presse : RSF dresse une liste des points noirs en Europe », lemonde.fr, 3 mai 2008.
  • « Journalisme. La liberté de la presse en recul dans le monde en 2007 », La Croix, 5 mai 2008.
Ingénieur d’études à l’Université Paris 2 - IREC (Institut de recherche et d’études sur la communication)

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