Publicité ciblée et régies en ligne : quand le marché se structure

1. Communication en ligne : les enjeux de la publicité ciblée


2. Régies en ligne et carrefours d’audience : concentration et mutations des acteurs sur un marché publicitaire profondément bouleversé

La mobilisation massive des grands acteurs de la publicité et d’Internet autour des régies en ligne et des sites dits « communautaires » ou « sociaux », aux audiences formidables et aux utilisateurs bien identifiés, ne se comprend qu’à l’aune des évolutions de la communication publicitaire à l’heure numérique. La personnalisation du message publicitaire, la mesure d’impact de cette personnalisation, la capacité de s’adresser directement à un individu, selon le contexte, selon ses centres d’intérêt, n’importe où et à tout moment de la journée, mais en sachant où il se trouve, sont la clé des grandes manœuvres actuelles qui structurent progressivement en oligopole le marché de la publicité sur Internet.

1. Communication en ligne : les enjeux de la publicité ciblée


Internet : l’avenir de la publicité ?

Internet peut être considéré comme l’avenir de la publicité pour deux raisons principales. La première, la plus évidente, tient au fait qu’il attire des audiences grandissantes. En 2007, et pour la première fois en Europe, les jeunes de 16-24 ans ont passé plus de temps sur Internet qu’à regarder la télévision selon l’European Interactive Advertising Association,EIAA (voir le n° 5 de La revue européenne des médias, Hiver 2007-2008). Enfin, les possibilités offertes par Internet, tant à l’annonceur qu’au consommateur, révolutionnent la manière de communiquer, annonçant ainsi l’avènement d’une publicité d’un genre nouveau, ciblée, participative et non intrusive.

Internet offre aux consommateurs un pouvoir sans précédent face à l’annonceur. En effet, le développement des blogs, les forums, les messageries instantanées et les réseaux sociaux permettent aux internautes de partager leur avis sur les produits qu’ils apprécient ou détestent. Ce pouvoir prescripteur de l’internaute est d’autant plus important que les internautes les plus assidus font prioritairement confiance à l’avis des autres internautes et affichent, face à la communication des annonceurs, une forte publiphobie. C’est ce que montrent deux études Ipsos.

La première de ces études, un sondage effectué fin 2006, révèle que la force des commentaires en ligne repose essentiellement dans la perception positive qu’ont les internautes des jugements émis par des non-professionnels. Alors que l’avis de non-professionnels est spontanément valorisé dans les représentations collectives, les consommateurs en général et les internautes en particulier ont tendance à être sceptiques, voire à rejeter la communication traditionnelle des marques et les informations véhiculées par les médias. Ce phénomène se mesure sur les blogs et les forums de discussion qui traitent des produits de consommation. L’étude Ipsos révèle ainsi que 24 % des internautes européens font confiance aux blogs pour se renseigner sur les pro- duits et décider de leurs achats. Ce chiffre monte à 35 % en France, le pays d’Europe où le pouvoir de prescription des commentaires sur les blogs et les forums est le plus élevé. Par ailleurs, les gros consommateurs sur Internet, ceux qui dépensent plus de 145 euros par mois en ligne, font en moyenne confiance aux blogs pour leurs achats à hauteur de 30 %, ce chiffre s’élevant à 44 % en France, et jusqu’à 65 % en Italie. L’étude révèle également que les internautes enclins à acheter un pro-
duit après avoir lu un commentaire positif sont en moyenne 52 % en Europe, dont 62 % en France, 57 % en Grande-Bretagne, 56 % en Allemagne, 40 % en Italie et en Espagne, les deux pays étudiés où l’ancienneté d’utilisation d’Internet est la moins importante. En revanche, l’effet des commentaires négatifs sur les achats est moins marqué : seuls 34 % des internautes européens n’achètent pas un produit après avoir lu un commentaire négatif, ce chiffre montant toutefois à 45 % pour les gros acheteurs, donc aussi pour les gros utilisateurs d’Internet.

Face au pouvoir prescripteur des internautes, les marques ne peuvent pas compter sur leur communication traditionnelle, déclinée sur le Web, pour contrecarrer les possibles commentaires négatifs. Ainsi, l’étude annuelle « Publicité et société », publiée par l’agence Australie et réalisée par Ipsos, révèle, pour l’année 2007, que les grands utilisateurs d’Internet se déclarent publiphobes à 35 %, contre 23 % publiphiles. Ces mêmes internautes assidus sont très critiques à l’égard de la publicité en ligne, considérée à 94 % comme envahissante, à 77 % comme agressive, à 68 % comme banale et à 51 % comme dangereuse, un constat sévère que l’enquête attribue « au caractère intrusif et à la mauvaise qualité des créations publicitaires qui y sont diffusées ». Car c’est bien là tout l’enjeu de la communication en ligne pour les marques : aux méthodes publicitaires traditionnelles dites intrusives (coupures publicitaires, pop-up, insertion d’encarts), se substitue aujourd’hui une logique où l’annonceur doit obtenir l’autorisation du consommateur, au moins ne pas susciter un rejet qui se traduirait immédiatement en perte d’audience pour le site ou le service support de communication.

Publicité non intrusive, autorisation de l’internaute, impact de la prescription : ces contraintes imposent désormais aux annonceurs de repenser complètement leurs manières de communiquer. Il y a toutefois pour eux une contrepartie majeure : une communication à peu de frais et la possibilité, à terme, de publicités ciblées.

Buzz et publicité ciblée


Le buzz sur Internet, c’est-à-dire le bruit, l’essaimage des commentaires autour d’une marque et la circulation d’un spot, grâce notamment aux réseaux sociaux, aux sites d’échange de vidéos et aux messageries instantanées, devient aujourd’hui le nouvel eldorado de la communication publicitaire, baptisé « marketing viral ». En effet, il offre à la marque une campagne de communication à très peu de frais, relayée par les internautes, sans avoir à acheter d’espaces publicitaires en ligne. Aussi les nouveaux formats publicitaires se multiplient-ils a l’instar des clips vidéo lancés par les marques, souvent transformés par les internautes se les étant appropriés, qui circulent sur la toile pour leur caractère ludique tout en valorisant le produit mis en scène. Les marques traquent également les blogueurs les plus influents, ceux qui peuvent, par leurs commentaires, valoriser un produit ou le discréditer, ceux que les Anglo-Saxons appellent les trendsetters.

Ces nouvelles formes de communication, redoutablement efficaces, sont toutefois très difficilement maîtrisables par les annonceurs. Elles dépendent de la bonne volonté des internautes, d’effets de club impossibles à véritablement anticiper, autant de contraintes qui fragilisent les agences classiques et les régies traditionnelles.

Aussi les agences de communication spécialisées dans ces nouvelles formes de valorisation des marques en ligne fleurissent-elles, qu’il s’agisse d’identifier les internautes influents avec des agences comme Buzz Lemon, au nom significatif, MRM ou encore Heaven, qu’il s’agisse encore de mieux connaître les internautes pour s’assurer de leur fournir une publicité qu’ils accepteront. Car c’est finalement là tout l’enjeu des nouvelles formes de communication en ligne : pour être acceptée, efficace et relayée, une publicité ne doit être proposée à un internaute qu’une fois les désirs ou le profil de celui-ci clairement identifiés afin d’éviter au maximum la diffusion d’un message mal conçu et mal perçu. Loin d’être uniquement un développement supplémentaire dans l’art de convaincre, la publicité ciblée est donc également une obligation pour les annonceurs, imposée par les nouveaux comportements des internautes.

Publicité contextuelle et publicité comportementale

Les premières formes de publicité ciblée sur Internet ont été développées par Google dès 2000 avec l’invention des liens sponsorisés, un système permettant aux annonceurs d’apparaître sur les pages de résultats du moteur de recherche en fonction de la requête de l’internaute, ce qui augmente d’autant la pertinence de la publicité. Mais les moyens de cibler la communication sont nombreux : à côté des recherches de l’internaute (le search), qui permettent de déterminer le centre d’intérêt de l’internaute à un instant précis, il est également possible de suivre le parcours de l’internaute en ligne (le surf), les sites qu’il visite dressant un panorama de ses centres d’intérêts, autant d’informations que l’on peut compléter avec le recensement des publicités sur lesquelles l’internaute aura cliqué. Le développement des réseaux sociaux permet également, par le recoupement des communautés d’amis et des centres d’intérêt convergents, de toujours mieux connaître
les préoccupations de chaque internaute. Enfin, à ces opérations liées au comportement de l’internaute, s’ajoutent des données personnelles et sociodémographiques, qu’elles soient obtenues directement au- près de l’internaute, qui peut remplir des formulaires, ou par l’établissement de profils par des sociétés spécialisées.

La superposition de ces données permet aujourd’hui deux grands types de communication ciblée, avec à chaque fois une individualisation de la communication. La première est la publicité dite contextuelle, laquelle consiste à placer des liens sponsorisés ou des bandeaux sur un site en fonction des besoins exprimés momentanément par l’internaute. Ainsi, une requête dans un moteur de recherche indique précisément ce qui préoccupe l’internaute sur le moment. De la même manière, avec son service de messagerie Gmail, Google analyse automatiquement la prose de ses utilisateurs pour leur proposer des publicités liées au contenu de leurs e-mails reçus et envoyés.


La deuxième forme de publicité ciblée, plus récente, est la publicité dite comportementale. Yahoo! est la première société à avoir lancé une offre de ciblage comportemental en France, en octobre 2007, qui modélise les données récupérées sur chaque internaute pour en dessiner le profil type. Sont ainsi recensés les pages visitées par l’internaute, les clics effectués sur les publicités, les mots clés recherchés. En définitive, une fois ces informations synthétisées, l’internaute sera rangé parmi l’un des 43 profils types établis par Yahoo! et les publicités qui lui seront proposées seront adaptées en conséquence. Selon Christophe Parcot, directeur général de Yahoo! France, cité par CB News en novembre 2007, « les taux de clics des campagnes utilisant cette technique sont deux à trois fois supérieurs à ceux des campagnes utilisant le ciblage classique », c’est-à-dire l’insertion de publicité sur un site en fonction de son contenu. Reste aux régies utilisant le ciblage comportemental à ne pas effrayer les internautes quant à l’utilisation de leurs données personnelles, une manière diplomatique de dire que le ciblage comportemental se doit d’être le moins intrusif possible et d’éviter à tout prix à l’internaute une forme d’exposition non souhaitée de sa vie privée. A l’évidence, le ciblage comportemental favorise les réseaux sociaux, qui peuvent facilement, par les formulaires que leurs membres remplissent pour participer et les amis qu’ils fréquentent, déterminer le profil de leurs utilisateurs. Mais la procédure doit rester en grande partie inaperçue, ce qu’a pu constater à ses dépens le réseau social Facebook.

Le cas Facebook, les limites de la publicité ciblée et son avenir radieux


Lancée le 6 novembre 2007, l’offre de publicité ciblée du réseau social, baptisée Facebook Ads, a très rapidement suscité une levée de boucliers chez les 50 millions d’utilisateurs de la plate-forme.
Parmi les quatre solutions proposées aux annonceurs avec Facebook Ads, la première n’a pas soulevé de problèmes particuliers auprès des internautes. Baptisé « Pages », ce service permet aux entreprises de créer des pages personnelles sur le réseau social. Elles y présentent leurs activités et les internautes qui entrent en contact avec une société peuvent devenir ses « fans » sur le réseau, quand les relations entre particuliers sont des relations dites d’« amis ».

En revanche, les trois autres solutions publicitaires ont soulevé de nombreuses réticences chez les utilisateurs de Facebook. La solution « Insights » consiste à fournir aux sociétés les profils de leurs fans et de certains réseaux d’amis, ce qui permet d’envoyer des publicités ciblées auprès de communautés clairement identifiées. Déjà intrusive, cette solution l’est toutefois beaucoup moins que le couple « Social Ads »/« Beacon ». Avec « Social Ads », chaque visiteur de la page d’une entreprise sur Facebook voit immédiatement son réseau d’amis prévenu de cette première mise en relation commerciale, le réseau d’amis étant par ailleurs enregistré par l’entreprise comme cible publicitaire potentielle. Avec « Beacon », un pas est franchi : d’une simple application permettant de passer commande depuis Facebook sur des sites partenaires de commerce en ligne, comme eBay ou Blockbuster, le service avertit désormais le réseau d’amis des achats effectués par un de ses membres.

Pour Mark Zuckerberg, le fondateur de Facebook, « rien n’influence davantage les gens que des recommandations de personnes de confiance » – autant dire que « Beacon » a été présenté, à l’occasion de son lancement, comme la killer application de la publicité en ligne, permettant aux « marques de faire partie des conversations quotidiennes ». Mais l’effet communautaire prescriptif s’est finalement retourné contre le réseau social lui-même, ses utilisateurs dénonçant une atteinte à leur vie privée, immédiatement relayée par les associations de défense des droits des internautes. En définitive, Mark Zuckerberg a présenté ses excuses à ses utilisateurs dès le 5 décembre 2007, à peine un mois après le lancement de « Beacon », auquel une clause d’opt-in a été ajoutée, pour que seuls les internautes ayant explicitement autorisé la transmission des informations relatives à leurs achats soient concernés par le nouveau système publicitaire de Facebook.

Si le recul de Facebook peut s’interpréter comme un désaveu de la publicité ciblée par les internautes, reste que le processus de profilage et de communication individualisée est lancé sur Internet et qu’il va transformer progressivement la communication publicitaire classique en marketing direct. Ainsi, les liens sponsorisés accompagnant la correspondance privée des utilisateurs de Gmail, le service de messagerie de Google, n’ont pas fait fuir les internautes. Et la tendance se confirme, le premier réseau social au monde, MySpace, avec ses quelque 120 millions de membres actifs, a annoncé, fin 2007, le lancement d’une offre de publicité ciblée, baptisée « Self Serve », qui permet aux petites entreprises de cibler leur communication en fonction des données publiées par les utilisateurs sur leurs pages personnelles.


Enfin, concentrée pour l’instant sur les services de messagerie, les moteurs de recherche et les réseaux sociaux, où l’internaute « actif » laisse nécessairement des traces facilement exploitables, la publicité ciblée devrait s’étendre vers un nouvel eldorado, la publicité sur le téléphone mobile. En effet, l’Internet mobile permet de proposer des publicités ciblées comme aucun autre support : le téléphone mobile est personnel, valorisé en tant que tel ; il est géolocalisable, ce qui garantit une pertinence exceptionnelle de la communication, notamment pour les annonces locales ; enfin, il est universel. Alors que l’Internet haut débit reste concentré dans les pays développés, le téléphone mobile sera demain la porte d’entrée sur Internet pour de nombreux Indiens, Chinois, Africains, Sud-Américains, une manière pour les nouvelles régies en ligne et les plates-formes publicitaires d’étendre leur emprise à l’échelle mondiale. Reste toutefois que, partout dans le monde, la question de l’utilisation des données personnelles finira par se poser, et obligera les éditeurs à imaginer des solutions permettant de cibler la publicité tout en respectant le droit des internautes à la vie privée.


Sources :

  • « Les internautes ciblés selon leur comportement », R.M., La Tribune, 10 octobre 2007.
  • « Facebook dévoile sa recette pour gagner de l’argent », Laetitia Mailhes, Les Echos, 8 novembre 2007.
  • « Facebook, le nouvel ami de la pub », Astrid Girardeau, Libération, 13 novembre 2007.
  • « Les internautes deviennent publiphobes », Véronique Richebois, Les Echos, 15 novembre 2007.
  • « Marketing comportemental : souriez, vous êtes ciblés », Fatima Hazene et David Marquié, CB News, 19 novembre 2007.
  • « Facebook à l’assaut des agences de pub », Véronique Richebois, Le Figaro, 27 novembre 2007.
  • « Publicité : Facebook fait volte-face après les plaintes de ses utilisateurs », Glenn Chapman, AFP, 2 décembre 2007.
  • « Le PDG de Facebook présente ses pour son système publicitaire Beacon », AFP, 6 décembre 2007.
  • « La pub face à la nouvelle donne du Web 2.0 », Capucine Cousin, Les Echos, 14 décembre 2007.
  • « Publicité : le client sera roi », Laurence Girard, Le Monde, 23 décembre 2007.

 

2. Régies en ligne et carrefours d’audience : concentration et mutations des acteurs sur un marché publicitaire profondément bouleversé


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Un bilan publicitaire 2007 significatif


Le bilan publicitaire de l’année 2007 consacre, dans les pays développés, l’importance grandissante d’Internet. En France, les chiffres communiqués par TNS Media Intelligence sont sans appel. Bien qu’ils ne portent pas sur les recettes nettes des médias, mais sur leurs recettes brutes, c’est-à-dire le prix de vente facial des insertions publicitaires, ces chiffres donnent une indication précieuse quant à l’évolution des parts de marché des différents médias. Ainsi, en 2007, Internet a représenté à lui seul la moitié de la croissance des dépenses brutes des annonceurs, lesquelles ont augmenté de 6,2 % par rapport à 2006, alors même que le marché aurait dû être significativement tiré par les investissements à la télévision du fait de l’ouverture, au 1er janvier 2007, de la publicité pour la distribution sur les chaînes nationales de télévision diffusées par voie hertzienne analogique. Cette ouverture, qui a seulement permis aux chaînes nationales de ne pas enregistrer une baisse de leurs recettes publicitaires, a toutefois favorisé les chaînes de la TNT, qui ont vu leurs recettes publicitaires doubler, profitant de l’effet distribution, les campagnes sur les chaînes nationales étant naturellement prolongées sur les chaînes de la TNT.

A l’exception d’Internet (+ 34,5 % d’investissements bruts en 2007), de la TNT et de la presse gratuite, le marché publicitaire n’a pas été favorable aux autres médias, qui voient en fait leurs recettes publicitaires stagner ou régresser, une fois déduites les remises et la croissance annoncée rapportée à l’inflation. Aussi la répartition des parts de marché publicitaire entre médias évolue-t-elle en faveur d’Internet, qui représente désormais 12 % des dépenses brutes des annonceurs, un ordre de grandeur comparable à celui de l’affichage, de la radio, et déjà supérieur à celui de la presse quotidienne nationale.

Par ailleurs, la part de marché publicitaire d’Internet est sous-estimée. Ne sont prises en compte dans
les mesures de TNS Media Intelligence que les données communiquées par les régies, qui portent essentiellement sur les insertions publicitaires classiques (bannières, rich media), et non les liens sponsorisés commercialisés par Google. Matthieu de Lesseux, coprésident de l’agence Duke, estime à cet égard que le marché de la communication numérique en France, une fois pris en compte l’achat de liens sponsorisés, compte pour 15 % du montant total de l’achat d’espace par les annonceurs A titre de comparaison, les recettes nettes 2007 en France, communiquées par France Pub, créditent Internet d’une part de marché de 6,2 %, les taux de remise étant élevés par rapport au brut, derrière la radio (7,9 %), l’affichage (12 %), la télévision (36 %) et la presse (36,7 %).

La montée en puissance d’Internet devrait par ailleurs se renforcer partout dans le monde, les investissements publicitaires sur Internet augmentant rapidement sur tous les grands marchés publicitaires mondiaux. Selon les estimations de ZenithOptimedia, les investissements publicitaires sur Internet dans le monde devraient passer de 28,8 milliards de dollars en 2006 à quelque 66,9 milliards de dollars en 2010, faisant d’Internet le troisième support de communication derrière la télévision et la presse. Cette croissance du marché publicitaire en ligne entraînera ainsi une réorganisation des rapports de force entre médias, la part de marché publicitaire d’Internet passant de 6,4 % en 2006 à 11,5 % en 2010 à l’échelle mondiale. Pour l’année 2008, Zenith Optimedia prévoit une croissance publicitaire du marché des médias de l’ordre de 6,2 % à l’échelle mondiale, pour un total de 458 milliards de dollars, dont 37,8 milliards de dollars pour Internet qui, avec une croissance de 31,2 % des investissements publicitaires, dépassera alors la radio, avec 37,2 milliards de dollars d’investissements et une croissance limitée à 4 %.

La répartition nouvelle des investissements publicitaires traduit, en termes de parts de marché publicitaire, l’évolution constatée des usages et des moyens de communiquer. Aux médias traditionnels proposant une audience de masse relativement indifférenciée s’ajoutent désormais des médias ciblés, interactifs pour certains, qui viennent compléter l’offre d’espace offerte aux annonceurs. C’est là toute la force de ces nouveaux supports, comme l’attestent les chiffres communiqués par TNS sur le marché publicitaire français en 2007 : la TNT bénéfice de l’engouement du public pour de nouvelles chaînes dans un paysage caractérisé jusqu’ici par une relative pénurie ; la presse gratuite, distribuée dans les transports en commun, garantit l’accès pour les annonceurs à la part de la population active la plus recherchée, les jeunes cadres urbains ; Internet, par l’engouement qu’il suscite et les possibilités de ciblage comportemental qu’il offre, garantit aujourd’hui aux annonceurs une mesure exceptionnelle de leur retour sur investissement, mesure qui révèle combien ce support est efficace en termes de communication personnalisée. Et ces possibilités de communication se traduisent directement dans les stratégies des grands acteurs de la publicité et de l’Internet dans le monde : la course est lancée au contrôle des régies publicitaires en ligne et à l’acquisition d’audiences massives et identifiées.

Les carrefours d’audience et les sites communautaires, bastions de la publicité sur Internet


Les recettes issues de la publicité en ligne ont la particularité d’être concentrées autour de quelques grands sites et de bénéficier prioritairement à quelques régies. L’enjeu économique du marché de la publicité en ligne se joue donc tout à la fois sur le contrôle des pôles d’audience et la gestion de leur valorisation.

Parmi les audiences les plus fortes et les mieux valorisées, les portails et les moteurs de recherche sont aujourd’hui prépondérants. Ces carrefours d’audience concentrent l’essentiel des recettes publicitaires en ligne. Google s’arroge ainsi à lui seul 32 % du total des dépenses publicitaires mondiales sur Internet alors que Yahoo!, qui peine à rentabiliser ses audiences, s’impose malgré tout comme le numéro deux de la publicité en ligne avec une part de marché de 17,5 % selon eMarketer. Google contrôle en fait l’essentiel du marché des liens sponsorisés quand Yahoo! domine le marché des bannières, deux modèles qui correspondent aux activités respectives des deux acteurs, la recherche sur Internet pour le premier, l’édition de portails pour le second.

Quant aux sites communautaires, qui génèrent de fortes audiences, leur valorisation est attendue, tout à la fois par les possibilités de publicité ciblée offertes et par l’évolution des modes de communication en ligne vers des stratégies de prescription sollicitée, au détriment du simple affichage. Ainsi, le cabinet eMarketer annonce un quasi-doublement des investissements publicitaires sur les sites communautaires en 2008, de 1,2 milliard de dollars en 2007 à quelque 2,2 milliards de dollars en 2008, l’essentiel de la croissance étant réalisé sur le marché américain, qui passerait de 920 millions de dollars en 2007 à 1,6 milliard de dollars en 2008, un chiffre encore modeste comparé aux 21,4 milliards de dollars de recettes publicitaires en ligne attendues aux Etats-Unis en 2008. Le même phénomène se
retrouve sur les sites de partage de vidéos dont les audiences croissantes annoncent des recettes importantes à terme, une fois réglés les problèmes liés à la diffusion par les internautes d’œuvres par ailleurs protégées.


Si l’historique des rachats de sites communautaires est trop long à établir, reste que les grands groupes mondiaux présents sur Internet, qu’ils soient éditeurs de contenus, éditeurs de services ou régies publicitaires, se positionnent aujourd’hui sur ce secteur économiquement stratégique. Ainsi, Google a racheté le site d’échange de vidéos YouTube le 9 octobre 2006 pour 1,65 milliard de dollars ; NewsCorp. s’est emparé de MySpace le 18 juillet 2005 pour 580 millions de dollars ; Yahoo! a racheté le site de partage de photos Flickr en mars 2005 ; et Microsoft est entré au capital de Facebook en octobre 2007 pour 240 millions de dollars afin de s’assurer d’une exclusivité pour la commercialisation de la publicité sur le site de socialisation jusqu’en 2011 (voir le n° 5 de La revue européenne des médias, Hiver 2007- 2008). Plus récemment, le 13 mars 2008, AOL, quatrième acteur mondial de l’Internet, a annoncé le rachat du réseau social Bebo pour 850 millions de dollars (546 millions d’euros), une transaction qui lui permet d’accéder à une audience d’environ 40 millions d’utilisateurs, Bebo étant leader sur son secteur en Angleterre, en Irlande, en Nouvelle-Zélande, et troisième aux Etats-Unis derrière Facebook (67 millions de membres actifs dans le monde en 2007) et MySpace (110 millions d’utilisateurs actifs dans le monde en 2007).

Aux stratégies de contrôle des audiences sur Internet correspondent des stratégies de contrôle des régies en ligne, l’enjeu étant, pour les grands acteurs de la communication, de s’imposer comme les interlocuteurs principaux des annonceurs à l’heure où les médias traditionnels sont progressivement désertés. Aux mutations des moyens de communiquer se superpose ainsi une mutation du marché des agences, les nouveaux entrants prenant aux agences traditionnelles leurs clients d’hier. A titre d’exemple, avec ses seuls liens sponsorisés, Google a littéralement réorganisé le marché de la publicité, au moins si l’on considère que sa physionomie actuelle sur Internet sera demain généralisée : ainsi, aux Etats-Unis, selon les chiffres 2006 communiqués par l’Interactive Advertising Bureau (IAB) et le cabinet PriceWaterhouseCoopers, le marché de la publicité en ligne ne repose sur l’affichage classique qu’à hauteur de 32 %, alors que les liens sponsorisés comptent pour 40 % des dépenses des annonceurs et les petites annonces pour 17 %. Des évolutions qui expliquent tout à la fois la série de ra chats stratégiques de régies en ligne durant l’année 2007 et les réorganisations annoncées de nombreuses grandes régies mondiales.

L’année 2007 : première étape dans la concentration des régies en ligne

Publicis / Digitas

Premier groupe mondial de communication à opérer un rachat stratégique, le français Publicis, quatrième agence de publicité au monde, s’est emparé de l’agence de marketing en ligne Digitas à la suite à une offre publique d’achat (OPA), qui a abouti le
 25 janvier 2007 au contrôle effectif de 94,4 % des titres de Digitas par Publicis. Publicis aura payé au total près de 1,3 milliard de dollars (990 millions d’euros) pour prendre le contrôle de la société américaine, qui emploie 2 050 personnes et a réalisé en 2006 un chiffre d’affaires avoisinant les 400 millions de dollars.

Conservée comme entité indépendante, Digitas permet à Publicis de doubler la part des revenus générés par le numérique au sein du groupe, des synergies étant prévues avec les autres agences de Publicis pour proposer une offre globale aux annonceurs. Ainsi, le 10 novembre 2007, Publicis a annoncé la réorganisation de ses réseaux américains et la création d’une plate-forme commune de pilotage pour les trois métiers du groupe, la création publicitaire avec Leo Burnett, l’achat d’espace et le conseil média avec Starcom, le marketing numérique avec Digitas. Par ailleurs, Digitas doit également se développer en Europe et en Asie en s’appuyant sur les compétences mondiales de Publicis, le groupe comptant augmenter son chiffre d’affaires dans les activités numériques à 25 % en 2010, contre 15 % en 2008 après l’intégration de Digitas. Pour Publicis, il s’agit de répliquer avec Digitas l’équivalent numérique de ses réseaux mondiaux de création publicitaire et d’achat d’espace.

Cette stratégie s’est traduite en France et en Chine où Publicis s’est emparée à chaque fois d’agences de marketing interactif, passées ensuite sous la bannière de Digitas. Annoncé le 14 juin 2007, le rachat du français Business Interactif, spécialisé dans le référencement des sites Internet dans les moteurs de recherche (Webformance) et dans le marketing direct en ligne (I Base), a constitué la première étape du déploiement international de Digitas. Financé à moitié en numéraire et à moitié par action, l’achat des 49 % du capital de Business Interactif à ses fondateurs, François de La Villardière et Emmanuel Henrion, valorise la société à 137 millions d’euros, le reste du capital ayant fait l’objet d’une OPA. Cette transaction permet à Digitas, centrée sur les Etats-Unis, de devenir en France le leader du marketing
direct interactif, la société Business Interactif ayant été rebaptisée Digitas France. La même stratégie a été appliquée en Chine avec l’achat, en juillet 2007, de la première agence indépendante de marketing interactif, Communication Central Group (CCG), rebaptisée Digitas Greater China.

Enfin, pour s’assurer d’une envergure internationale, notamment la capacité de toucher de manière ciblée des clients dans plusieurs dizaines de pays, Publicis a annoncé, le 22 janvier 2008, une collaboration entre Digitas et Google, Digitas apportant ses capacités d’analyse et de conseil quand Google s’est spécialisé dans la commercialisation de liens sponsorisés et la mesure d’impact des campagnes publicitaires en ligne. Cette collaboration doit permettre d’apporter une solution complète aux clients des deux groupes, alliant l’expertise technologique et le conseil en communication numérique pour générer des campagnes publicitaires ciblées, les outils de Google devant être intégrés au sein des agences de Publicis.

Cette collaboration, développée depuis plus d’un an sans qu’un accord exclusif ait été passé, traduit le bouleversement profond du marché publicitaire depuis l’arrivée d’Internet, qui s’impose de plus en plus comme une alternative aux médias traditionnels. A cet égard, l’accord entre Google et Publicis témoigne de l’effacement des anciennes frontières entre agences de communication et réseaux de diffusion. En effet, un rapprochement semble inéluctable entre « les métiers d’édition, de référencement et de monétisation », selon les termes de Didier Quillot, président de Lagardère Active. Parce que les grands éditeurs de services et de contenus en ligne ont dû trouver les moyens de monétiser leur audience, sans que les agences traditionnelles aient pu répondre à leurs besoins, une évolution des groupes Internet s’est imposée qui les a conduits à développer leurs propres régies en ligne et les services spécifiques adaptés.

Google / DoubleClick

Symbole de l’effacement des anciennes frontières, Google s’est imposé en 2007 comme la première régie interactive au monde en annonçant le rachat de DoubleClick pour 3,1 milliards de dollars (2,28 milliards d’euros) le 13 avril 2007. Déjà leader incontesté de la commercialisation de mots clés et de liens sponsorisés avec ses services Adwords et Adsense, Google se positionne avec DoubleClick sur le marché des bannières publicitaires et des contenus publicitaires plurimédias, complétant ainsi son offre auprès des annonceurs.

A l’origine, Google a valorisé l’audience de son moteur de recherche en proposant aux annonceurs l’achat de mots clés et l’insertion de liens sponsorisés dans ses pages de résultats grâce au service AdWords. Lancé en 2000, ce service a constitué la première offre en ligne de publicité ciblée, les liens sponsorisés apparaissant en fonction des requêtes des internautes. Progressivement, l’offre s’est étoffée avec le lancement du service AdSense en 2003, lequel permet aux éditeurs de sites de recourir à Google pour insérer des liens sponsorisés sur les
pages de leurs sites, ces liens étant en rapport avec le contenu des pages par ailleurs indexées par Google. Avec le rachat de DoubleClick, Google, qui réalise aujourd’hui 99 % de son chiffre d’affaires dans la publicité en ligne, renforce son intégration horizontale en proposant également l’affichage de bannières et de contenus publicitaires plurimédias à ses annonceurs, l’objectif étant à terme de leur proposer une plate-forme unique permettant de gérer directement leurs campagnes de bannières et d’annonces ciblées.

Le rachat de DoubleClick par Google, qui a passé la barrière des autorités américaines de la concurrence (voir le n° 5 de La revue européenne des médias, hiver 2007-2008) et celle de la Direction générale de la concurrence de la Commission européenne, qui a donné son accord sans conditions à l’opération le 11 mars 2008, a inauguré une série de ripostes de la part des grands acteurs américains du logiciel et de l’Internet, menacés par les ambitions du géant californien sur le très rentable marché publicitaire en ligne. Ainsi, le mois suivant, les trois concurrents directs de Double Click, aQuantive, Right Media et 24/7 Real Media, ont été rachetés par Microsoft, Yahoo! et WPP.

Microsoft / aQuantive

Pour Microsoft, le rachat d’aQuantive, neuvième régie publicitaire mondiale en 2006 en termes de chiffre d’affaires, selon le classement annuel réalisé par Advertising Age, s’inscrit dans une stratégie d’ensemble du groupe, qui souhaite réaliser un quart de ses revenus dans la publicité en ligne à l’horizon 2010. Au-delà de l’annonce, le 18 mai 2007, du rachat de aQuantive pour 6 milliards de dollars (4,5 milliards d’euros), c’est bien la réorganisation actuelle des activités de Microsoft qui importe.

Le rachat d’aQuantive a permis à Microsoft de s’emparer de technologies spécifiques, notamment le système Atlas, un outil de gestion des campagnes publicitaires qui optimise le placement des bannières sur les sites Internet. Grâce à cette technologie, Microsoft peut désormais proposer une offre publicitaire intégrée aux annonceurs, ce qui a conduit le groupe à créer une nouvelle division dé
diée, Advertiser and Publisher Solutions Goup, dirigée par Brian McAndrews, ancien P-DG d’aQuantive avant le rachat de la société par Microsoft. La nouvelle plate-forme publicitaire interactive de Microsoft regroupe ainsi le service AdCenter, développé par Microsoft VoD. En revanche, le cœur de l’activité d’aQuantive, l’agence interactive A-Razorfish, numéro un aux Etats-Unis, est géré comme un actif indépendant, l’agence n’ayant pas trouvé à s’insérer dans le plan stratégique de Microsoft sur Internet.

WPP / 24/7 Real Media


Annoncée le 18 mai 2007, le même jour que le rachat d’aQuantive par Microsoft, l’acquisition de la régie en ligne 24/7 Real Media par WPP, le deuxième groupe de communication au monde, traduit là encore les effets de recomposition entraînés par l’émergence d’Internet dans le marché publicitaire mondial.

Pour 649 millions de dollars (500 millions d’euros), WPP s’empare d’un des concurrents directs de DoubleClick afin de résister à l’arrivée sur le marché publicitaire de Google. 24/7 Real Media propose des outils d’optimisation des campagnes publicitaires en ligne, notamment pour le placement des bannières, ainsi qu’une plate-forme en ligne dédiée aux annonceurs. Cet outil, recherché par tous les acteurs de l’Internet, est d’ailleurs à l’origine de la création d’une nouvelle division au sein de WPP, consacrée à la publicité en ligne, à côté des activités classiques de création de campagnes publicitaires, de conseil et d’achat d’espace. Par ailleurs, l’acquisition de 24/7 Real Media permet également à WPP de répondre à son autre concurrent, le groupe français Publicis et son agence interactive Digitas.

Yahoo! / Right Media

Distancé par Google sur la publicité en ligne, Yahoo! multiplie les achats de régies publicitaires sur Internet pour mieux monétiser l’audience de ses sites, le portail californien revendiquant toujours la première place en termes d’audience aux Etats-Unis. Ainsi, alors qu’il était monté en octobre 2006 à hauteur de 20 % dans la plate-forme d’enchères publicitaires Right Media pour 40 millions de dollars, Yahoo! a annoncé, le 30 avril 2007, le rachat des 80 % du capital de la société qu’il ne détenait pas encore pour un montant de 680 millions de dollars (497 millions d’euros), soit un quadruplement de la valeur de Right Media en six mois.

Cette opération doit permettre à Yahoo! de valoriser ses pages Internet générant un faible trafic, notamment les pages de ses sites communautaires, tout en renforçant son leadership dans la vente de bannières. Right Media est en effet une place de marché spécialisée dans la vente aux enchères de bannières, un procédé qui concerne principalement les emplacements non « premium » des sites et intéresse des éditeurs et annonceurs Internet de petite taille. Les bannières les plus chères et les mieux placées, à l’instar des espaces du portail Yahoo!, sont généralement commercialisées directement par les régies des éditeurs auprès de gros clients.


Afin de se renforcer face à Google, Yahoo! a par ailleurs racheté la régie Blue Lithium, le 6 septembre 2007, pour 300 millions de dollars. Avec cette acquisition, Yahoo! récupère l’expertise de la start-up en termes de publicité comportementale, en même temps que ses clients prestigieux (eBay, Comcast), Blue Lithium étant la cinquième régie en ligne aux Etats-Unis selon Comscore. Blue Lithium et Right Media, qui doivent fusionner, constituent pour Yahoo! un moyen d’empêcher Google de trop s’imposer sur le marché des bannières avec Double Click.

AOL / Tacoda

AOL, ancien leader de l’Internet aux Etats-Unis, désormais filiale de Time Warner, a parachevé le mouvement de consolidation du secteur de la publicité en ligne en rachetant, le 24 juillet 2007, une des dernières régies indépendantes aux Etats-Unis, la start-up Tacoda, spécialisée dans la commercialisation ciblée de bannières. Avec Tacoda, AOL s’empare surtout de capacités techniques, la maîtrise du ciblage comportemental en ligne devenant décisive dans la course à la valorisation des audiences.

Les régies mobiles, nouveaux champions de la communication personnalisée ?

Bien que les grands acteurs d’Internet, Google, Yahoo! et Microsoft, ainsi que les groupes mondiaux de communication, Publicis et WPP en tête, se soient emparés en moins de six mois de la plupart des grandes régies en ligne, le marché de la publicité sur Internet est encore loin d’être véritablement consolidé. En effet, le marché de la publicité sur Internet risque de se métamorphoser avec le succès annoncé de l’Internet mobile. Encore quasi inexistant, le marché de la publicité mobile devrait décoller pour atteindre 16 milliards de dollars en 2011 selon le cabinet eMarketer. Quoique les investissements publicitaires sur le mobile soient encore mesurés, 871 millions de dollars dans le monde en 2006 selon l’agence ZenithOptimedia, déjà 1,4 milliard de dollars en 2007, les grands acteurs d’Internet et du téléphone portable se mobilisent pour s’imposer sur ce futur marché stratégique, la publicité sur mobile offrant des perspectives jusqu’ici inexistantes.

Des nouvelles formes de communication interactive


La publicité mobile permettra d’abord de toucher une population beaucoup plus importante : il existe déjà trois milliards de téléphones mobiles dans le monde, trois fois plus que de PC, et le développement d’Internet passera à l’avenir par le mobile, notamment dans les pays qui ne disposent pas d’une infrastructure filaire élargie, à l’instar de nombreux pays asiatiques, africains ou sud-américains. Le parc mondial de téléphones mobiles devra certes migrer pour se convertir à l’Internet, le cabinet IDC estimant qu’en 2011 plus de 20 % des téléphones vendus dans le monde seront des « Smartphones », des téléphones intelligents capables de se connecter au réseau. Le processus de migration est par ailleurs commencé dans les pays les plus avancés avec le lancement d’offres d’accès illimité à l’Internet mobile, grâce notamment aux téléphones de nouvelle génération proposés par Nokia ou encore avec l’iPhone d’Apple.

La publicité sur mobile offre également des occasions inédites de communication interactive. Le téléphone mobile est par nature un objet personnel, qui a l’avantage d’être sécurisé grâce à sa carte SIM. Aux campagnes ciblées de SMS, idéales comme outil de gestion de la relation client, pourront donc se superposer des campagnes interactives profitant de la mobilité du support de réception et des possibilités de géolocalisation de son utilisateur. Autant d’atouts qui pourront rendre interactifs des supports comme la presse et l’affichage. Ainsi, des publicités avec code barre peuvent être insérées dans les magazines, le mobile lisant grâce à son appareil photo intégré le code barre, qui le renvoie ensuite directement vers le site mobile de l’annonceur. La même technique de lecture optique des codes permettra également de développer la publicité sur le lieu de vente, les clients pouvant accéder aux sites mobiles correspondant aux produits qu’ils découvrent en magasin et recevoir sur site des SMS de promotion ou des coupons numériques de réduction. En France, les trois principaux opérateurs mobiles, Orange, SFR et Bouygues Télécom, se sont d’ores et déjà accordés sur une technique standardisée de lecture optique, baptisée Flashcode. Le mobile multimédia, capable de dialoguer avec un panneau interactif, permettra également le développement de la publicité ciblée pour l’affichage.

La géolocalisation va, quant à elle, bouleverser la communication publicitaire en permettant de suivre le client potentiel à chaque instant et le plonger en permanence dans un environnement publicitaire adapté à son profil. Elle s’accompagnera de services interactifs qui la rendront acceptable par le plus grand nombre : proposition d’adresses de restaurants, d’informations pratiques sur le lieu où l’on se trouve.

Le contrôle de l’accès

A l’instar de la publicité sur les sites Internet, la publicité sur mobile entraîne une mobilisation de tous les acteurs, soucieux de s’imposer comme intermédiaires entre l’utilisateur et l’annonceur, qu’il s’agisse de contrôler les audiences ou de contrôler les solutions techniques de communication ciblée sur mobile. La course au contrôle des audiences sur téléphone mobile interactif a été lancée avec le lancement de l’iPhone par Apple, couplé au site iTunes, en juin 2007 aux Etats-Unis et en novembre 2007 en Europe. Les autres grands constructeurs, ainsi que les opérateurs, développent également leurs portails mobiles pour s’imposer dans les services mobiles interactifs, qu’il s’agisse de Nokia, de Vodafone ou d’Orange. Si, pour l’instant, ces portails d’accès à l’Internet mobile sont encore peu développés, ils seront demain ce que sont aujourd’hui les carrefours d’audience sur l’Internet traditionnel (portails, page d’accès des fournisseurs d’accès à Internet, page des moteurs de recherche, sites communautaires), le lieu principal de toute communication pour les annonceurs.

Comme pour l’Internet traditionnel, le contrôle des systèmes d’exploitation des mobiles multimédias sera également décisif. Google ne s’y est pas trompé qui a lancé un système d’exploitation pour mobile, baptisé Android, présenté pour la première fois le 11 février 2008 à l’occasion du Congrès mondial de la téléphonie mobile à Barcelone. Cette fois-ci, Google se présente comme outsider face aux acteurs déjà en place, qu’il s’agisse de Microsoft avec Windows Mobile ou de son concurrent Symbian, controlé par Nokia depuis 2004.

Le contrôle des régies

Si le contrôle de l’accès permet de s’imposer auprès des annonceurs, le contrôle des régies mobiles garantira à l’avenir des marges importantes sur un marché appelé à se développer fortement. Aussi les annonces de rachat de régies spécialisées dans la communication mobile se multiplient-elles, les grands acteurs de la communication et de l’Internet se positionnant d’ores et déjà sur ce nouveau secteur, pour l’instant essentiellement composé de start-up.

Après avoir échoué à racheter Third Screen Media, une agence de publicité pour mobile basée aux Etats-Unis, finalement racheté par AOL, Microsoft s’est emparé de l’agence française Screen Tonic en mai 2007, pour un montant proche de 30 millions
d’euros. Screen Tonic, déjà présente en France, en Belgique et en Grande-Bretagne, est spécialisée dans la communication sur mobile et a développé une technologie spécifique baptisée Stamp. Cette acquisition doit permettre à Microsoft de proposer des offres couplées aux annonceurs, sur les sites Internet traditionnels et le mobile. Screen Tonic devrait aussi s’internationaliser rapidement pour compléter partout l’offre de la régie MSN. Elle vient renforcer le pôle mobile de Microsoft, déjà étoffé en février 2006 à la suite au rachat de la start-up Motion Bridge, qui développe des outils permettant de faire converger le PC et le mobile.

Quelques mois plus tard, le 6 septembre 2007, Publicis annonçait à son tour le rachat d’une autre start-up française spécialisée dans la communication mobile, l’entreprise Phone Valley. Cette dernière a développé depuis 2000 une activité de médiaplanning pour des campagnes par SMS, MMS et vidéo sur mobile. Bien implantée en Europe (France, Grande-Bretagne, Espagne, Italie, Allemagne), Phone Valley rejoint Publicis Media Group, le réseau d’achat médias du groupe Publicis et devrait poursuivre son internationalisation, notamment sur le continent asiatique. Quelques jours plus tard, le 17 septembre 2007, Nokia annonçait à son tour le rachat d’une start-up spécialisée dans la communication sur mobile, la société américaine Enpocket.

Sources :

  • « Publicis a réussi son OPA sur l’américain Digitas », G.P., Les Echos, 26 janvier 2007.
  • « Publicis boucle l’acquisition de Digitas », Laurence Girard, Le Monde, 2 janvier 2007.
  • « Google s’empare de DoubleClick pour 3,1 milliards de dollars », Laetitia Mailhes, Les Echos, 16 avril 2007.
  • « Google rachète DoubleClick à la barbe de Microsoft », Léna Lutaud, Le Figaro, 16 avril 2007.
  • « Publicité en ligne : la riposte de Yahoo! à Google », Jamal Henni, Les Echos, 2 mai 2007.
  • « Yahoo! et Microsoft ripostent à Google sur la publicité », La Tribune, 2 mai 2007.
  • « Yahoo ! rachète le eBay de la bannière », Le Journal du Net, Baptiste Rubat du Merac, 2 mai 2007.
  • « Microsoft achète la SII française ScreenTonic », E.P. et V.R., Les Echos, 4 mai 2007.
  • « Microsoft investit dans la publicité sur mobile en France », S.B.,
La Tribune, 4 mai 2007.
  • « Microsoft s’offre une start-up française », Valérie Collet, Le Figaro, 4 mai 2007.
  • « WPP Group to Buy 24/7 Real Media, a Online Ad Company », Louise Story, The New York Times, May 18, 2007.
  • « Microsoft frappe fort dans la publicité en ligne », Clarisse Jay, La Tribune, 21 mai 2007.
  • « Microsoft réplique à Google avec aQuantive », Marie-Catherine Beuth, Le Figaro, 21 mai 2007.
  • « La guerre de la publicité en ligne est déclarée », Dominique Piotet, La Tribune, 25 mai 2007.
  • « Microsoft mise gros sur la publicité en ligne », Boris Mathieux, 01Informatique, 29 mai 2007.
  • « La justice américaine se penche sur le rachat de DoubleClick par Google, David Barroux, Les Echos, 30 mai 2007.
  • « Publicis accélère dans le numérique en s’offrant Business Interactif », Grégoire Poussielgue, Les Echos, 15 juin 200.
  • « Publicis rafle Business Interactif », Marie Catherine Beuth, Le Figaro, 15 juin 2007.
  • « Publicis renforce ses positions dans le numérique », Laurence Girard, Le Monde, 18 juin 2007.
  • « AOL rachète la société Tacoda, spécialiste du secteur de la publicité en ligne sur mesure », La Correspondance de la Publicité, 25 juillet 2007.
  • « Publicis déploie sa révolution culturelle numérique en Chine », Marie Catherine Beuth, Le Figaro, 1er août 2007.
  • « Publicité sur Internet : Yahoo! s’offre la start-up Blue Lithium », J.H., Les Echos, 6 septembre 2007.
  • « La publicité sur mobile suscite les convoitises », Laurence Girard,
 Le Monde, 7 septembre 2007.
  • « Mobile : Publicis rachète Phonevalley », Les Echos, 7 septembre 2007.
  • « Publicis accélère ses achats dans le numérique », Philippe Laroque, Le Figaro, 7 septembre 2007
  • « Publicis mise sur le marketing mobile », Delphine Cluny, La Tribune, 7 septembre 2007.
  • « Le téléphone mobile, support de choix pour les publicitaires », Laurence Girard, Le Monde, 22 septembre 2007.
  • « Microsoft veut percer dans la pub grâce à Brian McAndrews », Sandrine Cassini, La Tribune, 3 octobre 2007.
  • « La publicité, enjeu majeur pour Microsoft », Interview de Brian McAndrews, propos recueillis par Marie-Catherine Beuth, Le Figaro, 8 octobre 2007.
  • « Microsoft vise un quart de ses revenus dans la publicité en ligne en 2010 », Michel Ktitareff, Les Echos, 29 octobre 200.
  • « Publicis fait tomber les murs entre ses agences », Jean-Baptiste Jacquin, La Tribune, 14 novembre 2007.
  • « La publicité en ligne reste concentrée sur les portails », I.R., La Tribune, 14 novembre 2007.
  • « Le monde merveilleux de l’Internet mobile compte surtout sur la publicité », AFP, 16 novembre 2007.
  • « Ad Spending On Social Networks Will Continue To Grow I’08 », Mark Walsh, Media Post Publications, December 17, 2007.
  • « Matthieu de Lesseux, coprésident de l’agence Duke : « Sur le numérique, les grands réseaux publicitaires sont tous en retard » », interview réalisée par Grégoire Poussielgue, Les Echos, 31 décembre 2007.
  • « Publicis et Google vont partager leur expertise », J.-B. J., La Tribune, 23 janvier 2008.
  • « Publicité en ligne : Publicis étend sa collaboration avec Google », G.P., Les Echos, 23 janvier 2008.
  • « Internet et la TNT tirent le marché de la publicité », Paule Gonzalès, Le Figaro, 24 janvier 2008.
  • « Internet, locomotive du marché publicitaire français en 2007 », Nathalie Silbert, Les Echos, 24 janvier 2008.
  • « Le logiciel pour mobile de Google encore à l’état de prototype », Delphine Cluny, La Tribune, 12 février 2008.
  • « Prévisions incertaines pour les publicitaires en 2008 », Laurence Girard, Le Monde, 15 février 2008.
  • « Google : Bruxelles autorise le rachat de DoubleClick sans conditions », Alexandre Counis, Les Echos, 12 mars 2008.
  • « AOL s’offre le site communautaire Bebo pour 850 millions de dol- lars », Emmanuel Paquette, Les Echos, 14 mars 2008.
  • « AOL rachète le réseau social Bebo pour 850 millions de dollars », Cécile Ducourtieux, Le Monde, 15 mars 2008.
  • « Internet entraîne une redistribution des cartes au sein du marché publicitaire », Laurence Girard, Le Monde, 19 mars 2008.
  • « Les dépenses publicitaires mondiales devraient croître de 6,5 % en 2008, selon Zenith Optimedia, La Correspondance de la Presse, 1er avril 2008.
Professeur à Aix-Marseille Université, Institut méditerranéen des sciences de l’information et de la communication (IMSIC, Aix-Marseille Univ., Université de Toulon), École de journalisme et de communication d’Aix-Marseille (EJCAM)

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