Le marché des contenus et services sur mobile, annoncé avec le développement des offres d’accès illimitées à l’Internet mobile, devrait donner lieu à une bataille entre titans des télécommunications, de l’Internet et des médias. L’enjeu : le contrôle de l’Internet du futur, personnel et mobile.
Estimé à 16 milliards de dollars en 2011 selon le cabinet eMarketer (voir infra), le marché de la publicité sur mobile attire tous les protagonistes du secteur, les traditionnels éditeurs de contenus, habitués au financement publicitaire, les régies publicitaires et les acteurs d’Internet, qui espèrent réitérer sur le mobile la bataille sur l’accès PC pour le contrôle des audiences, les fabricants de téléphones, qui ne veulent pas voir les éditeurs de services prendre le contrôle du marché, enfin les opérateurs de télécommunications, qui comptent de leur côté sur la publicité et les services mobiles payants pour augmenter leur ARPU (average revenue per user).
La bataille des systèmes d’exploitation pour mobile : le cas Android
Face à Apple, qui compte s’imposer sur le marché de la téléphonie mobile grâce à son terminal, l’iPhone, et les services embarqués qu’il inclut, Google se positionne à l’inverse sur les systèmes d’exploitation pour mobiles, espérant devenir demain incontournable sur le « troisième écran », l’écran mobile, nouvel eldorado après le poste de télévision et l’écran du PC. L’enjeu est de taille : alors que les opérateurs de télécommunications proposent actuellement des téléphones bloqués, pour lesquels ils décident des services accessibles, le projet de Google ambitionne d’ouvrir l’accès aux services mobiles, faisant perdre aux opérateurs le contrôle du client final.
Après avoir racheté en 2005 la société Android, spécialisée dans la conception de systèmes d’exploitation pour mobiles, Google a annoncé, le 5 novembre 2007, son arrivée sur ce marché avec le lancement d’un système d’exploitation ouvert, baptisé sans surprise Android. Une première version de la plate-forme Android a été présentée à l’occasion de l’ouverture du Congrès mondial de la téléphonie à Barcelone, le 11 février 2008. La stratégie de Google est donc limpide : s’imposer comme intermédiaire principal, grâce au contrôle de l’accès, entre l’usager et les services mobiles, pour ensuite placer ses propres services et récolter les revenus publicitaires ainsi générés. A cet égard, les premières démonstrations d’Android révèlent une interface proche de celle de l’iPhone d’Apple où les fonctions accessibles sont pour l’essentiel des services Google : le moteur de recherche, la géolocalisation avec Google Maps, l’échange de vidéos avec YouTube ou le courrier électronique avec Gmail.
Pour s’imposer face à ses concurrents, Apple, mais surtout Symbian et Microsoft, Google entend multiplier les partenariats, trente noms des télécommunications étant déjà associés au projet Android, dans le cadre de l’Open Handset Alliance, qu’il s’agisse de constructeurs, à l’instar de l’américain Motorola, des asiatiques HTC, LG et Samsung, ou qu’il s’agisse d’opérateurs, comme le japonais NTT DoCoMo, China Mobile, l’espagnol Telefonica ou l’américain Sprint Nextel. Les fabricants de composants sont également associés à ce projet qui doit faire naître une nouvelle lignée de téléphones mobiles intelligents, Intel, Qualcomm ou Nvidia par exemple. LG et Samsung ont par ailleurs d’ores et déjà annoncé le lancement de mobiles équipés d’Android avant la fin de l’année 2008 ou, au plus tard, au premier trimestre 2009.
L’absence de Microsoft et Nokia du cercle élargi des partenaires de Google est, quant à elle, très significative. Microsoft édite le système d’exploitation Windows Mobile, qui contrôlait 6,1 % du marché au deuxième trimestre 2007, devancé par les systèmes Linux et surtout Symbian, lequel détenait à cette date 72,4 % de parts de marché. Or la société Symbian est détenue à 47,9 % par Nokia, premier fabricant mondial de téléphones mobiles, les autres actionnaires de l’éditeur du système d’exploitation étant les constructeurs Ericsson (15,6 % du capital), Sony-Ericsson (13,1 % du capital) et Samsung (4,5 % du capital).
Enfin, pour l’emporter face à Symbian, Google a mis en ligne, dès le 12 novembre 2007, les premières briques logicielles d’Android, développé à partir du logiciel libre Linux, pour que les développeurs puissent y greffer leurs propres applications et enrichir d’autant les fonctionnalités des futurs mobiles équipés de ce système d’exploitation.
Face à Android, la réponse de Nokia et d’Apple sur les contenus et les services
La réponse des constructeurs et opérateurs ne s’est pas fait attendre, à l’instar de Nokia qui multiplie les acquisitions et les partenariats pour renforcer à la fois son offre de services et de contenus. En 2006 et 2007, le constructeur a renforcé son offre de géolocalisation avec les acquisitions successives de Gate5 et Navteq, son offre de musique mobile avec le rachat de l’éditeur spécialisé de logiciels Loudeye en août 2006, ainsi que son offre de messagerie mobile avec le rachat d’Intellisync. Plus récemment, Nokia s’est emparé d’une start-up finlandaise spécialisée dans les applications sur logiciels libres, Trolltech, rachetée le 28 janvier 2008. Grâce à ces acquisitions, Nokia s’impose désormais comme l’un des principaux éditeurs de logiciels sur mobile et propose d’ores et déjà plusieurs services de conte- nus grâce à sa plate-forme Ovi, lancée fin 2007.
Ovi se veut « un tableau de bord de la vie numérique », selon l’expression d’Olli-Pekka Kallasvuo, PDG de Nokia, qui combine sur le mobile, avec également une passerelle vers le PC, l’ensemble des services utiles à l’internaute : partage de vidéos, musique, jeux, moteur de recherche, messagerie. Pour l’imposer, Nokia négocie des partenariats avec les opérateurs, dont les plus importants sont ceux conclus avec Vodafone, qui propose Ovi en plus de son service Vodafone Live au Royaume-Uni, avec Telecom Italia, avec Telefonica en Espagne, ou encore avec Orange en France, lequel propose toutefois les services de Nokia en marque propre, notamment pour la musique avec Orange Music Store. A cet égard, si Ovi bénéficie de sa compatibilité avec les téléphones Nokia, la plate-forme risque toutefois d’entrer en concurrence avec les portails similaires développés par les opérateurs, comme l’offre d’Orange ou de Vodafone Live, mais également des éditeurs de contenus, à l’instar du portail Zaoza de Vivendi.
Une course à la performance est donc lancée sur les contenus et services. Au second semestre 2008, Ovi permettra à ses utilisateurs d’accéder à une offre de musique illimitée, baptisée « Comes with Music », suite des accords conclus avec Universal Music et Sony BMG. Nokia développe également un site de jeux en ligne pour mobiles, baptisé « N-Gage », une offre de géolocalisation avec Nokia Maps et une offre de partage de contenus appelée « Share ». Tous ces services s’appuient sur une régie publicitaire développée par le constructeur finlandais. Autant d’atouts qui doivent permettre à Nokia de résister d’abord à Google et Apple sur le marché des services sur mobile, qu’il s’agisse de Google Maps ou de YouTube pour le moteur de recherche, ou de l’iTunes Music Store d’Apple, leader sur le téléchargement légal de musique.
De son côté, Apple poursuit sa conquête du marché mobile, inaugurée en novembre 2007 avec le lancement de l’iPhone. Apple s’appuie sur son téléphone couplé avec le site iTunes, pour tenter de reproduire sur le mobile le succès de l’iPod dans la musique en ligne. Au quatrième trimestre 2007, Apple s’est emparé de 0,6 % du marché mondial des téléphones, se positionnant d’emblée comme un acteur central sur le marché des mobiles haut de gamme. Le groupe revendique toujours un objectif de 10 millions d’iPhone vendus en 2008, ce qui lui permettrait d’imposer ses services dans les principaux marchés où l’iPhone est commercialisé. Pour y parvenir, l’iPhone devrait connaître deux grandes évolutions. La première est une réponse à Google et aux reproches adressés à Apple de proposer un système logiciel clos, qui ne permet pas le développement d’applications par des prestataires externes. A l’instar d’Android dont les briques logicielles ont été mises en ligne, Apple mettra à disposition, en juin 2008, un « kit » à l’usage des développeurs, qui pourront créer leurs propres applications pour l’iPhone. Une fois homologuées, ces nouvelles applications seront téléchargeables sur iTunes et devraient contribuer à la relance des ventes après une première année de commercialisation.
La deuxième grande évolution passe par un accord avec Microsoft annoncé le 6 mars 2008. Positionné sur le secteur haut de gamme des téléphones intelligents, où il détient 21 % du marché américain quand le leader, le BlackBerry, en contrôle 41 %, Apple compte s’imposer sur le marché des entreprises. Le groupe a ainsi acquis une licence auprès de Microsoft qui permettra à l’iPhone de se synchroniser dans les entreprises avec Microsoft Exchange, c’est-à-dire de recevoir des e-mails (courriels) en temps réel, en mode push, fonctionnalité qui a fait le succès du BlackBerry, et d’accéder à son agenda et ses contacts via Microsoft Outlook, le tout dans un environnement sécurisé. En embuscade, Yahoo! devrait compter dans la bataille de l’Internet mobile, après ne pas être parvenu à s’imposer sur les PC face à Google.
Lancé depuis 2006, avec une nouvelle version présentée chaque année lors du Consumer Electronic Show (CES) de Las Vegas, le portail pour l’Internet mobile de Yahoo!, baptisé Yahoo! Go, revendique 600 millions d’abonnés potentiels, grâce aux accords passés avec 29 opérateurs ayant intégré la suite logicielle Yahoo! dans leurs mobiles, qu’il s’agisse de T-Mobile ou de Telefonica. Yahoo! Go inclut, dans sa version 2 actuellement disponible, laquelle a été lancée en janvier 2007 aux Etats-Unis et en juin de la même année en Europe, un moteur de recherche adapté aux mobiles, one Search, un service de messagerie mobile, Yahoo! Mail, enfin des informations pratiques, le portail devant à l’avenir s’étoffer d’applications communautaires, des partenariats ayant été passés avec MySpace et Ebay. A l’occasion de la présentation de la version 2008, Yahoo! Go s’est déjà enrichi du site communautaire de partage de photos Flickr, que détient le groupe.
Sources :
- « Yahoo! lance en France et dans 11 pays son portail Internet pour les téléphones mobiles », La Correspondance de la Presse, 21 juin 2007.
- « Google lancerait un GPhone moins cher que l’iPhone d’Apple », Samuel Laurent, Le Figaro, 31 août 2007.
- « Google s’attaque à la téléphonie mobile », M.C., Le Figaro, 6 novembre 2007.
- « Google à l’offensive dans la téléphonie mobile », Delphine Cluny, La Tribune, 6 novembre 2007.
- « Google étend son empire aux téléphones portables », Cécile Ducourtieux, Le Monde, 7 novembre 2007.
- « Nokia s’avance dans les services Internet », Florence Puybareau, La Tribune, 5 décembre 2007.
- « Yahoo! lance une nouvelle version de son portail et de sa plate-forme pour l’Internet mobile », La Correspondance de la Presse, 9 janvier 2008.
- « Nokia poursuit ses emplettes dans les logiciels », G.C., Les Echos, 29 janvier 2008.
- « Opérateurs, fabricants et géants de l’Internet s’affrontent sur le mobile », G.C., Les Echos, 11 février 2008.
- « Le logiciel pour mobile de Google encore à l’état de prototype », Delphine Cluny, La Tribune, 12 février 2008.
- « Nokia – Samsung : match au sommet sur la planète mobile », Guillaume de Calignon, Les Echos, 12 février 2008.
- « Orange et Nokia s’allient dans la bataille des services mobiles », Delphine Cluny, La Tribune, 13 février 2008.
- « Quand l’Internet arrive sur le mobile, les opérateurs musclent leurs réseaux », AFP in tv5.org, 14 février 2008.
- «Nokia : Apple est devenu un concurrent très, très sérieux », interview de Olli-Pekka Kallasvuo, PDG de Nokia, propos recueillis par Marc Cherki, Le Figaro, 22 février 2008.
- « Apple confirme son objectif de vendre 10 millions d’iPhone », D.C., La Tribune, 29 février 2008.
- « L’iPhone d’Apple veut concurrencer le BlackBerry », Michael Ktitareff, Les Echos, 10 mars 2008.
- « Apple va s’attaquer au BlackBerry avec son futur iPhone », D.C. et C.J., La Tribune, 10 mars 2008.
- « L’iPhone se décline désormais en version professionnelle », Christophe Quester, La Tribune, 19 mars 2008.
- « Nokia passe à l’offensive dans les services Internet », Charles de Laubier, Les Echos, 7 avril 2008.