L’émergence d’une génération « numérique »

C’est parmi la jeune génération que se comptent les plus gros utilisateurs d’Internet, selon la dernière édition du rapport de la Commission européenne sur la compétitivité numérique publiée en août 2009. Âgés de 16 à 24 ans, ces « natifs du numérique » utilisent pleinement les possibilités du Web et les innovations numériques en général, au point de bouleverser les modèles établis en imposant notamment leurs pratiques de consommation en ligne.

Dans un chapitre consacré à « L’utilisation d’Internet à des fins de divertissement et son impact sur les marchés de contenus », l’édition 2009 du rapport annuel de la Commission européenne sur la compétitivité numérique apporte un éclairage nouveau sur les pratiques en ligne des jeunes Européens. En 2008, 56 % des Européens sont des internautes réguliers (soit une augmentation d’un tiers par rapport à 2004). Sur la classe d’âge des 16-24 ans, ils sont 73 % à utiliser régulièrement des services numériques pour créer et partager des contenus sur le Web, contre moins de 35 % en moyenne pour l’ensemble de la population européenne. Les moins de 24 ans sont 66 % à utiliser Internet tous les jours, tandis que 43 % seulement de la population européenne se sert d’Internet au quotidien. Le développement de l’Internet à haut débit en Europe (80 % des internautes réguliers y ont recours en 2008, contre seulement un tiers en 2004) a permis la croissance d’une grande variété d’activités en ligne, mais il a dans le même temps rendu possible une distribution illégale des œuvres normalement protégées par le droit d’auteur.

Moins de 5 % des Européens ont payé pour des contenus en ligne durant les trois derniers mois de l’enquête en 2008. Ce chiffre est deux fois plus élevé pour les jeunes de 16 à 24 ans, soit près de 10 %. En revanche, près de 60 % des jeunes Européens déclarent ne pas payer pour accéder à des contenus audiovisuels, contre moins de 30 % pour l’ensemble de la population européenne. En outre, près de la moitié de ceux qui ne veulent pas payer, soit un tiers des Européens âgés de 16-24 ans, ne changeraient pas d’attitude, quelles que soient les conditions qui pourraient leur être offertes. Tandis que 30 % seraient prêts à payer si les prix pratiqués étaient plus avantageux que ceux des magasins, 22 % si l’offre était plus variée et plus facilement disponible ou de meilleure qualité et 16 % s’ils avaient le droit de partager en toute légalité les contenus protégés ou s’ils disposaient de moyens de paiement plus pratiques. Seuls 20 % des jeunes internautes européens accepteraient de payer par manque de contenus disponibles gratuitement. Il est intéressant de noter que les résultats de l’enquête sur les motivations pour accepter de payer des contenus audio- visuels sont identiques pour l’ensemble des Européens à celles des 16-24 ans.

L’échange de contenus numériques est en pleine évolution sur Internet et il est assurément difficile d’en mesurer l’ampleur. La quantité de contenus disponibles s’accroît au rythme de la multiplication des réseaux P2P et il n’existe pas de statistiques officielles sur le piratage en ligne. Les résultats d’une enquête internationale, publiée par l’institut de sondage Ipsos en septembre 2009, indiquent que le téléchargement illégal de musique ou de vidéos ne concerne qu’une minorité d’internautes européens. Le nombre d’internautes déclarant se rendre au moins une fois par mois sur des sites pirates pour télécharger de la musique est de 15 % en France, 12 % au Royaume-Uni et 11 % en Allemagne. Ces pirates achètent aussi légalement plus de musique que la moyenne des internautes, sur les sites officiels ou dans les magasins traditionnels. Ils constituent, de fait, « une cible marketing spécifique à privilégier », selon Ipsos. D’autres données disponibles sur les échanges illégaux de contenus sur Internet proviennent des industries elles-mêmes. Selon les majors de l’industrie musicale, le piratage en ligne représente 95 % du marché. Il en serait de même pour la vidéo avec seulement un film sur cinq téléchargé légalement. L’enquête menée par la Commission européenne adopte un autre point de vue, celui des jeunes internautes. Le fait que les jeunes Européens montrent une volonté assez limitée de payer, en contrepartie de l’amélioration des services de contenus, laisse à penser que leur usage même est entièrement lié au phénomène de gratuité. Pour cette génération dont les usages ont été forgés par les nouvelles technologies, Internet est perçu comme une somme de services à volonté en contrepartie d’une connexion forfaitaire. Une fois l’abonnement payé, il semble naturel de bénéficier librement de la messagerie instantanée, du téléphone, des logiciels libres, des pages Web, des blogs, des radios et télévisions en streaming et des plates-formes d’échange de contenus.

Le développement rapide des connexions à moindre coût et à haut débit a entraîné une généralisation de l’usage d’Internet, provoquant un changement tout aussi soudain des habitudes de communiquer, d’accéder aux contenus et de les partager. Il s’agit là d’une véritable révolution culturelle. La jeune génération est à la pointe de ces changements puisqu’elle s’est appropriée sans état d’âme tous les outils nouveaux mis à sa disposition, Google, YouTube, Facebook, BitTorrent,… En moins de dix ans, ces applications gratuites ont inventé de nouveaux usages dont les 16-24 ans assurent désormais la promotion. Le modèle économique traditionnel des industries culturelles ne correspond plus aux exigences des jeunes consommateurs. C’est du moins ce que semble indiquer le faible pourcentage de jeunes Européens qui considèrent que l’éventuelle absence de contenus disponibles gratuitement sur Internet serait une raison suffisante pour payer les musiques ou les films. La génération numérique aurait-elle lancé d’impossibles défis aux créateurs, aux industriels, aux politiques ?

Sources :

  • « Europe’s Digital Competitiveness Report. Volume 1 : i2010 –Annual Information Society Report 2009. Benchmarking i2010 : Trends and main achievements », COM (2009) 390, Commission of The European Communities, Brussels, ec.europa.eu/information_society, August 4, 2009.
  • « Selon un rapport de la Commission, l’économie numérique peut sortir l’Europe de la crise », Communiqué de presse, IP/09/1221, Bruxelles, europa.eu, 4 août 2009.
  • « Internet : les pirates sont une cible marketing à privilégier », Kirsten Bartels, Ipsos Marketing Allemagne, ipsos.fr, 23 septembre 2009.
Ingénieur d’études à l’Université Paris 2 - IREC (Institut de recherche et d’études sur la communication)

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