La nouvelle réforme du cadre réglementaire des communications électroniques : vers un renforcement de la concurrence et du marché unique

En novembre 2009, après plus de deux ans de débats, le nouveau cadre réglementaire des communications électroniques a été réformé par deux directives (2009/140/CE et 2009/136/CE) et un nouveau règlement (n°1211/2009). Les Etats membres devront transposer ces textes en droit national avant le 25 mai 2011.

La réforme marque un très net changement politique : la régulation auparavant concentrée sur la création d’espaces économiques pour les nouveaux entrants dans le secteur des communications électroniques affiche dorénavant un objectif affiché de protection et de satisfaction du consommateur européen. Neelie Kroes, vice-présidente de la Commission européenne chargée de l’agenda numérique, expliquait récemment : « Notre nouveau cadre prévoit des mesures pour assurer une transparence forte afin que le consommateur comprenne et obtienne ce pour quoi il a payé. Je pense que beaucoup trop de consommateurs se sentent actuellement floués, par exemple quand ils obtiennent des débits Internet nettement plus bas que ce que laissait entendre la publicité »*.

Ce nouveau paquet télécom met en place une nouvelle phase de la régulation visant à finaliser un marché unique des communications électroniques par deux moyens : d’un côté, l’application cohérente du nouveau cadre partout en Europe ; de l’autre, l’abandon progressif de la régulation par le renforcement du jeu concurrentiel et la protection des consommateurs.

Une application cohérente du nouveau cadre réglementaire

La mise en œuvre d’un marché européen des communications électroniques reste une préoccupation majeure de la Commission européenne. Pour atteindre cet objectif, la réforme change l’architecture institutionnelle de la régulation. Premièrement, elle institutionnalise le GRE (Groupe des régulateurs européens) en créant l’Organe des régulateurs européens des communications électroniques (ORECE) et l’Office, organisme de la Communauté, offrant à l’ORECE un soutien administratif et professionnel (Règlement CE n°1211/2009). Leur objectif, conforme au principe de subsidiarité consacré par l’article 5 du Traité de l’Union européenne, est de développer la coopération et la coordination des autorités de régulation nationales (ARN) avec la Commission afin d’assurer une application cohérente du cadre réglementaire. L’ORECE devra notamment assurer le développement et la diffusion des meilleures pratiques de régulation entre les ARN. L’ORECE servira aussi d’instance de réflexion, d’expertise et d’avis pour le Parlement européen, le Conseil et la Commission européenne pour toutes les questions relatives aux communications électroniques. L’ensemble des tâches de l’ORECE sont décrites dans l’article 3 du Règlement. On remarquera notamment que l’ORECE interviendra dans la nouvelle procédure (article 7) par laquelle les ARN soumettent leurs décisions de régulation a l’approbation de la Commission européenne. L’ORECE sera plus particulièrement consulté sur les marchés pouvant être potentiellement soumis à régulation, la désignation des opérateurs exerçant une influence significative sur ces marchés et les remèdes proposés par les ARN.

En second lieu, la réforme renforce l’indépendance des régulateurs. Elle impose notamment que les ARN soient protégées contre les pressions politiques et qu’elles aient un budget suffisant pour exercer leurs fonctions et engager des personnels qualifiés. La réforme entend ainsi permettre aux ARN d’être plus à l’écoute du marché et des consommateurs. L’indépendance est également un élément indispensable à la mise en place d’une régulation économique efficace.

Un renforcement du jeu concurrentiel

La réforme croit à la concurrence et à la transparence : « Un marché concurrentiel offre aux utilisateurs un large choix de contenus, d’applications et de services. Les autorités réglementaires nationales devraient promouvoir la capacité des utilisateurs à accéder à l’information et à en diffuser ainsi qu’à utiliser des applications et des services (23). […]. Il convient d’encourager en parallèle tant les investissements efficaces que la concurrence, de manière à accroître la croissance économique, l’innovation et le choix du consommateur (53) », considérants 23 et 53 de la directive 2009/140/CE. La concurrence va être renforcée, notamment par le principe de neutralité des réseaux, l’encouragement des investissements dans les réseaux de nouvelle génération (réseaux mobiles de quatrième génération, réseaux fixes en fibre optique), par et la protection des consommateurs.

La réforme érige la neutralité des réseaux comme un principe de régulation. Ce principe repose sur la convergence du secteur des télécoms et de celui des médias (contenus). Cette convergence est d’ores et déjà une réalité, mais elle s’est récemment accélérée dans le secteur de l’Internet sur réseaux fixes et sur réseaux mobiles. La convergence offrira aux consommateurs européens de nouveaux services nomades et la liberté de choisir la technologie correspondant à leurs besoins. Elle permettra le développement de nouvelles opportunités d’affaires et ouvrira un espace économique particulièrement propice à l’innovation dans le marché unique. La convergence couplée au principe de neutralité des réseaux devrait renforcer la concurrence entre différentes infrastructures d’accès (fixe, mobile, Wi-Fi, etc.).

Pour renforcer ce type de concurrence, la réforme poursuit son action en assurant un juste retour sur investissement à ceux qui engageront de l’argent dans la construction de réseaux de nouvelle génération. L’incitation à investir sera préservée malgré la consolidation de la régulation de ces réseaux (notamment sur le partage d’infrastructures de génie civil).

Par ailleurs, la réforme envisage le problème de la concurrence latérale. Cette forme concurrentielle émerge lorsque des firmes dominantes sur un marché utilisent leur puissance économique pour attaquer un marché adjacent. Ce phénomène est au fondement de la dynamique de convergence mais il peut créer des distorsions concurrentielles graves sur certains marchés. La réforme donne aux ARN le pouvoir d’imposer des remèdes régulatoires préventifs dans ce genre de circonstances.

Le nouveau dispositif de régulation prend également un certain nombre de mesures visant à l’amélioration de la protection du consommateur. Certaines d’entre elles sont particulièrement importantes. La réforme encourage ainsi la mise à disposition d’un accès haut débit pour tous les consommateurs européens afin de diminuer la fracture numérique. Elle autorise les Etats membres à étendre les obligations de service universel au-delà de l’accès à Internet bas débit. S’agissant de la transparence et de la diffusion de l’information, le considérant 47 de la directive 2009/136/CE énonce clairement la position du nouveau cadre : « Pour tirer pleinement parti de l’environnement concurrentiel, les consommateurs devraient être à même de faire des choix en connaissance de cause et de changer de fournisseur lorsque cela est dans leur intérêt. Il est essentiel de garantir qu’ils puissent le faire sans rencontrer d’obstacles juridiques, techniques ou pratiques, notamment sous la forme de conditions, de procédures, de redevances contractuelles, etc. ». La réforme prévoit également d’améliorer les procédures de changement d’opérateur, un délai initial d’engagement de 24 mois maximum, une portabilité du numéro (fixe ou mobile) en un jour ouvré, une meilleure information concernant les contrats avec les opérateurs de réseaux et de services, une meilleure diffusion de ces informations afin de permettre au consommateur un choix éclairé par une comparaison exacte et précise des différentes offres. Enfin, le nouveau dispositif vise à améliorer la protection des données privées du consommateur et la lutte contre les communications non sollicitées (e-mailing, phishing, etc.). On relèvera à titre d’exemples les deux mesures suivantes : d’une part, l’utilisation de systèmes automatisés d’appel et de communication sans intervention humaine (automates d’appel), de télécopieurs ou de courriers électroniques à des fins de prospection directe est soumise au consentement préalable des consommateurs ou utilisateurs ; d’autre part, l’émission de messages électroniques à des fins de prospection directe, en camouflant ou en dissimulant l’identité de l’émetteur au nom duquel la communication est faite, est interdite.

La réforme du cadre réglementaire des communications électroniques recentre la régulation au niveau européen et promeut un marché unique concurrentiel fondé sur la protection du consommateur et la neutralité des réseaux. Elle entend également œuvrer pour la croissance économique en Europe en encourageant le déploiement de nouveaux réseaux et la création de nouveaux services plus innovants. En cela, elle est une sorte de profession de foi. Le chemin à parcourir reste encore long. Comme le précisait Neelie Kroes récemment : « Notre marché unique nous a offert la plus longue période de prospérité dans toute l’histoire de la construction européenne. Nous devons maintenant construire un marché unique du numérique. Telle est notre nouvelle voie. Il n’y a pas d’argent disponible pour un deuxième round de plans de sauvetage. Et il n’y a pas de temps à perdre pendant que l’Asie et le Brésil font la course en tête. Les prochaines années nécessiteront une vision à long terme, un travail acharné, et des objectifs clairs pour mettre en œuvre un futur numérique intelligent, durable et équitable »*.

*traduit par l’auteur.

Sources :

  • Directive 2009/136/CE du Parlement européen et du Conseil du 25 novembre 2009 modifiant la directive 2002/22/CE concernant le service universel et les droits des utilisateurs au regard des réseaux et services de communications électroniques, la directive 2002/58/CE concernant le traitement des données à caractère personnel et la protection de la vie privée dans le secteur des communications électroniques et le règlement (CE) no 2006/2004 relatif à la coopération entre les autorités nationales chargées de veiller à l’application de la législation en matière de protection des consommateurs.
  • Directive 2009/140/CE du Parlement européen et du Conseil du 25 novembre 2009 modifiant les directives 2002/21/CE relative à un cadre réglementaire commun pour les réseaux et services de communications électroniques, 2002/19/CE relative à l’accès aux réseaux de communications électroniques et aux ressources associées, ainsi qu’à leur interconnexion, et 2002/20/CE relative à l’autorisation des réseaux et services de communications électroniques.
  • Règlement (CE) n°1211/2009 du Parlement européen et du Conseil du 25 novembre 2009 instituant l’Organe des régulateurs européens des communications électroniques (ORECE) ainsi que l’Office.
  • « Net Neutrality in Europe », Neelie Kroes, Intervention lors de la conférence de l’ARCEP, Speech/10/153, 13 avril 2010.
  • « A Digital Agenda for Europe », Neelie Kroes European Business Leaders Convention, Speech/10/203, may 4, 2010.
Directeur du Centre de recherche de TELECOM Ecole de Management

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