La British Library rejoint Google Books

L’accord annoncé entre la British Library et Google Books, s’il ne règle pas le problème soulevé par le projet de bibliothèque universelle de Google en matière de rémunération des ayants droit, indique la voie pour les programmes à venir de numérisation, qui reposeront probablement sur des partenariats entre institutions publiques et opérateurs privés. En France, la BnF a d’ailleurs opté pour cette solution afin de numériser son catalogue. En Europe, un protocole d’accord a été signé pour organiser la numérisation par les bibliothèques des livres protégés, mais qui ne sont plus commercialisés.

Le 20 juin 2011, la prestigieuse Britsih Library, la bibliothèque nationale britannique, a annoncé un accord de numérisation de livres avec Google. Cet accord porte sur 250 000 ouvrages rares de la période 1700–1870, tous tombés dans le domaine public, soit au total 40 millions de pages qui seront numérisées par Google, qui en assume seul les frais. Les documents seront ensuite mis à disposition en ligne, gratuitement, à la fois sur le site de la British Library (www.bl.uk) et sur le site de Google Books (http://books.google.co.uk). La sélection des documents par la British Library répond à des objectifs de préservation et de recherche, le dispositif devant permettre aux chercheurs d’accéder plus facilement aux documents qui, à ce jour, ne sont pas encore disponibles gratuitement sur le Web. Les documents pourront même être téléchargés depuis le site de la bibliothèque nationale, tant qu’aucun usage commercial n’en est fait. C’est donc la logique d’accès libre et gratuit, d’échange et de partage qui est mise en avant à la fois par la British Library et par Google, qui signe ici l’un de ses partenariats peut-être le plus symbolique avec une grande bibliothèque nationale européenne.

En effet, malgré les réticences du monde de l’édition, Google poursuit sans relâche son projet de numérisation des livres : après 15 millions de volumes numérisés entre 2005 et 2010, Google espère, dans les années à venir, avoir numérisé tous les livres de la planète, soit au total 130 millions de livres. A cette fin, Google opte systématiquement pour des accords avec de grandes bibliothèques, seul moyen d’accéder facilement et rapidement à des fonds gigantesques qui contiennent des ouvrages que les éditeurs, même pour les titres encore sous droit, ont cessé de commercialiser. C’est d’ailleurs sur ce point et sur la question des œuvres orphelines que Google achoppe avec les éditeurs, y compris aux Etats-Unis où l’accord entre Google et les éditeurs et auteurs américains a été dénoncé par le juge le 22 mai 2011 (voir REM n°18-19, p.10).

Reste qu’à long terme Google devrait parvenir à numériser l’essentiel du savoir consigné dans les livres et à le mettre à disposition, une quarantaine de partenariats avec de grandes bibliothèques à travers le monde ayant déjà été conclus. Toute la question sera celle des conditions d’accès, une fois le problème des droits d’auteurs et de la rémunération des ayants droit réglés. En effet, le juge américain, comme de nombreux responsables de grandes bibliothèques, s’inquiètent du monopole industriel que Google est en train de se constituer sur le patrimoine numérisé. Doit-on favoriser une diversité dans les vecteurs d’accès aux contenus ou, parce qu’Internet autorise l’émergence d’une bibliothèque universelle, doit-on au contraire jouer la carte de la plate-forme unique avec ses déclinaisons nationales ? L’accord avec la British Library emprunte une voie médiane, les documents étant accessibles autant sur Google Books que sur le site de la bibliothèque nationale, qui cumule 10 millions de visiteurs par an. Autant dire que l’enjeu est bien celui de la propriété des fichiers numériques, le fait pour Google de ne pas en être le dépositaire exclusif. A partir du moment où les mêmes fichiers sont disponibles depuis les sites des bibliothèques et téléchargeables pour les utilisateurs, sans devoir passer par un service commercial, les institutions patrimoniales jouent leur rôle qui consiste à favoriser l’accès de tous à la culture. Elles peuvent également diversifier leurs partenaires : la British Library s’est ainsi mis d’accord en 2010 avec Microsoft pour numériser 350 ans d’archives de journaux et 650 000 livres du XIXe siècle. Et Microsoft est également tombé d’accord avec la Bibliothèque nationale de France (BnF), le 7 octobre 2010, cette fois-ci pour optimiser le référencement, au sein de son moteur de recherche Bing, des livres libres de droit en ligne sur le site de la BnF.

Peut-on alors imaginer des partenariats entre public et privé qui satisfassent à la fois les objectifs des grands acteurs d’Internet et des bibliothèques qui disposent de fonds gigantesques, mais pas toujours de moyens suffisants pour en financer la numérisation, le référencement et les dispositifs de consultation en ligne ? C’est la carte que joue la BnF, qui a lancé, le 6 juillet 2011, un appel pour un partenariat avec une entreprise privée afin de numériser et de valoriser ses collections, pour un coût évalué à 150 millions d’euros. En comparaison, le budget que la BnF consacre chaque année à son programme de numérisation est de 7 millions d’euros. Afin d’attirer les investisseurs privés, et dans le cadre du grand emprunt, une filiale « BnF-partenariats » sera créée fin 2011 qui servira de réceptacle pour les fonds issus du Commissariat général à l’investissement (CGI) et ceux des partenaires privés. Les partenaires privés, moyennant une redevance payée à la filiale, auront la possibilité de commercialiser les ouvrages numérisés. Frédéric Mitterrand, ministre de la Culture et de la Communication, a précisé à cette occasion que les partenariats avec le secteur privé « devront être équilibrés et les avantages concédés aux entreprises proportionnés à l’investissement et aux risques qu’elles acceptent de prendre ». Plus que l’accès aux œuvres numérisées, qui seront également disponibles sur le site Galica de la BnF, c’est le service associé qu’imaginera le prestataire privé qui sera facturé. L’appel à partenariat concerne pour l’instant les livres des XVe, XVIe et XVIIe siècles, les archives de la presse française entre 1780 et 1940, et enfin 300 000 disques. Pour les livres encore sous droit, des accords de numérisation sont également possibles, avec une valorisation à la clé, comme en témoigne l’accord passé entre la BnF, le ministère de la Culture et de la Communication, le CGI et les éditeurs français, signé le 1er février 2011, pour numériser 500 000 ouvrages du XXe siècle, encore sous droit, mais désormais indisponibles en librairie.

Ce dernier accord aura, sans aucun doute, facilité la tâche de la Commission européenne, soucieuse de trouver un moyen d’harmoniser, au niveau européen, les conditions d’accès aux livres numérisés, notamment pour les bibliothèques. C’est ce à quoi est parvenu Michel Barnier, commissaire européen au marché intérieur, en ayant réussi à réunir les éditeurs européens (représentés par la Fédération des éditeurs européens – FEE), les représentants des auteurs et les bibliothèques, qui ont fini par adopter un protocole, signé le 20 septembre 2011. Celui-ci organise les conditions de numérisation et de mise à disposition, par les bibliothèques, des livres encore sous droits mais non commercialisés. Le protocole porte donc exclusivement sur les œuvres épuisées, mais présentes dans les bibliothèques, et non sur les œuvres orphelines. Il porte sur leur numérisation par des bibliothèques, des entités n’ayant pas vocation à faire de profits économiques. A ces conditions, et si les différentes parties se mettent d’accord au niveau local, les bibliothèques pourront numériser des livres sous droits mais épuisés. La dimension « locale » est essentielle parce qu’il ne s’agit pas d’une licence européenne, même si les livres pourront ensuite se retrouver sur Europeana, et surtout parce qu’un livre est considéré comme épuisé, selon le protocole d’accord, à partir du moment où il n’est plus commercialisé dans le pays où se trouve l’entreprise qui l’a édité. En revanche, le protocole d’accord ouvre la voie à des licences européennes et à l’exploitation commerciale des œuvres numérisées par les ayants droit. A titre de contrepartie sur l’autorisation de numérisation, le protocole laisse aux ayants droit la possibilité d’exploiter commercialement leurs œuvres numérisées par les bibliothèques. Les ayants droit peuvent également décider si les livres numérisés pourront être disponibles hors des frontières nationales, donc donner une autorisation au niveau européen. Sauf que les ayants droit, au moins les auteurs, risquent d’être rarement consultés, l’harmonisation de la gestion des droits numériques étant renforcée au niveau de l’Union européenne, avec l’octroi par défaut aux sociétés de gestion collective de la gestion des droits numériques des livres numérisés, y compris pour les auteurs non adhérents, afin que ceux-ci n’aient pas à négocier directement avec les bibliothèques. Ces mêmes sociétés de gestion collective, qui représentent les intérêts commerciaux des ayants droit, pourront donc s’opposer à la mise à disposition des livres hors des frontières nationales et à la constitution d’une bibliothèque numérique européenne.

Sources :

  • « La British Library dépoussière ses livres rares pour Google », Luca Sabbatini, La Tribune de Genève, 21 juin 2011.
  • « La British Library va mettre en ligne 250 000 livres des 18e et 19e siècles », AFP, 23 juin 2011.
  • « La BNF fait appel à des partenaires privés pour numériser ses collections », AFP, 6 juillet 2011.
  • « La BNF lance un appel au privé pour numériser ses collections », Nathalie Silbert, Les Echos, 7 juillet 2011.
  • « Europeana se nourrira des œuvres épuisées des 27 Européens », Xavier Gillard, Actuallitte.com, 22 septembre 2011.
  • « Numérisation : accord sur les livres épuisés », AFP, 22 septembre 2011.
Professeur à Aix-Marseille Université, Institut méditerranéen des sciences de l’information et de la communication (IMSIC, Aix-Marseille Univ., Université de Toulon), École de journalisme et de communication d’Aix-Marseille (EJCAM)

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