News Corp. cède MySpace pour seulement 35 millions de dollars

Alors que la valorisation des sociétés internet s’envole, notamment pour les services à dimension sociale comme Facebook, Twitter ou LinkedIn (voir REM n°18-19, p.26), News Corp. a cédé le pionnier des réseaux sociaux, MySpace, pour seulement 35 millions de dollars (24 millions d’euros). Le groupe de médias, qui avait anticipé avant les autres les succès futurs du Web communautaire, prend acte de l’échec de son service face à Facebook.

Lors du rachat de MySpace en juillet 2005, pour la somme de 580 millions de dollars (environ 400 millions d’euros), News Corp. est apparu comme visionnaire : le groupe de médias venait de s’emparer de l’une des pépites du Web. Utilisé à l’époque par 75 % des Américains, MySpace se distinguait grâce à son expérience sociale qu’il était le seul à proposer, bénéficiant ainsi d’une dynamique devant lui permettre de valoriser son audience importante. C’est sur cette promesse de rentabilité que News Corp. est parvenu, en 2006, à sceller un accord commercial avec Google. Pour une période de trois ans, le moteur de recherche a pris en charge la gestion des liens sponsorisés sur les sites web d’Interactive Corp., la division Internet de News Corp. qui inclut MySpace, et s’est engagé en contrepartie à verser un minimum garanti de 900 millions de dollars tout au long de cette période (voir REM n°0, p.13). L’investissement de News Corp. dans MySpace semblait alors « naturellement » rentable. Sauf que le réseau social fondé en 2003 par Chris de Wolfe et Tom Anderson a vu son succès décliner à mesure que s’imposait Facebook, le réseau social de Mark Zuckerberg, créé en 2004. Entre les deux sites, les transferts d’audience ont été flagrants, avant que Facebook ne gagne définitivement la partie. MySpace a bénéficié au départ d’une longueur d’avance et il aura fallu attendre 2009 pour que la courbe des audiences s’inverse au profit de Facebook : ainsi le nombre de visiteurs uniques sur MySpace aux Etats-Unis a été divisé par plus de deux entre 2009 et 2011 pour atteindre, début 2011, 35 millions de visiteurs uniques par mois, contre 157 millions pour Facebook ; dans le monde, la comparaison est encore plus douloureuse puisque MySpace comptabilise 100 millions de visiteurs uniques contre 500 millions de membres actifs sur Facebook et plus de 700 millions de comptes ouverts.

En 2008, au faîte de sa gloire, MySpace se permettait d’être rentable pour la première fois, avec un chiffre d’affaires publicitaire supérieur au milliard de dollars. Six mois plus tard, Facebook le dépassait, un an avant l’échéance de juin 2010, date à laquelle le contrat de régie signé en 2006 entre MySpace et Google arrivait à son terme. La réaction de News Corp. fut de tenter de relancer le réseau social en le positionnant différemment, afin de le rendre de nouveau attractif pour les régies et des partenaires potentiels. MySpace s’est donc spécialisé dès 2009 dans la musique et reste aujourd’hui un espace de promotion communautaire des artistes. Mais le site n’est jamais parvenu à développer ses activités de vente de musique en ligne et à s’imposer ainsi comme une alternative à l’iTunes d’Apple. La chasse aux coûts a donc suivi : en juin 2009, MySpace annonçait la suppression de 30 % de ses effectifs aux Etats-Unis et la division par trois de ses effectifs à l’échelle internationale ; en janvier 2011, une nouvelle réduction de 30 % des effectifs aux Etats-Unis était annoncée. Ces plans successifs de licenciements ont permis d’abaisser le seuil de rentabilité de MySpace pour rendre le site plus attrayant aux yeux des investisseurs. Restait alors à régler le problème de l’accord de régie pour mettre définitive- ment MySpace sur le marché. Finalement, un accord avec Google a été de nouveau trouvé en décembre 2010, Google s’engageant une deuxième fois avec MySpace, mais dans des conditions moins avantageuses pour le site communautaire. Les minima garantis sont supprimés et Google prend également en charge la publicité display – les bannières – sur le réseau social. Pour Google, cet accord lui permet d’élargir son audience dans le display où le groupe californien, malgré le rachat de la régie Double Click en 2007 (voir REM n°6-7 p.54), doit faire face à une concurrence plus rude que sur le marché des liens sponsorisés. Selon ComScore et eMarketer, MySpace devrait générer en 2011 quelque 180 millions de dollars de recettes publicitaires, contre 470 millions de dollars en 2009. En comparaison, le chiffre d’affaires publicitaire de Facebook devrait avoisiner les 4 milliards de dollars en 2011.

Une fois l’accord avec Google reconduit, MySpace a été officiellement mis en vente en février 2011 lors de la présentation des résultats du deuxième trimestre 2010–2011 du groupe News Corp. A défaut d’une vente, un partenariat avec un grand acteur d’Internet était également évoqué. Une valorisation de 100 millions de dollars pour MySpace fut avancée par la presse mais c’est fina- lement au prix de 35 millions de dollars, quinze fois moins que le prix payé lors de son rachat par News Corp. en 2005, que MySpace a été vendu, le 29 juin 2011, à la régie en ligne Specific Media. Cette dernière s’est associée pour l’occasion au chanteur Justin Timberlake : celui-ci supervisera le positionnement éditorial du site autour de la musique et de la vidéo, la régie Specific Media apportant notamment sa capacité à cibler les internautes pour leur proposer les contenus les mieux adaptés à leurs centres d’intérêt. Pour News Corp., la séparation d’avec MySpace signe la fin d’une stratégie de développement sur Internet, audacieuse et visionnaire en 2005 quand le groupe s’est emparé de MySpace, mais qui n’a jamais permis au groupe de médias de s’imposer comme un puissant acteur sur le Web.

Sources :

  • « Pub : MySpace et Google renouvellent leur partenariat », Marie- Catherine Beuth, Le Figaro, 17 décembre 2010.
  • « En vente, MySpace va réduire de 50 % ses effectifs », La Tribune, 5 janvier 2011.
  • « MySpace revendu seize fois moins cher qu’il y a six ans », Marine Rabreau, Le Figaro, 30 juin 2011.
  • « News Corp. vend MySpace quinze fois moins cher qu’il ne l’avait acheté », Sandrine Cassini, La Tribune, 30 juin 2011.
  • « Rupert Murdoch se débarrasse de MySpace à un prix dérisoire », Laurence Girard, Le Monde, 1er juillet 2011.
  • « News Corp. tire un trait sur l’aventure MySpace », Pierre de Gasquet, Les Echos, 1er juillet 2011.
  • « MySpace cédé à Specific Media et Justin Timberlake », Marie- Catherine Beuth, Le Figaro, 1er juillet 2011.
Professeur à Aix-Marseille Université, Institut méditerranéen des sciences de l’information et de la communication (IMSIC, Aix-Marseille Univ., Université de Toulon), École de journalisme et de communication d’Aix-Marseille (EJCAM)

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