En écartant le directeur général de Yahoo!, Carole Bartz, le conseil d’administration du groupe a témoigné de ses inquiétudes sur l’avenir du portail. En effet, après son échec sur le marché de la recherche, Yahoo! est désormais concurrencé sur les activités de portail et la vente de bannières par Google et Facebook, qui pourraient rapidement lui faire perdre ses derniers atouts aux yeux des annonceurs.
Après l’échec du rachat de Yahoo! par Microsoft en 2008, lié à l’animosité du fondateur du groupe, Jerry Yang, à l’égard d’une entreprise de logiciels, symbole des pratiques fermées de l’avant-Internet (voir REM n°12 p.36), les actionnaires de Yahoo! ont réagi en nommant Carole Bartz à la tête du portail internet le 13 janvier 2009. Ancienne directrice générale d’Autodesk, Carole Bartz a su trouver une sortie pour le portail en signant un accord avec Microsoft, confiant à celui-ci la recherche sur le moteur de Yahoo!, en échange de quoi Yahoo! récupère 88 % des recettes générées par la vente des liens sponsorisés. Cet accord a mis fin aux ambitions technologiques de Yahoo! dans le domaine de la recherche, pour se recentrer sur l’expérience de l’internaute et les contenus, adoptant la même stratégie qu’AOL qui, à l’inverse de Yahoo!, n’a jamais disposé de moteur de recherche.
Simultanément, Carole Bartz a appliqué au portail une sévère cure d’amaigrissement en supprimant 1300 postes en trois ans. Logiquement, Yahoo! est redevenu bénéficiaire, mais avec un chiffre d’affaires publicitaire en baisse. Yahoo! est en fait concurrencé par Google et Facebook, plus efficaces et souvent plébiscités par les internautes, qui se développe chacun sur le marché des bannières où Yahoo! fut longtemps dominant. Yahoo! a également perdu son « âme » avec le départ de ses meilleurs éléments. La logique gestionnaire a ici buté sur les spécificités du secteur internet, où la fuite des cadres est rapide, comparée à celle des autres secteurs industriels. Or, il s’agit d’un secteur où l’innovation est essentielle, ce qui suppose souvent de développer en interne une politique d’accompagnement et de faveurs – illustrée par les stocks options dans les start-up – plutôt qu’une politique de réduction des coûts qui, sauf à se débarrasser de certaines activités, consiste toujours à faire plus avec moins. C’est finalement cette approche du management et l’absence de perspectives pour Yahoo! qui ont été sanctionnées, le 6 septembre 2011, par le conseil d’administration du groupe, lequel a préféré éconduire Carole Bartz un an avant la fin de son mandat. A vrai dire, Yahoo! se cherche une stratégie depuis l’échec de son rachat par Microsoft, qui proposait jusqu’à 47,5 milliards de dollars pour la société, tout en apportant une dimension technologique nouvelle au groupe. Amputé aujourd’hui de son moteur, Yahoo! ne vaut plus en Bourse que 16,8 milliards de dollars (le 6 septembre 2011), le tiers du prix proposé par Microsoft deux ans plus tôt. Et ses perspectives de développement sur le marché publicitaire sont limitées. Sur les liens sponsorisés, le partenariat avec Microsoft ne produit pas les effets attendus, la migration technologique des plates-formes, plus longue que prévue, engendrant même des contre-performances pour Yahoo!, dont les revenus sur le search ont chuté de 45 % entre le premier semestre 2010 et le premier semestre 2011 sur le marché nord-américain. Enfin, sur le marché des bannières, longtemps dominé par Yahoo!, Google a pris la première place aux Etats-Unis en 2011 et continue de développer sa régie DoubleClick en nouant des partenariats, comme celui conclu avec MySpace (voir supra), pour disposer d’une offre d’espaces et d’une audience toujours plus élargie.
En l’occurrence, le repositionnement de Yahoo! sur les contenus, qui s’est inspiré de la stratégie d’AOL, apparaît comme un échec, malgré ses 600 millions de visiteurs uniques par mois dans le monde. En effet, si AOL résiste grâce à une politique ambitieuse de rachat de sites haut de gamme comme TechCrunch ou le Huffington Post (voir REM n°18- 19 p.43), qui d’ailleurs permet à peine au groupe de maintenir ses positions, Yahoo! est en revanche concurrencé de plein fouet par le Web social. En effet, historiquement, ses pépites ne sont pas dans les contenus, mais dans la recherche, dans la messagerie (100 millions d’utilisateurs) et en partie dans les réseaux communautaires avec Flickr, le site de partage de photographies. Or, la stratégie du géant du Web social, Facebook, consiste à rapatrier dans son univers le maximum de contenus autour de l’expérience communautaire, à tel point que Facebook a dépassé Flickr en 2011 pour le partage de photos, a rendu quasi obsolètes les services de messagerie instantanée et accueille de plus en plus de vidéos et d’information de presse, se transformant en portail d’un nouveau genre. En conséquence, Facebook devrait, dès 2011, dépasser Yahoo! sur le marché des bannières internet.
A ces difficultés stratégiques liées à l’évolution de la notion même de « portail » – qui ne se comprend plus seulement comme plate-forme multimédia, mais également comme dispositif communautaire – s’ajoutent pour Yahoo! des relations difficiles avec le site de e-commerce chinois Alibaba, dirigé par son fondateur, Jack Ma. Yahoo! qui détient 40 % du capital, une participation achetée en 2005 pour un milliard de dollars ; et cette participation dans Alibaba constitue désormais probablement l’actif le plus stratégique du groupe américain. Le marché chinois obéit partout à des règles différentes : le 11 mai 2011, Alipay, la filiale de paiement d’Alibaba, qui compte cinq fois plus de clients que PayPal, a été dissociée du groupe et hébergée dans une entité 100 % chinoise, sans que Yahoo! en soit averti. Pour Jack Ma, il s’agissait de proposer une solution de paiement exclusivement chinoise à la banque centrale de Chine, au moment où celle-ci renouvelait les licences aux établissements de paiement en ligne. Reste qu’il s’agit d’une perte pour Yahoo!, qui a demandé des compensations, mais qui a été mis devant le fait accompli. L’incapacité de Yahoo! à contrôler Alibaba et son fondateur Jack Ma aura sans doute coûté son poste à Carole Bartz.
Après le renvoi de Carole Bartz, directeur financier du groupe, Thimoty Morse, a été nommé directeur général à titre intérimaire, avant de trouver un nouveau patron capable de redonner un nouveau souffle au portail. Mais ce patron pourrait avoir pour objectif, après la cession ces dernières années du service Del.icio.us, du site d’emploi Hotjobs et de la messagerie professionnelle Zimbra, de déposséder encore la société de ses actifs non rentables, afin de mieux la vendre par la suite. Si un rapprochement avec AOL, pourtant déficitaire, est évoqué, comme ce fut le cas au moment de l’offre de Microsoft, reste que la valorisation historique proposée par Microsoft – et désormais impossible depuis que celui-ci est parvenu à verrouiller son contrôle sur la technologie de recherche – pèsera sur toutes les stratégies possibles d’alliances. Finalement, Yahoo! pourrait intéresser des groupes étrangers désireux de pénétrer le marché américain : le 30 septembre 2011, dans une conférence donnée à l’université de Stanford en Californie, Jack Ma s’est dit « très intéressé par Yahoo! », non seulement pour reprendre les 40 % de Yahoo! dans Alibaba, mais bien pour prendre le contrôle du groupe dans son ensemble. Selon Bloomberg, cette opération pourrait être montée grâce à une coentreprise regroupant le chinois Alibaba, le fonds russe Digital Sky Technologies, déjà présent au capital de Facebook, Groupon ou Zynga et, enfin, le groupe de capital investissement américain Silver Lake. Une telle opération – avec un groupe chinois et un groupe russe s’emparant de Yahoo! – fera assurément l’objet d’un examen très attentif de la part des autorités américaines.
Sources :
- « Yahoo! évincé par son partenaire chinois », Julie Desné, Le Figaro, 13 mai 2011.
- « Yahoo! rattrapé par Facebook dans la publicité en ligne », Jason Wiels, La Tribune, 20 juillet 2011.
- « Yahoo! ne recueille toujours pas les fruits de sa mue », Nicolas Rauline, Les Echos, 21 juillet 2011.
- « L’avenir s’assombrit pour Yahoo!, l’ex-star du Net », Nicolas Rauline, Les Echos, 8 septembre 2011.
- « La patronne de Yahoo! débarquée », Marie-Catherine Beuth, Le Figaro, 8 septembre 2011.
- « Une étonnante alliance sino-américaine-russe pour se payer Yahoo ? », latribune.fr, 4 octobre 2011.