La Neutralité d’Internet dans les différents pays européens : état des débats et enseignements à en tirer

Le mode de fonctionnement originel de neutralité du réseau Internet se trouve remis en cause, tout à la fois, par l’accroissement du trafic des données qui transitent par le réseau et par le développement des usages illégaux au regard du droit d’auteur. Certains opérateurs et certains ayants droit ont été amenés à adopter des pratiques en conséquence, allant à l’encontre du respect du principe de neutralité d’Internet.

Ce rapport propose de mettre en lumière l’état d’avancement des réflexions sur ce sujet en Europe, afin d’en tirer les conclusions nécessaires à l’élaboration d’une éventuelle législation française sur la neutralité d’Internet. La députée UMP Laure de La Raudière est l’auteure d’un premier rapport sur ce sujet, avec la députée socialiste des Côtes-d’Armor Corinne Erhel, remis à la commission des Affaires économiques de l’Assemblée nationale en avril 2011, dans lequel elles défendaient l’idée d’une législation sur la neutralité d’Internet définie comme « le principe selon lequel toutes les informations sont acheminées sans discrimination sur les réseaux ».

Concernant les modalités et les enjeux de la neutralité d’Internet, ce nouveau rapport rappelle les trois points spécifiques qui font l’objet de débats : la gestion du trafic (blocage, dégradation ou priorisation de certains flux), l’interconnexion (modalités techniques et commerciales d’échanges d’information entre opérateurs et fournisseurs de services) et le filtrage (obligations légales de bloquer certains flux). Pour dix-huit pays européens, un tableau présente une comparaison sur quatre points de l’état d’avancement des politiques publiques : la transposition du troisième paquet télécoms, l’action du régulateur, l’action du Parlement et du Gouvernement, les possibilités de filtrage légal. Parmi les dispositions relatives à la neutralité d’Internet comprises dans le troisième paquet télécoms, directive européenne adoptée en novembre 2009 (voir REM n°14-15, p.5), le rapport rappelle celle qui fixe comme objectif aux autorités réglementaires nationales de promouvoir la neutralité d’Internet, celle qui oblige les opérateurs à informer les consommateurs sur les niveaux de qualité de service fournis et les mesures de gestion de trafic mises en œuvre et celle qui offre la faculté aux autorités réglementaires nationales de fixer un niveau minimal de service. Il montre que les pays européens « sont mobilisés à des degrés variables ».

Trois pays, les Pays-Bas, l’Allemagne et le Royaume-Uni, ont été sélectionnés par l’auteure afin d’illustrer l’avancement des débats sur la neutralité d’Internet. Les Pays-Bas sont les premiers à avoir adopté une législation protégeant la neutralité d’Internet (voir REM n°20, p.14), notamment en interdisant aux fournisseurs d’accès de bloquer ou de dégrader certains flux, sauf dans des cas stricte- ment encadrés. En Allemagne, la neutralité d’Internet ne semble pas rencontrer de difficultés particulières, selon le constat établi par l’instance de régulation, les rares cas avérés en matière de neutralité ayant été réglés en faisant pression sur les opérateurs, sans intervention législative ou réglementaire. En revanche, la commission d’enquête créée par le Parlement sur la neutralité d’Internet n’est pas parvenue à établir un consensus autour de cette notion. De plus, la défense de la liberté d’expression est apparue comme un sujet plus sensible que celui des réalités économiques lors des débats au sein de plusieurs parlements régionaux où siègent désormais des membres du « Parti pirate ». Au Royaume-Uni, le régulateur a d’abord privilégié l’autorégulation du marché. Conformément à une prise de position de l’instance de régulation sur la politique à mettre en œuvre vis-à-vis des consommateurs, les opérateurs ont adopté un code de bonne conduite en matière de transparence en mars 2011, selon lequel ils publient des informations claires sur les limitations comprises dans leurs offres de service. Le régulateur a d’autre part accordé davantage d’attention aux débits réellement fournis qu’aux techniques de gestion de trafic mises en œuvre par les opérateurs. Cependant, dans un document intitulé OFCOM’s approach to net neutrality publié en novembre 2011, le régulateur britannique se montre plus interventionniste. Il estime que le blocage de certains services dans le cadre d’un accès à Internet apparaît « hautement indésirable, en raison de ses effets potentiels sur l’innovation ».

Parmi les enseignements à tirer de cette étude européenne, l’auteure retient, entre autres, la nécessité d’une intervention publique puisque « le jeu de la concurrence n’est pas suffisant pour garantir la neutralité du Net » ; le besoin d’une définition homogène de la neutralité au niveau européen ; l’émergence avérée d’un consensus pour interdire le blocage d’applications, de services et de contenus dans le cadre d’un accès à Internet ; l’amélioration de la transparence sur la nature des offres des opérateurs (qui est possible, comme le montre l’exemple du Royaume-Uni ) et, enfin, des mesures de qualité de service devant être réalisées de manière indépendante. Le travail de réflexion doit néanmoins être poursuivi sur des questions majeures, la différenciation du traitement des flux de trafic, l’interconnexion et les obligations de filtrage. Sur ce dernier point, l’auteure note que « les acteurs publics rencontrés impliqués dans les débats sur la neutralité du Net ne font pas le lien entre la dimension technico-économique et la dimension liberté d’expression ».

Instance de concertation créée par le paquet télécoms de 2009, l’Organe des régulateurs européens de communications électroniques (ORECE) a réalisé, à la demande de la Commission européenne, une enquête sur les pratiques de gestion de trafic des opérateurs européens. Prenant en compte 250 opérateurs de communication fixe et 150 opérateurs de communication mobile, représentant 90 % du marché européen, l’étude livrée par l’ORECE fin février 2012, montre que le blocage de la voix sur Internet (VoIP) pour la téléphonie mobile et la dégradation du peer-to-peer (poste à poste) aux heures de pointe sont des pratiques répandues en Europe. Désormais, la volonté politique de protéger la neutralité d’Internet se manifeste expressément en Europe. En novembre 2011, le Parlement européen a adopté une résolution sur l’Internet ouvert et la neutralité d’Internet. La Commission européenne devrait annoncer un projet de recommandation spécifique très prochainement, établi avant la fin de l’année 2012 pour être mis ensuite en consultation. Il reste que, comme le souligne l’auteure du rapport, le délai de plusieurs années entre l’élaboration d’une proposition de directive et sa transposition par les Etats membres laissent le temps de voir naître de nouvelles problématiques technico-économiques. En France, l’ARCEP a ouvert une consultation publique du 16 mai au 20 juin 2012 sur son projet de rapport au Parlement et au Gouvernement sur la neutralité d’Internet, en application de la loi du 22 mars 2011.

La Neutralité d’Internet dans les différents pays européens : état des débats et enseignements à en tirer, rapport de mission confiée à Laure de La Raudière, députée d’Eure-et-Loir par Monsieur Eric Besson, ministre de l’industrie, de l’énergie et de l’économie numérique, 32 p., ladocumentationfrancaise.fr, 2 mai 2012

Ingénieur d’études à l’Université Paris 2 - IREC (Institut de recherche et d’études sur la communication)

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