PQR : sous l’effet de la concentration, les titres poursuivent leur restructuration

La constitution de la holding entre les actifs français du groupe Rossel et le Groupe Hersant Média ont conduit ce dernier à lancer la restructuration de son pôle normand afin de pouvoir le céder dans de bonnes conditions. A l’est, la prise de contrôle de L’Est Républicain par le Crédit Mutuel conduit au départ près de 110 journalistes. Enfin, le groupe Centre France devient le premier actionnaire de la NRCO, renforçant encore son contrôle sur ce nouveau pôle intégré de presse quotidienne régionale.

Paris Normandie en dépôt de bilan avant une vente certaine

Le rapprochement du groupe Rossel, par l’intermédiaire de ses actifs français, avec les journaux du Groupe Hersant Média en Champagne Ardenne et en région Paca, annoncé le 11 octobre 2011 (voir REM n°21, p.20), laissait présager, dans ses modalités, une poursuite de la restructuration et de la concentration de la presse quotidienne régionale française. En effet, les conditions du rapprochement des deux entités en holding, imposées notamment par les banques, obligent le Groupe Hersant Média à retrouver le chemin de la rentabilité : à l’horizon 2019, un prêt de 100 millions d’euros remboursables en actions (ORA) permettra aux banques, en cas de non-remboursement, de prendre le contrôle de 25 % de la holding constituée avec le belge Rossel, faisant automatiquement chuter la part du Groupe Hersant Média à 25 % et ouvrant la voie à une prise de contrôle du nouvel ensemble par le groupe Rossel seul. Autant dire qu’aux performances de la holding s’ajoute pour le Groupe Hersant Média l’obligation de rentabiliser les actifs qu’il a en propre, pour financer sa dette soit par les bénéfices dégagés, soit par une vente dans de bonnes conditions. Sont donc principalement concernés France Antilles et la Société normande de presse d’édition et d’imprimerie (SNPEI), qui édite le quotidien Paris Normandie et qui avait été retirée du projet de holding du fait de ses difficultés économiques. Concernant le pôle France Antilles, la vente annoncée des titres en Nouvelle-Calédonie et à Tahiti s’est traduite, dès le 13 février 2012, par l’annonce d’un accord avec l’homme d’affaires Albert Moux, déjà actionnaire des Nouvelles de Tahiti, qu’il rachète avec La Dépêche de Tahiti. Mais le véritable enjeu se trouve du côté de Paris Normandie qui intéresse le groupe Rossel, un rachat lui permettant de renforcer sa couverture du nord de la France avec, dans le prolongement des titres de la SNPEI, Le Courrier Picard et la Voix du Nord, ainsi que les titres du Groupe Hersant Média en Champagne Ardenne inclus dans la holding.

C’est pour valoriser correctement la SNPEI, mise en vente depuis un an et qui n’intéresse pas en l’état le groupe Rossel, que l’entreprise a été mise en dépôt de bilan le 29 février 2012. Présenté le 14 mars 2012, le plan de développement pour sortir la SNPEI de ses difficultés ne laisse d’ailleurs aucun doute sur les intentions du Groupe Hersant Média. Pour Michel Lepinay, président de la SNPEI, « l’objectif est de retrouver l’équilibre d’exploitation dès 2013, et de renouer avec les bénéfices en 2015. Des perspectives indispensables pour être en mesure de présenter un plan de continuation de l’activité ou intéresser d’éventuels repreneurs. »

A vrai dire, la SNPEI, qui regroupe quatre quotidiens Paris Normandie, Havre-Libre, Le Havre Presse et Le Progrès de Fécamp, ainsi que deux hebdomadaires, Liberté-Dimanche et Havre-Dimanche, est confrontée à des pertes récurrentes sur fond d’audience en recul. Ici encore, l’héritage industriel et la perte de lecteurs, combinés à un manque d’investissements, rendent l’ensemble chroniquement déficitaire. Ainsi, le journal amiral du groupe, Paris Normandie, né en 1944 à la Libération après la fermeture du Journal de Rouen pour cause de collaboration, a connu ses heures de gloire dans les années 1950 et 1960. En 1972, à l’occasion de son rachat par la Socpresse de Robert Hersant, le titre affichait encore une diffusion de 166 000 exemplaires. Or celui-ci est tombé à 52 606 exemplaires en 2011. Quant à la SNPEI, née du rapprochement de Paris Normandie avec les journaux du Havre, son tirage annuel s’élève en 2011 à 76 000 exemplaires selon l’OJD, l’essentiel étant donc apporté par Paris Normandie. Ces mauvais chiffres sont le résultat d’une érosion des ventes qui s’est accélérée depuis 2006, où la diffusion était encore de 94 000 exemplaires vendus. Parallèlement à ces ventes en baisse, la SNPEI dispose d’effectifs en surnombre, pas nécessairement pour les rédactions, mais certainement pour ses imprimeries : la SNPEI comptabilisait, le jour du dépôt de bilan, 365 salariés dont 114 ouvriers (dont 60 rotativistes), 108 journalistes, 65 commerciaux pour la régie publicitaire SNP et 20 personnels administratifs. Ces effectifs pléthoriques dans l’imprimerie contribuent sans doute à expliquer les difficultés financières rencontrées par la SNPEI qui, après quatre plans d’économie depuis 2006, est toutefois parvenue à ramener son déficit d’exploitation de 4,6 à 2 millions d’euros en 2011, pour un chiffre d’affaires de 39,6 millions d’euros. Ces pertes accumulées auront ainsi coûté 32 millions en trésorerie et abandon de créances en dix ans au Groupe Hersant Média, qui avance ces chiffres pour répondre aux accusations d’absence d’investissement dans la SNPEI, dont les sièges sociaux du Havre et de Rouen ont été vendus, alors même que le groupe a investi, en 2007, 160 mil- lions d’euros dans le rachat de son pôle PACA (voir REM n°5, p.10). Pour remédier à ces déséquilibres financiers au sein de la SNPEI, le plan de développement présenté le 14 mars 2012 repose sur 111 suppressions de postes, dont 21 journalistes. La régie et ses 65 employés étant logés dans une structure distincte, c’est donc 30 % du total des effectifs qui sera supprimé. Par ailleurs, le plan prévoit également une nouvelle formule pour Paris Normandie, le développement du numérique, des services et de l’événementiel, enfin des économies sur les coûts de structure et de production, notamment l’imprimerie et l’administration.

Une nouvelle offre de reprise, rendue publique le 5 avril 2012, a toutefois offert un répit aux salariés de la SNPEI. Il s’agit d’une offre ferme proposée par Xavier Ellie, ancien directeur du Progrès de Lyon, et Denis Huertas, ancien directeur du Dauphiné Libéré. Cette offre limite à 88 le nombre de suppressions de postes. Examinée le 11 avril 2012 par le tribunal de commerce, elle a permis de prolonger jusqu’au 21 juin 2012 la période d’observation de Paris Normandie. Fort de cette première offre de reprise, le Groupe Hersant Média, par l’intermédiaire de Dominique Bernard, son directeur général, a confirmé le lendemain que la restructuration avait bien pour objectif « de susciter des offres de reprise ». Le jour de la date limite de dépôt des offres de reprise auprès du tribunal de commerce, le 15 mai 2012, deux offres supplémentaires ont été déposées. La première émane de Jean-Charles Bourdier, ancien dirigeant du Républicain Lorrain, qui propose 120 suppressions de postes et la montée à 50 % du numérique dans le chiffre d’affaires. La seconde a été déposée par le groupe Rossel, qui table également sur 120 suppressions de poste et ajoute deux conditions suspensives, la finalisation de l’accord de constitution de la holding avec le Groupe Hersant Média, le rachat au Groupe Hersant Média de son pôle Champagne Ardennes Picardie, lui aussi soumis à une restructuration, puisque un plan de 270 suppressions de postes est prévu sur un total de 650 employés.

Le Crédit Mutuel confronté à un déclenchement sans précédent de la clause de cession

Devenu en quelques années le premier acteur du marché de la presse quotidienne régionale en France, le Crédit Mutuel est aujourd’hui confronté à la fronde de ses rédactions, inquiètes des projets de restructuration que la banque pourrait conduire, et cela en l’absence de communication explicite sur ses projets. Ainsi, malgré l’aval sous conditions donné le 12 juillet 2011 par l’Autorité de la concurrence pour la prise de contrôle du groupe Est Républicain par le Crédit Mutuel (voir REM n°20, p.24), notamment l’interdiction d’harmoniser les contenus entre les titres déjà détenus par le Crédit Mutuel et ceux du groupe Est Républicain, dont le quotidien éponyme, Les Dernières Nouvelles d’Alsace et Vosges Matin, ce sont au total près de 110 journalistes qui ont fait jouer la clause de cession à la date butoir du 31 décembre 2011, dont plus de 50 journalistes des Dernières nouvelles d’Alsace, soit presque 30 % des effectifs de la rédaction de 190 journalistes. Le quotidien étant en concurrence avec L’Alsace, détenu également par le Crédit Mutuel, cette vague massive de départs laisse peut-être présager des tensions à venir entre les deux titres. Les rédactions de L’Est Républicain et de Vosges Matin voient de leur côté 20 % de leurs journalistes faire jouer la clause de cession, soit environ 40 journalistes pour L’Est Républicain et une dizaine pour Vosges Matin. L’ampleur des départs s’explique en partie seulement par l’effet d’aubaine, les journalistes proches de la retraite pouvant obtenir de leur employeur l’équivalent de plusieurs années d’indemnités. Pour le reste des effectifs ayant fait jouer la clause de cession – et il s’agit d’une majorité au regard du nombre de départs –, la consolidation du marché de la presse quotidienne régionale se traduit sans aucun doute par une montée des inquiétudes. Celles-ci font peut-être suite aux menaces de cession formulées en février 2011 par Michel Lucas, le patron du Crédit Mutuel, sur un autre titre du groupe, Le Républicain Lorrain, juste après que ses journalistes se sont mis en grève (voir REM n°18-19, p.19). Le 24 février 2012, Michel Lucas a précisé ne plus vouloir vendre Le Républicain Lorrain et avoir désormais mis sous observation Les Dernières Nouvelles d’Alsace.

Centre France, premier actionnaire de la NRCO devant la famille Saint-Cricq

La Nouvelle République du Centre Ouest (NRCO) avait dû abandonner son statut de SAPO (société anonyme à participation ouvrière) en juin 2009, afin que le Groupe Centre France accepte d’entrer dans son capital à hauteur de 10 %, permettant ainsi au quotidien de Tours de se refinancer (voir REM n°12, p.19). Soucieux de constituer au centre de la France un pôle de presse quotidienne régionale suffisamment élargi pour bénéficier d’économies d’échelle, le seuil critique étant estimé à 600 000 exemplaires par jour, le groupe Centre France est de nouveau venu au secours de la NRCO en apportant une augmentation de capital de 4 millions d’euros, votée le 14 janvier 2012. Avec cette opération, Centre France devient le premier actionnaire de la NRCO, contrôlant 16 % du capital, devant les actionnaires représentant la famille Saint-Cricq, fondatrice du titre, dont la participation se limite désormais à 15 % du capital après augmentation de ce dernier.

A l’évidence, le rapprochement approfondi entre les deux groupes devrait conduire à l’émergence d’un géant de la presse quotidienne régionale, qui s’étend entre Clermont-Ferrand et le sud de l’Ile-de-France : avec 420 000 exemplaires quotidiens pour le groupe Centre France et 216 000 exemplaires pour la NRCO en 2010, le seuil des 600 000 exemplaires est en effet franchi. De ce point de vue, l’échec du rapprochement entre Centre France et les actifs français du groupe Rossel (voir REM n°20, p.24) risque d’avoir pour conséquence de mobiliser les énergies sur le rapprochement avec la NRCO. Les deux groupes réalisent chacun un chiffre d’affaires annuel proche de 210 millions d’euros.

Sources :

  • « La Montagne devient le premier actionnaire de La Nouvelle République du Centre Ouest », Stéphane Frachet, Les Echos, 4 janvier 2012.
  • « Vague de départs au pôle presse du Crédit Mutuel », Sandrine Bajos, latribune.fr, 15 janvier 2012.
  • « Paris-Normandie : les syndicats redoutent un dépôt de bilan », latribune.fr, 20 février 2012.
  • « Dépôt de bilan probable pour les quotidiens normands du groupe Hersant », latribune.fr, 22 février 2012.
  • « Jadis fleuron du groupe Hersant, le groupe Paris-Normandie a déposé le bilan », latribune.fr, 27 février 2012.
  • « Le personnel de Paris-Normandie, en dépôt de bilan, incrimine la gestion du Groupe Hersant Média », Etienne Banzet, Le Monde, 29 février 2012.
  • « Lourde restructuration en vue chez Paris-Normandie », Claire Garnier, latribune.fr, 12 mars 2012.
  • « 111 suppressions de postes programmées au sein du pôle Quotidiens normands (QN) du Groupe Hersant Média (GHM) », La Correspondance de la Presse, 15 mars 2012.
  • « Une offre de reprise pour Paris-Normandie, le plan social suspendu », AFP, 5 avril 2012.
  • « Le groupe Hersant veut sortir de Paris-Normandie », Anne Feitz, Les Echos, 13 avril 2012.
  • « Trois offres de reprise sur Paris -Normandie », Anne Feitz, Les Echos, 16 mai 2012.
Professeur à Aix-Marseille Université, Institut méditerranéen des sciences de l’information et de la communication (IMSIC, Aix-Marseille Univ., Université de Toulon), École de journalisme et de communication d’Aix-Marseille (EJCAM)

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