Scott Thomson, le nouveau patron de Yahoo!, cherche une stratégie … et démissionne

Après le renvoi de Carole Bartz, en septembre 2011, jusqu’alors à la tête de Yahoo!, la revente du portail a été étudiée pendant plusieurs mois à la demande des actionnaires. L’arrivée d’un nouveau PDG, Scott Thomson, en janvier 2012, a mis fin, au moins momentanément, au processus de vente, le temps de relancer le groupe. Depuis, Yahoo! se réorganise pour renouer avec l’innovation ; il continue de supprimer des emplois et cherche toujours à céder ses actifs étrangers. Mais un CV truqué aura poussé Scott Thomson à démissionner à son tour de Yahoo!

Après l’annonce surprise, le 6 septembre 2011, du renvoi de Carole Bartz par le conseil d’administration de Yahoo!, un an avant la fin de son mandat (voir REM n°20, p.48), le groupe internet est entré dans une période de réorganisation tous azimuts. La première d’entre elles est le renouvellement de son conseil d’administration. Celui-ci s’est en effet discrédité en renvoyant avec un dédommagement de 16 millions de dollars Carole Bartz, qu’il avait pourtant nommée le 13 janvier 2009 en remplacement de Jerry Yang, le fondateur de Yahoo!, afin notamment d’effacer l’échec du rachat de Yahoo! par Microsoft en 2008 (voir REM n°12, p.36). Carole Bartz aura probablement été sanctionnée pour les contre-performances de Yahoo!, à la suite de l’accord pourtant passé avec Microsoft en juillet 2009 dans le domaine de la recherche. Cet accord prévoit que Yahoo! commercialise la publicité sur le moteur, Microsoft prenant en charge la technologie de recherche sur Yahoo! Search et récupérant à ce titre 12 % du chiffre d’affaires publicitaire généré. Cette alliance aura en fait plutôt servi à Bing, qui a dépassé Yahoo Search en décembre 2011 (voir infra). Yahoo! a dû ainsi annoncer un chiffre d’affaires 2011, en repli de 22 %, à 4,9 milliards de dollars, lié notamment aux mauvaises performances de son moteur, et un bénéfice en repli de 13 % a 1,05 milliard de dollars. La part de marché de Yahoo! sur la publicité en ligne aux Etats-Unis, son principal marché, est en effet passée de 15,7 % en 2009 à 9,5 % en 2011, sous la pression notamment de Google, Microsoft et Facebook, ses principaux concurrents.

Le 4 janvier 2012, Scott Thompson, ex-président de Pay-Pal, a été nommé à la tête de Yahoo! pour succéder à Carole Bartz, par le même conseil qui avait destitué cette dernière. Scott Thomson en a donc tiré les conséquences et, sitôt en poste, a annoncé une revue stratégique des actifs ainsi que le renouvellement, prévu en février 2012, de quatre des membres du conseil, dont son président Roy Bostock. Le 17 janvier 2012, une étape supplémentaire était franchie avec la démission de Jerry Yang du conseil d’administration de Yahoo!, mais également des conseils des deux sociétés asiatiques où Yahoo! compte parmi les principaux actionnaires, Yahoo! Japan et le site de ventes aux enchères chinois Alibaba. Avec le départ du fondateur du groupe, stigmatisé pour avoir refusé l’offre de Microsoft, lequel avait proposé jusqu’à 48 milliards de dollars pendant l’été 2008 pour racheter le por- tail et son moteur, Scott Thomson a eu les mains libres pour réorganiser Yahoo!, y compris en s’attaquant à l’intégrité du groupe jusqu’ici défendue par Jerry Yang. Car Yahoo!, pour avoir déçu ses actionnaires, est désormais sous la pression de fonds activistes qui lui demandent une nouvelle stratégie et des résultats à court terme, ce qui impose des décisions douloureuses. A vrai dire, avec une capitalisation boursière aux environs de 20 milliards de dollars début 2012, le groupe affiche une décote de 60 % par rapport à l’offre de Microsoft en 2008, ce qui explique en grand partie la déception des actionnaires.

Au remaniement du conseil d’administration en février 2012 succède donc naturellement une réorganisation stratégique de l’entreprise. La première décision de Scott Thomson, après avoir lancé une revue stratégique des actifs du groupe, aura été de revenir sur les négociations, mal entamées, sur la vente des actifs asiatiques de Yahoo!, 40 % du capital d’Alibaba et 35 % du capital de Yahoo! Japan. En cédant ces actifs, Yahoo! pourrait récupérer 17 milliards de dollars et satisfaire ses actionnaires, grâce à la fois à une politique d’investissement sur son cœur de métier et à une politique de dividendes plus généreuse. Sauf que, pour des raisons fiscales, Yahoo! serait contraint en Chine comme au Japon de récupérer, après un montage complexe, des parts dans d’autres sociétés et une partie en numéraire. C’est notamment la raison pour laquelle la vente de la part de Yahoo! dans Alibaba, malgré des négociations avancées, n’a pas abouti pour l’instant. Ces difficiles négociations, qui pouvaient être considérées comme un prélude à une revente du portail, une fois celui-ci débarrassé de ses actifs étrangers, ont eu également pour consé- quence de mettre un terme, au moins momentanément, au processus de vente de Yahoo! lancé après le renvoi de Carole Bartz et qui n’a pas abouti, à défaut d’offres suffisamment intéressantes.

Parallèlement à la réflexion menée sur les participations de Yahoo!, Scott Thomson a donc donné, dès le mois d’avril 2012, sa conception du futur de l’entreprise, cette fois-ci pour son cœur de métier. Prenant acte des virages technologiques manqués par Yahoo!, peu présent sur les réseaux sociaux et le Web mobile, désormais dépassé dans la recherche, Scott Thomson a expliqué, le 4 avril 2012, souhaiter « un nouveau Yahoo ! plus petit, plus agile, plus rentable et mieux équipé pour innover aussi vite que possible ce que nos clients et notre industrie demandent ». Au nom du small is beautiful, et pour des raisons financières évidentes, Scott Thomson a également annoncé, le même jour, la suppression de 15 % des effectifs du groupe, soit 2 000 emplois sur un total de 14 000 emplois, alors même que le groupe multiplie depuis 2008 les réductions d’effectifs. Cette dernière, la plus importante jamais réalisée chez Yahoo!, devrait permettre au groupe d’économiser 375 millions de dollars par an. Autant dire que la stratégie de Scott Thomson ressemble à celle de Carole Bartz : réduire les coûts pour garantir la rentabilité et redonner du lustre à Yahoo!, pour un éventuel rachat à terme.

Mais le véritable enjeu réside dans la capacité de Yahoo! à redevenir l’un des leaders du Web, à innover véritablement dans l’univers des services, des contenus et de la publicité. Sur ce point, Yahoo! devra probablement faire un choix car il s’agit de modèles économiques et de stratégies d’entreprise différents. Né en 1995, Yahoo! a d’abord été un groupe de services, celui qui a lancé le premier annuaire en ligne, avant de devenir un moteur de recherche. La stratégie dans les services s’est poursuivie avec le lancement de Yahoo! Mail par exemple. Encore aujourd’hui, Yahoo! dispose de services appréciés des internautes, par exemple le site de partage de photos Flickr ou le service Yahoo! Question/Réponse. Depuis 1999, le groupe s’est également tourné vers les contenus, avec une poli- tique de portail. Sa régie s’est développée parallèle- ment dans les bannières, adaptées aux audiences massives des portails. Mais elle régresse depuis que Facebook et Google investissent le marché, faisant basculer progressivement les bannières des portails vers les sites communautaires, Facebook bien sûr, mais également YouTube.

Parce que Yahoo! n’a jamais su choisir, depuis le milieu des années 2000, entre le portail d’une part, les services de l’autre, à l’inverse de son concurrent AOL qui a par exemple clairement opté pour une stratégie de contenus (voir REM n°12, p.35), Scott Thomson a finalement inversé le problème. Présentée le 1er mai 2012, la nouvelle organisation du groupe rompt avec l’approche produits (les services d’une part, les contenus de l’autre, la régie en transversal). Yahoo! va désormais compter trois grandes divisions, une dédiée au B2C, la division « consommateurs », qui aura pour priorité les contenus, la recherche, le commerce en ligne et la messagerie ; ensuite, une division dédiée au B2B, la division « régions », chargée de la relation avec les annonceurs ; enfin, une division « technologies » chargée des infrastructures et des plates-formes.

La quête de rentabilité engagée par Scott Thomson s’est également traduite par l’entrée de Yahoo! dans la guerre des brevets, nouveau moyen pour les sociétés américaines de l’Internet de retarder le développement de leurs concurrents (voir REM n°21 p.29). Yahoo! a donc attaqué son premier concurrent dans les activités de portail, à savoir Facebook, en déposant une plainte le 12 mars 2012 devant le tribunal de San José (Californie). Yahoo! reproche au réseau social d’utiliser dix brevets qu’il détient sans lui verser de royalties, des brevets portant notamment sur la publicité ciblée, certaines fonctions de messagerie et de réseau social. En 2004, Yahoo! avait de la même manière attaqué Google, qui le supplantait dans la recherche, et avait obtenu du moteur de recherche l’équivalent en actions de 230 millions de dollars. Le tribunal devra trancher, d’autant que Facebook, en réponse, a porté plainte contre Yahoo! pour violation de brevets le 3 avril 2012.

Le 13 mai 2012, un dimanche, Yahoo! a encore surpris dans sa capacité à se débarrasser de ses directeurs généraux, en annonçant le départ subit de Scott Thomson, discrédité pour avoir menti sur son CV – ce qui n’enlève rien à ses compétences. Il est donc remplacé, quatre mois après son arrivée à la tête du groupe Internet, par Ross Levinsohn, le directeur mondial des activités médias du groupe. Cette nomination en urgence ne signifie pas pour autant que Yahoo! va se recentrer sur les médias. Elle témoigne en revanche du pouvoir des fonds au capital de Yahoo!, ceux-ci ayant choisi de ne pas soutenir Scott Thomson. Le fonds Third Point, qui détient 5,8 % des actions de Yahoo!, a en effet poussé à la démission son ancien directeur général, lui reprochant notamment de ne pas lui avoir fait de place au conseil d’administration du groupe où il brigue quatre sièges.

Sources :

  • « Bal des prétendants autour de Yahoo! », Marie-Catherine Beuth, Le Figaro, 26 octobre 2011.
  • « Trois ans après avoir raté le coche, Microsoft revient à la charge sur Yahoo! », N. Ra., Les Echos, 25 novembre 2011.
  • « Yahoo! va céder 13 milliards d’euros d’actifs en Asie », latribune.fr, 22 décembre 2011.
  • « Le démantèlement de Yahoo! se rapproche », Marie-Catherine Beuth, Le Figaro, 19 janvier 2012.
  • « Le départ de Jerry Yang lève tous les tabous sur l’avenir de Yahoo! », Virginie Robert, Les Echos, 19 janvier 2012.
  • « Yahoo! proche d’un accord avec Alibaba, le géant chinois de l’Internet », latribune.fr, 10 février 2012.
  • « Yahoo! affaibli par l’échec de ses discussions avec le chinois Alibaba », latribune.fr, 15 février 2012.
  • « Yahoo! lance sa guerre des brevets contre Facebook », latribune.fr, 12 mars 2012.
  • « Yahoo! supprime 2 000 emplois et cherche une stratégie », Marie- Catherine Beuth, Le Figaro, 5 avril 2012.
  • « Yahoo! coupe dans ses effectifs avant d’annoncer une large réorganisation », Sarah Belouezzane, Le Monde, 6 avril 2012.
  • « Yahoo! se réorganise », lemonde.fr, 11 avril 2012. – « Après AOL, Yahoo! ? », Edouard Laugier, Le Nouvel Economiste, 11avril 2012.
  • « Third Point Demands Yahoo C.E.O. Be Fired by Monday», Michael J. de la Merced, The New York Times, 4 mai 2012.
  • « Rattrapé par son CV truqué, le patron de Yahoo ! est sur le départ », latribune.fr, 13 mai 2012.

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