TNT : le nouveau PAF français est annoncé

L’attribution par le CSA de six nouvelles fréquences pour des chaînes de TNT en clair confirme le choix d’un élargissement de l’offre de chaînes à l’heure de la télévision connectée et face aux ambitions nouvelles du groupe Canal+ sur le marché publicitaire TV. En attribuant ces fréquences prioritairement aux acteurs historiques et en optant pour des thématiques jusqu’alors non représentées dans l’offre en clair, le CSA semble vouloir préserver les équilibres actuels du marché publicitaire. Mais il y aura des perdants, notamment sur les parts d’audience qui vont encore se morceler, probablement au détriment du groupe France Télévisions.

Après avoir dû renoncer aux chaînes bonus, contestées par la Commission européenne (voir REM n°20, p.4), la France a opté pour un nouvel appel d’offres pour six chaînes de la TNT en haute définition, payantes ou gratuites, lancé le 18 octobre 2011 par le Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA, voir REM n°21, p.79). Avec cet appel d’offres, le CSA a souhaité élargir l’offre de chaînes de la TNT pour susciter une plus grande concurrence face au groupe Canal+, qui s’est emparé de Direct 8 et Direct Star (voir supra), mais également pour donner à la TNT les moyens, avec une offre plus attrayante, de résister aux offres alternatives qui naîtront sur les télévisions connectées, enfin pour octroyer autrement aux chaînes historiques la compensation initialement imaginée dans le cadre des canaux « bonus ». Le 10 janvier 2012, 34 dossiers de candidature étaient déposés auprès du CSA pour l’obtention d’une fréquence de TNT, tous proposant des chaînes en clair, ce qui confirme le désintérêt des acteurs pour la TNT payante. Parce qu’il dépasse le seuil autorisé de sept fréquences de TNT, mais aussi parce que sa stratégie sur le marché audiovisuel en clair perturbe les projections initiales du CSA, le groupe Canal+ n’a pas déposé de dossier, indiquant que la prise de contrôle des chaînes du groupe Bolloré lui suffisait pour proposer une offre cohérente de télévision sur la TNT en clair.

Après des auditions qui se sont déroulées entre le 5 et le 14 mars 2012, le CSA a finalement retenu six projets de chaînes le 27 mars 2012. Par ses choix, le CSA indique qu’il souhaite renforcer les acteurs en place, qu’il s’agisse des chaînes historiques ou des nouveaux entrants de la TNT en 2005, au moins ceux n’ayant pas opté pour la revente lucrative de leur fréquence.

Ainsi, et par substitution aux canaux compensatoires, TF1 et M6 se voient attribuer une nouvelle fréquence chacune, avec HD1 pour TF1, une chaîne de cinéma et de fiction, et 6 Ter pour M6, une chaîne familiale consacrée aux magazines, aux documentaires et aux programmes pour la jeunesse. Les deux nouvelles chaînes sont suffisamment spécialisées dans leur programmation pour ne pas être considérées comme des mini-généralistes, c’est-à-dire qu’elles peuvent être considérées comme un élargissement de la gamme de programmes offerte par la TNT, et non pas comme une concurrence directe pour les chaînes historiques et les mini-généralistes que sont TMC, W9, NT1 et NRJ12.

Les nouveaux acteurs de la TNT qui ont su rester indépendants malgré le mouvement de concentration mené par les acteurs historiques de la télévision se voient également récompensés. Là encore, le CSA a privilégié des chaînes spécialisées pour élargir l’offre de programmes de la TNT. NRJ Group obtient satisfaction avec Chérie HD, une chaîne féminine qui complète sur la TNT le positionnement du groupe sur le terrain de la radio avec Chérie FM. Enfin, le groupe NextRadioTV obtient un canal pour une chaîne de documentaires baptisée RMC Découverte. NRJ Group et NextRadioTV, qui demandaient une fréquence pour se renforcer face aux acteurs historiques et proposer aux annonceurs une offre plus large d’espaces par le cumul des audiences de plusieurs chaînes, obtiennent donc satisfaction, même si, pour NextRadioTV, l’obtention d’une chaîne documentaire n’était pas prioritaire par rapport au projet massivement soutenu de sa chaîne sportive RMC. Sur ce dossier, RMC aura été pénalisé par l’absence d’accord avec le Comité national olympique français (CNOSF), qui a conclu un partenariat exclusif avec la chaîne L’Equipe TV du groupe Amaury, privant NextRadioTV d’un argumentaire précieux auprès du CSA. Le CNOSF exige notamment de son partenaire la mise en avant de la diversité des sports, en particulier ceux peu représentés à la télévision, une approche au cœur des décisions du CSA.

Ainsi, c’est bien au nom de la diversité que deux nouveaux entrants font leur apparition sur le marché de la TNT. Le groupe Amaury obtient une fréquence pour L’Equipe TV, la chaîne existant déjà sur le câble et le satellite et s’apprêtant désormais à changer de modèle économique pour devenir une chaîne en clair. L’existence préalable de la chaîne sur d’autres réseaux de diffusion aura également dû d’ailleurs rassurer le CSA face au projet de chaîne de sport RMC. Enfin une chaîne baptisée TVous La Diversité offre au fondateur de Pink TV, Pascal Houzelot, actionnaire majoritaire de la nouvelle chaîne, un canal inattendu sur la TNT. Ce dossier aura sans aucun doute retenu l’intérêt du CSA par sa programmation, ses ambitions modestes (1,8 % de part d’audience), son budget conséquent de 35 millions d’euros environ, garanti par des actionnaires solides réunis autour de Pascal Houzelot, dont Xavier Niel, le fondateur de Free, François-Henri Pinault, le PDG du groupe PPR, Jean-Charles Naouri, PDG du groupe Casino, Jacques Veyrat, ancien directeur du groupe Louis Dreyfus, ainsi que Matthieu Pigasse, directeur général de Lazard, propriétaire des Inrockuptibles et actionnaire du Monde.

Autant dire que les choix du CSA militent en faveur du respect des équilibres actuels sur le marché de la télévision en clair, les acteurs historiques ne devant pas être déstabilisés par l’arrivée massive de nouveaux entrants, à l’exception du cas particulier de Canal+. C’est sans doute la raison pour laquelle le CSA a refusé d’attribuer une fréquence au projet de chaîne Elle TV, défendu par le groupe Lagardère et disposant pourtant des plus importants moyens, avec un budget annoncé de 139 millions d’euros jusqu’en 2018, le temps de trouver l’équilibre autour de 2,3 % de parts d’audience et 73,8 millions de recettes publicitaires annuelles. S’ajoute à la volonté de ne pas déséquilibrer le marché, l’existence du précédent Lagardère qui a rendu au CSA sa fréquence TNT payante pour Canal J en 2008 et a revendu au groupe Bolloré sa chaîne Virgin 17 en mars 2010, laquelle depuis a été rebaptisée Direct Star (voir REM n°16, p.36).

En revanche, les choix du CSA ne seront pas sans conséquences pour la TNT payante, puisqu’en donnant une fréquence à L’Equipe HD, le CSA permet à la TNT en clair de proposer une offre de sport jusqu’ici cantonnée à la TNT payante avec Euro- sport. Enfin, les choix du CSA risquent de pénaliser le groupe France Télévisions, à qui le gouvernement de François Fillon n’avait pas souhaité octroyer de nouvelles fréquences, à défaut de moyens financiers, pour lancer une nouvelle chaîne. En effet, les nouveaux entrants sont pour certains en concurrence frontale avec les chaînes du groupe public : le documentaire avec RMC Découverte, les sports, peu représentés à la télévision avec L’Equipe TV, enfin les programmes jeunesse avec 6 Ter et les émissions dédiées aux « CSP + et CSP intermédiaires à fort capital de curiosité » de TVous la Diversité. Ainsi, France 3, qui est depuis 2011 reléguée derrière M6 en parts d’audience, a fait reposer une partie de sa programmation sur l’offre jeunesse, le sport et les documentaires. Quant aux cibles de RMC Découverte et de TVous La Diversité, ce sont celles de France 5, dont les résultats permettent au groupe France Télévisions de compter parmi les plus dynamiques sur la TNT. Enfin, France 4, qui s’adresse aux jeunes adultes, devra faire face à HD1 et 6 Ter. Quant à Gulli, la chaîne jeunesse partagée avec le groupe Lagardère, elle devra désormais compter avec 6 Ter.

Le passage de 19 chaînes de TNT en clair à 25 chaînes à la fin de l’année 2012, dans un premier temps sur 25 % du territoire avant de le couvrir en totalité en 2014, aura aussi des conséquences sur le marché publicitaire. En effet, l’élargissement de l’offre de chaînes avec la TNT ne s’est pas traduit, depuis 2005, par une augmentation des dépenses publicitaires consacrées à la télévision, qui restent stables autour de 3,5 milliards d’euros net par an. Ces dépenses peuvent certes augmenter, au moins si l’on considère que la stabilité jusqu’ici constatée est un signe de résistance de la télévision après la crise de fin 2008-2009, grâce notamment au dynamisme apporté par les nouvelles chaînes qui ont élargi le spectre des annonceurs en faisant baisser le coût des spots. Reste que ces nouvelles chaînes devraient capter entre 10 et 12 % de parts d’audience et annoncent des recettes espérées qui tournent aux environs 350 millions d’euros par an. Si le marché publicitaire de la télévision ne grossit pas, certaines de ces nouvelles chaînes n’atteindront pas leurs objectifs et certaines chaînes déjà en place verront leur part de marché diminuer. Du point de vue des groupes, Canal+ avec Direct 8 et Direct Star et surtout France Télévisions, qui conserve de la publicité en journée, pourraient donc être pénalisés. Pour les autres groupes audiovisuels, et parce qu’ils disposent chacun d’une nouvelle fréquence, les équilibres de marché devraient être conservés.

Sources :

  • « TNT : une chaîne challenger pour la diversité », Paule Gonzalès, Le Figaro, 12 janvier 2012.
  • « Quels sont les 34 nouveaux projets de chaînes TNT proposés au CSA la semaine prochaine ? », latribune.fr, 1er mars 2012.
  • « Les coulisses du psychodrame entre le Comité olympique et RMC », Sandrine Cassini, latribune.fr, 7 mars 2012.
  • « Les amours impossibles de Lagardère avec la télévision », Sandrine Cassini, latribune.fr, 27 mars 2012.
  • « Nouvelles chaînes TNT : le choix prudent du Conseil supérieur de l’audiovisuel », Sandrine Cassini, latribune.fr, 27 mars 2012.
  • « Six nouvelles chaînes pour les Français », Paule Gonzalès, Le Figaro, 28 mars 2012.
  • « Six nouvelles chaînes TNT émettront en France avant la fin de l’an- née », Fabienne Schmitt, Les Echos, 28 mars 2012.
Professeur à Aix-Marseille Université, Institut méditerranéen des sciences de l’information et de la communication (IMSIC, Aix-Marseille Univ., Université de Toulon), École de journalisme et de communication d’Aix-Marseille (EJCAM)

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