CEDH, 28 juin 2008, Ressiot et autres c. France.
Par l’arrêt du 28 juin 2012, Ressiot et autres c. France, la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) condamne à nouveau la France (comme elle l’avait déjà fait dans un arrêt du 12 avril 2012, Martin et autres c. France, voir REM n°22-23, p.6) pour violation du secret des sources d’information des journalistes. La Cour y voit une atteinte à la liberté d’expression, garantie par l’article 10 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (ConvEDH) sur le fondement duquel elle se prononce.
Etaient en cause des mesures de perquisitions, opérées au sein des rédactions du quotidien sportif L’Equipe et de l’hebdomadaire Le Point, ordonnées par l’autorité judiciaire, à fin d’identification des « sources d’information » des journalistes, soupçonnées de violations de secrets de l’enquête et de l’instruction ayant conduit à la publication, par ces organes de presse, de procès-verbaux d’audition et de diverses pièces de procédure.
Les actes contestés avaient été effectués dans le respect des premières dispositions législatives françaises relatives à la protection des sources d’information des journalistes, dispositions introduites dans le code de procédure pénale en 1993. Celles-ci furent complétées, en faveur d’un renforcement de cette protection, par la loi du 4 janvier 2010, dans l’espoir de se conformer davantage aux exigences européennes (voir REM n°13, p.3). Considérées par certains comme encore insuffisantes, ainsi que diverses affaires récentes (notamment la fameuse affaire dite des « fadettes », dans différents volets de l’« affaire Bettencourt ») l’ont montré, ces dispositions pourraient être encore l’objet d’une révision prochaine, réclamée par certains au sein des milieux professionnels concernés.
Pour comprendre la portée de la décision rendue, à l’appréciation des juridictions nationales, doit être opposée celle de la Cour européenne des droits de l’homme. A la suite des perquisitions effectuées et à leur mise en examen pour recel de violation de secrets, les journalistes en cause en demandèrent l’annulation. Ils invoquaient pour cela « les textes de droit interne protégeant les sources des journalistes », ainsi que l’article 10 ConvEDH et la jurisprudence CEDH.
Saisie des décisions et des mesures ainsi prises, la cour d’appel estima que la « mise sous surveillance de la ligne téléphonique » de l’un des journalistes et de l’un des policiers n’était pas nécessaire « au moment où elle avait été décidée ». Mais, à l’inverse, elle jugea que certaines des « saisies et mises sous scellés », effectuées dans le cadre des perquisitions, « étaient légitimes, nécessaires, adaptées au but recherché » et qu’elles « constituaient une ingérence proportionnée au regard des exigences relatives au respect des sources d’information » des journalistes.
La Cour de cassation rejeta le pourvoi. Elle estima également que « l’ingérence était nécessaire et proportionnée au but légitime visé » et que les mesures critiquées étaient « justifiées ». Elle considéra notamment que « le droit reconnu à un journaliste de ne pas révéler l’origine de ses informations n’interdit pas de retranscrire la conversation qu’il peut avoir avec une personne dont la ligne téléphonique fait l’objet d’une surveillance lorsque, comme en l’espèce, la mesure est nécessaire à la recherche d’une infraction et proportionnée au but à atteindre ». C’est de cette appréciation des juridictions nationales que la Cour européenne des droits de l’homme fut saisie.
Conformément à sa jurisprudence, la CEDH rappelle que « la liberté d’expression constitue l’un des fondements essentiels d’une société démocratique » et, en conséquence, que « les garanties à accorder à la presse revêtent une importance particulière ». De manière plus spécifique, et comme elle l’a posé dans les arrêts précédemment rendus sur cette question, la Cour énonce que « la protection des sources journalistiques est l’une des pierres angulaires de la liberté de la presse » ; que « l’absence d’une telle protection pourrait dissuader les sources journalistiques d’aider la presse à informer le public sur des questions d’intérêt général » ; et, en conséquence, que « la presse pourrait être moins à même de jouer son rôle indispensable de « chien de garde » » et que « son aptitude à fournir des informations précises et fiables pourrait s’en trouver amoindrie ».
Pour la Cour européenne, du fait des perquisitions et des saisies effectuées, il n’a pas été « démontré qu’une balance équitable des intérêts en présence a été préservée ». Elle en conclut que « les mesures litigieuses ne représentaient pas des moyens raisonnablement proportionnés à la poursuite des buts légitimes visés compte tenu de l’intérêt de la société démocratique à assurer et à maintenir la liberté de la presse » et, en conséquence, qu’« il y a donc eu violation de l’article 10 de la Convention ».
De telles décisions ne peuvent être utilisées seulement par ceux qui souhaiteraient que le dispositif législatif français soit à nouveau modifié pour conforter encore le droit à la protection des sources d’information des journalistes, sans se préoccuper des faits de violation de droits, tout aussi légitimes, dont la poursuite et la sanction risquent de se trouver ainsi paralysées.