L’ambition avait été, par un dispositif spécifique, de lutter contre certaines pratiques de téléchargement illégal non commercial, par la voie des systèmes d’échange peer to peer (pair à pair ou P2P) d’un ordinateur ou d’un poste à un autre, pratiques constitutives de contrefaçon, pour faits de violation des droits des auteurs et des artistes interprètes sur leurs œuvres et leurs prestations. Pour cela, sous la présidence de Nicolas Sarkozy, par les lois des 12 juin et 28 octobre 2009, fut mis en place, avec notamment l’institution de la Haute Autorité pour la diffusion des œuvres et la protection des droits sur internet (Hadopi), un système complexe, et, de ce fait sans doute, assez inefficace, de surveillance et de sanction, par étapes, dit de « riposte graduée ». Celui-ci fut dénoncé, par certains, comme constituant une véritable « usine à gaz ». A l’occasion de ce qui semble avoir été la première, sinon unique, condamnation à 150 euros d’amende prononcée, dans un tel cas, en septembre 2012, par le tribunal de Belfort, mention a été faite d’un million d’interventions de la Hadopi et – preuve assurément de l’inefficacité de ces démarches successives ou de l’inutilité du système – de quatorze dossiers transmis à la justice…
Conformément aux promesses électorales du candidat François Hollande, le système est appelé à être remis en cause ou à subir au moins quelques aménagements. Cela passe, dans un premier temps, par l’abrogation de l’un des éléments de la « riposte graduée » que constituait la suspension de l’accès à l’internet susceptible d’être prononcée à l’encontre de personnes reconnues coupables de « négligence caractérisée » dans la surveillance de l’usage fait de celui-ci. Une telle abrogation constituait l’une des recommandations du rapport Lescure, de portée plus générale, s’agissant de l’existence même de la Hadopi et des moyens de lutte contre le téléchargement illégal (voir REM n°26-27, p.55).
Abrogation de la suspension de l’accès à l’internet
Après la décision du Conseil constitutionnel du 10 juin 2009 qui avait déclaré contraires à la Constitution les dispositions, telles que votées par le Parlement, qui accordaient à la commission de protection des droits de la Hadopi la possibilité de prononcer des mesures préventives de suspension de l’accès à l’internet, un tel pouvoir a été transféré aux juges par la loi du 28 octobre 2009. Aux termes des articles L. 335-7 et L. 335-7-1 du code de la propriété intellectuelle (CPI), de telles mesures de suspension peuvent être prononcées, par eux, dans deux cas distincts.
Selon l’article L. 335-7 CPI, les personnes coupables de contrefaçon peuvent « être condamnées à la peine complémentaire de suspension de l’accès à un service de communication au public en ligne pour une durée maximale d’un an ». En l’état, une telle possibilité subsiste.
C’est la « négligence caractérisée » dans la surveillance de l’usage fait de l’accès d’un particulier à un service de communication au public en ligne, ayant permis à un tiers de procéder à des téléchargements illégaux, qui est visée par l’article L. 335-7-1 CPI. A l’encontre du titulaire d’accès négligent, cet article prévoit que peut être prononcée, par le juge, une peine complémentaire de suspension de son accès à l’internet pour une durée maximale « d’un mois ».
En application de cette disposition, l’article R. 335-5 CPI déterminait ce qui, après « recommandations » de la commission de protection des droits de la Hadopi, était constitutif de cette « négligence caractérisée » et confirmait, en son paragraphe III, que « les personnes coupables » d’un tel manquement pouvaient « être condamnées à la peine complémentaire de la suspension de l’accès à un service de communication au public en ligne pour une durée maximale d’un mois ». Ce paragraphe a été abrogé par le décret du 8 juillet 2013… mais la mesure législative subsiste. Nécessite-t-elle un texte d’application ?
Confusion semble avoir été faite par certains commentateurs entre ces deux motifs et risques de suspension telle qu’ordonnée, en mai 2013, par le tribunal de police de Seine-Saint-Denis, dans ce qui constituerait, en près de quatre ans, la seconde condamnation prononcée, ou à tout le moins connue. Il ne s’agissait pas, dans ce cas, de « négligence caractérisée » dans la surveillance de l’usage fait de l’accès à l’internet, mais d’une utilisation constitutive de contrefaçon pour laquelle une telle possibilité est, en l’état, légalement prévue et maintenue par l’article L. 335-7 CPI.
Recommandations du rapport Lescure
Déposé, en réponse à une demande de la ministre de la culture, en mai 2013, le rapport de la « Mission « Acte II de l’exception culturelle » », davantage connu sous le nom de Pierre Lescure qui en avait la charge, comportait, au titre de la réorientation de la « lutte contre le piratage », au-delà de la question de la suspension de l’accès à l’internet, la suggestion de la remise en cause de la Hadopi elle-même et du transfert de certaines de ses compétences au Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA).
– Suspension de l’accès à l’internet
Préconisant d’« alléger la réponse graduée », dont il est indiqué qu’elle repose « sur la notion de « négligence caractérisée« », au moins en ce qu’elle « sanctionne non pas la personne qui télécharge mais celle dont l’accès internet est utilisé pour télécharger de manière illicite », le rapport Lescure note qu’elle « n’a débouché, à ce jour, que sur un très faible nombre de condamnations » : une seule est connue ! Tout en considérant qu’il convient de « préserver les acquis positifs de la réponse graduée », il estime que ce « dispositif de réponse graduée gagnerait cependant à être allégé ». En conséquence, il propose « d’abroger la peine de suspension » de l’accès, et non, comme il est inexactement écrit, « de l’abonnement » à l’internet (l’article L. 335-7 CPI prévoyant que « la suspension de l’accès n’affecte pas, par elle-même, le versement du prix de l’abonnement au fournisseur du service »).
La suggestion de réforme va, en réalité, bien au-delà dans le contrôle et la sanction des pratiques de téléchargement illégal.
– Remise en cause de la Hadopi
Au titre toujours de l’allègement du dispositif de lutte contre les pratiques non commerciales de téléchargement illégal, le même rapport estime qu’« il ne semble pas souhaitable de maintenir une autorité administrative indépendante dont l’activité se limiterait à la lutte contre le téléchargement » ainsi réalisé. Il considère que « cela ne contribuerait ni à la légitimité du dispositif, ni à la cohérence de l’action publique, ni à l’économie des deniers publics ». Il suggère que « la réponse graduée pourrait ainsi être confiée au CSA, dont il est proposé de faire le régulateur de l’offre culturelle numérique ». Il s’agirait ainsi de « marquer la cohérence étroite qui unit le développement de l’offre légale, la défense de la diversité culturelle en ligne et la vocation pédagogique de la réponse graduée » et « d’inscrire la sensibilisation des internautes dans une politique plus générale de régulation de l’offre audiovisuelle et culturelle, tous médias confondus ».
Même « sans objectif d’enrichissement », des pratiques de téléchargement illégal portent atteinte aux intérêts des titulaires de droits. Elles constituent une menace pour l’avenir de la création et de la production. Plutôt que l’application des règles communes visant la sanction des faits de contrefaçon, un système spécifique de « riposte graduée » est-il nécessaire et adapté ? A-t-il fait la preuve de son rôle « pédagogique » si souvent mis en avant ? Considérant qu’il conviendrait de « distinguer, dans la lutte contre le piratage, les pratiques occasionnelles et personnelles, sans objectif d’enrichissement », les téléchargements dans le cadre des systèmes P2P, « des activités lucratives déployées par certains acteurs de l’internet, reposant de manière systématique sur la diffusion de biens culturels contrefaits », le rapport Lescure préconise de « réorienter la lutte contre le piratage en direction de la contrefaçon lucrative ». Sera-t-il pleinement suivi ? Est-ce ainsi que devrait être envisagée la lutte contre le téléchargement illégal ?
La « suspension de l’accès » à l’internet, à titre de sanction de la « négligence caractérisée, à l’encontre du titulaire de l’accès à un service de communication au public en ligne » ayant servi à de telles pratiques de téléchargement illégal, a été abrogée des dispositions à caractère réglementaire du code de la propriété intellectuelle tout au moins. Faut-il à cet égard faire davantage ?
Sources :
- Lutte contre le téléchargement illégal, Emmanuel Derieux et Agnès Granchet, Lamy, 2010.
- Mission « Acte II de l’exception culturelle ». Contribution aux politiques culturelles à l’ère numérique, Pierre Lescure, mai 2013.