Lex Google en Allemagne : malgré la loi, les éditeurs cèdent

En Allemagne, le pays à l’origine du débat européen sur une Lex Google, la loi a bien été votée et le droit voisin des éditeurs sur leurs articles reconnu. Mais en imposant l’opt-in pour être référencé, Google a contraint les éditeurs à abandonner leur rêve de rémunération.

Après avoir été à l’origine d’une mobilisation des éditeurs de presse contre Google News à travers toute l’Europe (voir REM n°25, p.5), l’Allemagne a finalement adopté sa fameuse Lex Google. Les députés allemands, qui avaient avec ce projet de loi suscité un grand débat national outre-Rhin, conduisant même Google à lancer une pétition contre le projet de loi, ne pouvaient pas ne pas aller jusqu’au bout. Ainsi, alors que la France a préféré un accord politique avec Google, qui finance pendant trois ans le Fonds pour l’innovation numérique de la presse à hauteur de 60 millions d’euros, l’Allemagne a adopté en bonne et due forme la Lex Google, mais avec des concessions qui ont offert à Google une vraie porte de sortie.

Tout s’est joué lors du débat au Bundestag, l’équivalent allemand de l’Assemblée nationale française. Si la loi votée au Bundestag le 1er mars 2013 ne remet pas en question l’existence des droits voisins des éditeurs de presse sur les articles qu’ils publient en ligne, ce qui ouvre théoriquement la voie à une rémunération pour la reprise de tout ou partie de ces articles par un tiers, en l’occurrence les moteurs de recherche et les agrégateurs d’actualités, elle autorise, sans en préciser les contours, la reprise « de très petits extraits de texte ». La loi, finalement adoptée le 22 mars 2013 par le Bundesrat, l’équivalent allemand du Sénat français, autorise donc en fait les quelques lignes descriptives des résultats des moteurs de recherche, et même les extraits plus longs des agrégateurs d’actualités, tout en laissant planer une incertitude juridique sur la longueur de ces extraits. Elle répond de ce point de vue au souhait des éditeurs allemands, à l’origine de la Lex Google, qui se voient reconnaître un droit voisin, sans véritablement traiter la question de la rémunération des producteurs de contenus quand ces derniers sont repris dans des sites les agrégeant (par extension, YouTube et Facebook sont aussi des agrégateurs de contenus, ne serait-ce par exemple que pour les articles de presse repris sur Facebook). Les éditeurs allemands et Google auront donc été contraints de trouver, entre eux, un terrain d’entente. A l’inverse de la France où la médiation politique a fortement joué, c’est au contraire la loi du plus fort qui l’a emporté en Allemagne.

Fin juin 2013, un mois avant l’entrée en vigueur de la Lex Google le 1er août 2013, Google a en effet demandé aux éditeurs allemands qu’ils lui transmettent une « déclaration de renoncement » à toute rémunération, sans quoi leurs articles seraient déréférencés de Google News, Google refusant de payer pour référencer, ce qui était plus que prévisible. Avec ce recours au consentement (opt-in), Google évite les incertitudes juridiques de la loi sur la notion de « très courts extraits » et impose, au moins pour ses services, la gratuité du référencement. Les éditeurs allemands ont cédé. Le 1er août 2013, jour d’entrée en vigueur de la loi, les journaux du groupe allemand Springer (Die Welt, Bild) étaient référencés par Google, Springer – à l’origine avec Bertelsmann de la Lex Google – indiquant qu’il s’agissait là d’une mesure temporaire, le temps de trouver les modalités techniques et juridiques de faire payer le référencement de leurs articles. Le Spiegel Online et le Zeit Online étaient également disponibles sur Google News, le Spiegel Online ayant en revanche toujours indiqué qu’il souhaitait rester référencé dans Google et Google News, « de précieux instruments pour de nombreux lecteurs ».

Reste donc à savoir si les éditeurs allemands mettront en place leur propre agrégateur d’actualités pour capter les recettes publicitaires associées, et quitteront à terme Google, qui refuse de partager les siennes. Une autre solution, très probable, est l’abandon de la bataille face au moteur de recherche, lequel reste un très bon allié comme premier pour- voyeur d’audience des sites d’information. Enfin, à défaut de rémunération – et c’est là le véritable enjeu – une dernière solution est de ne plus produire d’articles écrits par des journalistes. Le groupe Springer, par exemple, est en train d’abandonner la presse papier pour se recentrer sur les services en ligne. Alors qu’il indique dans sa communication ne plus croire en l’avenir de la presse papier et chercher à devenir « la première entreprise numérique » d’Allemagne, le groupe a cédé en juillet 2013 ses derniers grands quotidiens régionaux pour 920 millions d’euros, le Hamburger Abendblatt et le Berliner Morgenpost.

Sources :

  • « Lex Google : l’Allemagne critique la méthode française », Thibaut Madelin, Les Echos, 4 mars 2013.
  • « Le fonds Google pour la presse prêt à traiter ses premiers dossiers », Nicolas Rauline, Le Figaro, 14 juin 2013.
  • « Google impose son diktat aux éditeurs allemands », Patrick Saint-Paul, Le Figaro, 25 juin 2013.
  • « En Allemagne, Google News choisit l’opt-in pour déjouer la Lex Google », zdnet.fr, 25 juin 2013.
  • « Springer cède ses quotidiens régionaux et des magazines », Luc André, Le Figaro, 31 juillet 2013.
  • « Lex Google : la presse allemande se maintient dans Google News », zdnet.fr, 1er août 2013.
Professeur à Aix-Marseille Université, Institut méditerranéen des sciences de l’information et de la communication (IMSIC, Aix-Marseille Univ., Université de Toulon), École de journalisme et de communication d’Aix-Marseille (EJCAM)

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