Vivendi se sépare de Maroc Télécom et d’Activision-Blizzard

En annonçant étudier tous les scénarios pour mettre fin à sa décote de holding, Vivendi s’est lancé depuis mars 2012 dans une course stratégique qui, d’un recentrage de ses activités, s’apparente de plus en plus à une vente par appartements. Alors que les activités télécoms étaient initialement concernées, seul Maroc Telecom est cédé. GVT ne trouve pas preneur et SFR devrait à terme être introduit en Bourse. A défaut d’une cession de GVT, Vivendi aura donc cédé le contrôle d’Activision-Blizzard. Reste finalement à prendre acte de la séparation entre Universal Music et le Groupe Canal+ pour que le démantèlement soit total.

En annonçant aux actionnaires, dans un courrier du 27 mars 2012, s’interroger sur le périmètre du groupe Vivendi, pénalisé par une décote de holding, Jean-René Fourtou, président du conseil de surveillance, et Jean-Bernard Lévy, alors président du directoire, ouvraient de fait la possibilité d’un démantèlement du premier groupe français de communication (voir REM n°24, p.40). Pour Jean-Bernard Lévy, la priorité devait être accordée aux télécommunications, rentables malgré les difficultés de SFR, liées notamment à l’arrivée de Free Mobile sur le marché en janvier 2012. A court terme, en revanche, seules les activités médias offraient des perspectives de croissance, ainsi que l’opérateur de télécommunications brésilien GVT. C’est sans doute ce qui aura convaincu Jean-René Fourtou de prôner un recentrage du groupe sur ses activités médias, au détriment des télécommunications, entraînant son départ en juin 2012. Depuis, les rumeurs de scission et de vente se sont multipliées, préfigurant finalement un éclatement du groupe entre ses différentes filiales.

Dans un premier temps, ce sont logiquement les activités de télécommunications qui ont été au cœur du processus de cession de Vivendi, avec la mise en vente des 53 % du capital de Maroc Télécom détenus par Vivendi, ainsi que du brésilien GVT. Quant à SFR, un rapprochement avec Numéricable, qui a même proposé un rachat, puis avec Free, avait été envisagé. Ce sera finalement un accord de mutualisation avec Bouygues Télécom qui aura été signé. En revanche, aucune cession n’a été possible rapidement.

GVT, acheté 2 milliards d’euros en 2010 et affichant une croissance de 40 % en 2011, s’est révélé invendable au prix espéré de 7,3 milliards d’euros. Trop cher pour des opérateurs européens surendettés mais intéressés, il n’a attiré comme meilleure offre que celle de l’opérateur satellitaire américain DirecTV, qui a proposé 5,8 puis 6 milliards d’euros, conduisant Vivendi à renoncer à la cession de GVT dès février 2013. Restait seul Maroc Télécom, un actif insuffisamment important pour espérer éponger la dette de Vivendi, environ 13 milliards d’euros. Dès lors, les actifs médias sont potentiellement entrés dans la liste des filiales pouvant faire l’objet d’un processus de vente, au premier rang desquels le numéro 1 mondial du jeu vidéo, Activision-Blizzard, dont Vivendi détient 61,1 % du capital. Sauf qu’avec une valorisation boursière de 15 milliards de dollars, soit environ 10 milliards de dollars pour la participation de Vivendi, et une position de leader sur un marché mature, Activision-Blizzard s’est révélé trop « gros » pour être racheté par un concurrent, et trop peu prometteur pour attirer des investisseurs cherchant à jouer la carte de la convergence entre leur activité et l’édition de jeux vidéo, des groupes comme Microsoft ou Disney ayant été évoqués. Aussi, pour la présentation des résultats annuels du groupe le 26 février 2012, Jean-François Dubos, nouveau président du directoire, n’a pu annoncer aucune cession tout en affichant des résultats positifs, hérités de la consolidation industrielle menée par Jean-Bernard Lévy. Vivendi a réalisé en 2012 un chiffre d’affaires de 29 milliards d’euros et un résultat net de 2,55 milliards d’euros, en recul de 13,6 % du fait des mauvaises performances de SFR et de provisions. L’Assemblée générale du 30 avril 2013 est alors apparue comme une date butoir, à laquelle Vivendi devait au moins confirmer une cession.

Faute de cession, Jean-François Dubos, président du directoire par intérim, a confirmé, lors de l’assemblée générale du groupe, avoir reçu deux offres fermes pour le rachat des 53 % de Vivendi dans Maroc Telecom, une offre de l’opérateur qatari Ooredoo (ex-QTel) et une offre de l’émirati Etisalat. Vivendi espérait 4,5 milliards d’euros de sa participation dans Maroc Telecom. Le 13 juin 2013, Ooredoo retirait son offre, dénonçant un processus trop long, donc coûteux. A vrai dire, l’offre du qatari était politiquement compliquée, le Qatar ayant soutenu les révolutions arabes avec sa chaîne Al Jazeera et étant proche des Frères musulmans, ce qui immanquablement inquiète le Royaume du Maroc, lequel détient 30 % de Maroc Telecom. Etisalat, présent en Asie, au Moyen-Orient et, pour l’Afrique, en Egypte et au Nigéria, s’est donc retrouvé seul en lice, ce qui lui aura permis d’alléger la facture, Vivendi ayant confirmé la cession de ses parts dans Maroc Telecom le 23 juillet 2013 pour 4,2 milliards d’euros, faisant automatiquement chuter la capitalisation du groupe de plus de 6 %. Avec Maroc Telecom, Etisalat entre dans le cercle des grands opérateurs mondiaux de télécommunications, Maroc Telecom étant présent, non seulement au Maroc, mais également en Mauritanie, au Mali, au Gabon et au Burkina. Pour Vivendi en revanche, cette vente signe son retrait d’Afrique et la perte d’un actif affichant une marge opérationnelle supérieure à 50 %.

Le 24 juillet 2013, le lendemain de la confirmation de la cession de Maroc Telecom, Vivendi annonçait céder le contrôle d’Activision-Blizzard. Faute d’avoir trouvé un repreneur, Activision-Blizzard se rachète lui-même, au côté d’un ensemble d’investisseurs, dont son directeur général, Bobby Kotick. Vivendi cède dans un premier temps 52 % du capital d’Activision-Blizzard, conservant tout de même 12 % au moins jusqu’en 2015. En échange des 52 % dans Activision-Blizzard, Vivendi récupère 8,2 milliards de dollars, ce qui correspond à une décote de 10 % par rapport au cours de Bourse, une décote assez faible, compte tenu de l’augmentation du cours durant l’année. Vivendi réalise en l’occurrence une bonne opération financière, le groupe ayant investi 1,7 milliard de dollars dans Activision. Sur le plan industriel, Vivendi abandonne en revanche le monde des jeux vidéo.

L’opération de cession est complexe. Activision-Blizzard, qui dispose d’une trésorerie de près de 4 milliards de dollars, finance le rachat à hauteur de 1,2 milliard de dollars, auquel s’ajoutent 4,6 milliards de dollars par recours à l’endettement. Activision-Blizzard conserve donc les moyens d’investir et compte sur ses bénéfices, supérieurs à un milliard de dollars par an, pour faire face aux échéances de sa dette. Le reste des actions – 2,34 milliards de dollars – est cédé au pool d’investisseurs Asac, qui devient le premier actionnaire du groupe avec 24,9 % du capital. Ce pool regroupe Boby Kotick, le directeur général, Brian Kelly, le cofondateur d’Activision, des investisseurs américains et le groupe chinois Tencent.

La cession des participations dans Activision-Blizzard et Maroc Telecom rapporte à Vivendi plus de 10 milliards d’euros, ce qui lui permet d’effacer une bonne partie de sa dette et de disposer de fonds pour investir dans les médias, si tant est que le groupe doive se constituer en nouveau géant français des contenus et de leur distribution. Car la question se pose effectivement. Constitué il y encore un an de trois actifs télécoms (SFR, GVT, Maroc Telecom) et de trois actifs médias (Groupe Canal+, Universal Music, Activision-Blizzard), Vivendi est devenu en juillet 2013 un groupe fédérant deux actifs télécoms et deux actifs médias. Certes, le recentrage sur les médias est annoncé puisque Vivendi a confirmé que SFR se prépare à une introduction en Bourse fin 2014 ou début 2015. SFR, avec plus de 10 milliards d’euros de chiffre d’affaires, fragilisé depuis 2012, est en effet difficilement vendable à bon prix et seule une introduction en Bourse, après avoir redressé le groupe, permettra à Vivendi de s’en séparer progressivement. L’avenir de Vivendi s’inscrit donc dans les médias, GVT devant à terme aussi être revendu.

Resteront donc Universal Music, un groupe géré depuis les Etats-Unis, et le Groupe Canal+, un groupe francophone qui, s’il s’internationalise à nouveau, vise essentiellement les territoires d’outre-mer et quelques pays d’Afrique et d’Asie. Se pose donc la question de la cohérence d’un groupe réunissant le plus grand acteur de la musique dans le monde (voir REM n°21, p.34) et le leader français de la télévision payante. Sauf à ce que le nouveau Vivendi multiplie les acquisitions dans les médias pour élargir le périmètre de Canal+ jusqu’à en faire un groupe mondial de production et de distribution de contenus audiovisuels et cinématographiques. L’alliance entre la musique, la télévision et le cinéma permettra alors à ce nouvel ensemble de concurrencer peut-être les majors américaines et les grands acteurs américains de l’internet. Mais il s’agit d’une tâche beaucoup plus complexe que d’imaginer des synergies entre actifs médias et télécoms déjà contrôlés ! Une séparation entre Universal Music et le Groupe Canal+ serait de ce point de vue tout aussi logique, mettant fin définitivement à l’existence de Vivendi, la maison-mère d’un groupe coiffant six filiales depuis son redressement par Jean-Bernard Lévy. Dans ce cas, la logique financière l’aura définitivement emporté sur la logique industrielle. Elle pourrait alors même permettre au Groupe Bolloré, premier actionnaire de Vivendi depuis la cession à Canal+ de ses chaînes Direct 8 et Direct Star, de contrôler le Groupe Canal+, un géant comparé à l’ensemble des deux chaînes de la TNT qui lui ont permis d’entrer au capital de Vivendi (voir REM n°21, p. 79).

La stratégie future de Vivendi scellera donc le sort du groupe, mais elle reste à écrire, ce qui s’est confirmé début septembre 2013 par l’opposition entre Jean-René Fourtou et Vincent Bolloré. En proposant, fin août 2013, de nommer Thomas Rabe, actuel PDG de Bertelsmann, à la présidence du directoire de Vivendi, Jean-René Fourtou a confirmé l’orientation stratégique du groupe dans les médias, Bertelsmann, le seul groupe européen de médias, servant ici de modèle au nouveau Vivendi. Mais l’imposition d’un président du directoire par Jean-René Fourtou qui, depuis le départ de Jean-Bernard Lévy, dirige le groupe à la place du directoire, aura gêné Vincent Bolloré qui cherche désormais à défendre sa place d’actionnaire principal, donc à peser sur les décisions stratégiques du groupe. Pour répondre à la proposition de Jean-René Fourtou, Vincent Bolloré, début septembre 2013, a présenté sa candidature comme président du directoire, entraînant immédiatement le retrait prudent de Thomas Rabe. Le 11 septembre 2013, un compromis était trouvé en urgence. Vincent Bolloré devient vice-président du conseil de surveillance, ce qui lui donne un poids important dans les décisions et le positionne pour succéder à Jean-René Fourtou, qui accompagnera les dernières cessions stratégiques. Officiellement, il n’y en a qu’une, l’introduction de SFR en Bourse ayant été confirmée, et cela dès 2014. Vincent Bolloré, de son côté, a indiqué qu’il comptait rester actionnaire des deux entités. SFR est estimé entre 10 et 15 milliards d’euros, la cotation haute étant celle espérée en cas d’OPA si le mouvement de consolidation des télécommunications se confirme en Europe. Le pôle médias, donc le futur Vivendi, est estimé 16 milliards d’euros en incluant GVT. Les deux pôles valent donc plus – environ 30 milliards d’euros – que l’actuel Vivendi dont la valorisation boursière oscille autour de 22 milliards d’euros. Outre l’intérêt de la scission pour les actionnaires de Vivendi, son avantage est aussi de faire peser les contraintes de la dette sur le seul SFR, confronté aux investissements dans le très haut débit. Avec des activités médias désendettées, la conquête du marché mondial sera possible pour Vivendi, si toutefois elle a lieu.

Sources :

  • « Vivendi discute d’un rapprochement de SFR et Numericable », Marie-Cécile Renault, Le Figaro, 15 octobre 2012.
  • « Vivendi envisage plusieurs scénarios pour l’avenir de SFR », Guillaume de Callignon, Les Echos, 15 octobre 2012.
  • « Vivendi cherche repreneur pour Maroc Telecom », Marie-Cécile Renault, Le Figaro, 23 octobre 2012.
  • « Vivendi ou la tentation de l’implosion », Sabine Delanglade, Les Echos, 29 novembre 2012.
  • « Vivendi revoit à la baisse les ambitions de son programme de cessions d’actifs », Guillaume de Calignon et Grégoire Poussielgue, Les Echos, 26 février 2013.
  • « Le pragmatisme au cœur de la stratégie de Vivendi », Grégoire Poussielgue, Les Echos, 27 février 2013.
  • « Vivendi en manque de stratégie », Marie-Cécile Renault, Le Figaro, 27 février 2013.
  • « Vivendi n’annoncera aucune cession d’actifs avant son assemblée générale », Grégoire Poussielgue, Les Echos, 18 mars 2013.
  • « Vivendi reçoit deux offres fermes pour Maroc Telecom », Guillaume de Calignon et Solveig Godeluck, Les Echos, 25 avril 2013.
  • « Vivendi espère clore une année de transition riche en spéculations », Solveig Godeluck, Guillaume de Calignon et Grégoire Poussielgue, Les Echos, 30 avril 2013.
  • « SFR se prépare à une introduction en Bourse », Guillaume de Calignon et Solveig Godeluck, Les Echos, 12 juin 2013.
  • « Vivendi devrait vendre Maroc Telecom à Etisalat », Guillaume de Calignon, Les Echos, 17 juin 2013.
  • « Vivendi prêt à vendre Maroc Telecom à l’émirati Etisalat », Le Figaro, 23 juillet 2013.
  • « Vivendi commence à céder ses actifs un an après l’avoir annoncé », Guillaume de Calignon et Romain Gueugneau, Les Echos, 24 juillet 2013.
  • « Vivendi cède le contrôle d’Activision-Blizzard », Marc Cherki, Le Figaro, 27 juillet 2013.
  • « Avec la vente d’Activision, Vivendi accélère son désendettement », Romain Gueugneau et Fabienne Schmitt, Les Echos, 29 juillet 2013.
  • « Après les cessions, nouvel avenir pour Vivendi », Marie-Cécile Renault, Le Figaro, 30 août 2013.
  • « Grandes manœuvres pour régler la crise au sommet chez Vivendi », Marie-Cécile Renault, Le Figaro, 10 septembre 2013.
  • « Jean-René Fourtou et Vincent Bolloré signent une paix fragile chez Vivendi », Solveig Godeluck, Guillaume de Callignon, Grégoire Poussielgue, Les Echos, 12 septembre 2013.
  • « Paix armée entre Bolloré et Fourtou chez Vivendi », Bertille Bayart et Enguérand Renault, Le Figaro, 12 septembre 2013.
Professeur à Aix-Marseille Université, Institut méditerranéen des sciences de l’information et de la communication (IMSIC, Aix-Marseille Univ., Université de Toulon), École de journalisme et de communication d’Aix-Marseille (EJCAM)

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