Les Européens sont bien en peine avec la culture

La crise économique n’explique pas, à elle seule, la faible participation des Européens aux activités culturelles.

Publié en novembre 2013, le dernier sondage Eurobaromètre sur « l’accès et la participation à la culture » révèle une baisse du nombre d’Européens participant, comme acteur ou spectateur, à des activités culturelles. Commandée par la Commission européenne, l’enquête a été menée, entre avril et mai 2013, auprès de 27 000 personnes résidant dans les vingt-sept pays de l’Union européenne et en Croatie (pays membre depuis le 1er juillet 2013). Il en résulte que seuls 38 % des Européens prennent part à une activité culturelle comme la danse, le chant ou la photographie ; la forme de participation à une activité culturelle la plus courante est de suivre un programme culturel à la radio ou à la télévision (72 % des Européens), ou de lire un livre (68 %) ; voir un ballet, un spectacle de danse ou un opéra ne concerne que 18 % des Européens.

Les Européens privilégient des activités peu onéreuses et à domicile, comme suivre un programme culturel à la télévision ou à la radio ainsi que la lecture. Les activités impliquant de sortir, aller à la bibliothèque, au théâtre, assister à un spectacle, sont pratiquées par un petit nombre d’entre eux. Toutes les activités culturelles sont affectées par cette baisse de fréquentation par rapport à 2007, sauf celle d’aller voir un ballet, un spectacle de danse ou un opéra qui reste inchangée, ainsi qu’à l’exception notable du cinéma (+1 %). La plus forte baisse enregistrée (-6 %) concerne les programmes culturels diffusés à la télévision et à la radio, conséquence sans doute de la suppression des programmes culturels sur les antennes, ainsi que du développement des services audiovisuels payants à l’audience plus retreinte. La lecture perd, quant à elle, 3 %.

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Construit pour l’enquête, un indice de la pratique culturelle, basé sur la fréquence de participation et d’accès aux différentes activités mentionnées, montre que la proportion d’Européens déclarant avoir une participation « élevée ou très élevée » est passée de 21 % à 18 % entre 2007 et 2013, tandis que le nombre d’habitants de l’Union européenne déclarant « ne jamais ou presque jamais » participer à des activités culturelles a augmenté de 30 % à 34 %. L’indice de la pratique culturelle révèle également des différences de niveau d’engagement entre les Etats membres. Ainsi, les pays du nord de l’Europe apparaissent comme les plus engagés, avec un indice de participation élevé ou très élevé, supérieur à la moyenne européenne (18 %) : la Suède (43 %), le Danemark (36 %), les Pays-Bas (34 %), l’Estonie (30 %) et la Finlande (29 %). La Finlande et la Suède ont amélioré leur score, respectivement de 12 et 7 points depuis 2007, tandis que le Danemark et les Pays-Bas ont perdu respectivement 5 et 3 points. Le Royaume-Uni et la France sont à égalité avec 26 % et 25 % de la population ayant une participation « élevée ou très élevée ». A l’autre extrême se trouvent les pays du sud et de l’est de l’Europe, où peu nombreux sont les habitants qui qualifient leur participation aux activités culturelles comme « élevée ou très élevée » : Grèce (5 %), Portugal et Chypre (6 %), Roumanie et Hongrie (7 %). Il faut noter le faible score de l’Italie, avec 8 %. Selon les auteurs de l’étude, ces résultats sont le reflet de la politique budgétaire menée dans ces pays durement touchés par la crise économique et financière. La culture n’est pas une priorité en période d’incertitude professionnelle et de difficultés économiques en général. Le pourcentage de la population déclarant « ne jamais ou presque jamais » participer à des activités culturelles a fortement augmenté en Hongrie (54 %, soit +26 %), en Roumanie (55 %, soit +14 %) et en Grèce (63 %, soit +8 %).

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Si la crise économique contraint les Européens à réduire leurs dépenses, le manque de moyens financiers n’est cependant pas la seule raison invoquée. Les deux autres obstacles à l’accès aux pratiques culturelles sont le manque d’intérêt et le manque de temps. Les Européens évoquent le manque d’intérêt, comme raison majeure, pour ne pas voir un ballet, un spectacle de danse ou un opéra ; pour ne pas aller à la bibliothèque, au théâtre, au musée ou dans une galerie ou encore pour ne pas aller au concert. Le manque de temps explique qu’ils n’aient pas lu un livre, pas visité un site ou un monument historique, pas suivi un seul programme culturel à la radio ou à la télévision ou encore qu’ils ne soient pas allés au cinéma au cours des douze derniers mois. Néanmoins, le prix jugé trop élevé constitue un obstacle pour de nombreux Européens, particulièrement dans le pays de l’Est (Roumanie, Bulgarie et Hongrie), ainsi que dans les pays les plus affectés par la crise (Grèce, Portugal, Espagne). Une offre culturelle trop limitée ou de mauvaise qualité n’est pas l’argument majeur.

L’enquête de la Commission européenne porte également sur les activités culturelles en provenance d’un autre pays européen ou pratiquée dans un autre pays européen. Elle montre qu’à peine un tiers des Européens (31 %) a lu au moins un livre écrit par un auteur appartenant à un autre pays européen et qu’environ un quart (27 %) a suivi un programme culturel à la radio ou à la télévision en provenance d’un autre pays européen. Les Européens déclarant participer à une activité culturelle dans un autre pays européen sont encore moins nombreux : 19 % ont visité un site ou un monument historique et 10 % ont assisté à un spectacle ou une exposition.

Enfin, l’internet est un outil d’accès à la culture pour plus de la moitié des habitants de l’Union européenne (56 %). Néanmoins, seulement un tiers des Européens (30 %) déclare l’utiliser à des fins culturelles au moins une fois par semaine. Alors qu’ils sont aussi nombreux (29 %) à ne jamais se servir de l’internet dans ce but, sans compter les 14 % d’Européens qui répondent ne pas avoir d’accès internet. Les usages les plus couramment pratiqués par les internautes européens sont la lecture d’articles de journaux (53 %) ; la recherche d’informations culturelles (44 %) ; l’écoute de la radio ou de musique (42 %) ; le téléchargement de musique (31 %) ; les programmes de télévision et les films en téléchargement ou en streaming (27 %), ainsi que l’achat de livres, de CD ou de billets de spectacle (27 %). On peut également noter une proportion identique (24 %) d’internautes européens jouant à des jeux vidéo et d’internautes visitant les sites des musées, les sites des bibliothèques ou les sites spécialisés dans le perfectionnement des connaissances. Seule une minorité d’internautes européens mettent en ligne leur propre création sur des sites de partage ou sur les réseaux sociaux (11 %), ou encore créent leur propre blog ou site web culturel (7 %). « L’internet est en train de changer la façon dont les « consommateurs » et les « créateurs » d’activités culturelles accèdent à des contenus culturels et son influence grandit auprès de toutes les catégories de population », concluent les auteurs de cet Eurobaromètre.

Approuvé le 19 novembre 2013 par le Parlement européen et le 5 décembre 2013 par le Conseil de l’Union européenne, Europe Créative, le nouveau plan de soutien à la culture européenne (cinéma, télévision, musique, littérature, arts du spectacle, patrimoine…), qui fait suite aux précédents programmes Culture, Media et Media Mundus, est entré en vigueur en janvier 2014. Bénéficiant d’un budget de 1,46 milliard d’euros pour les sept prochaines années – une augmentation de 9 % –, ce programme comporte un nouveau mécanisme de garantie financière (121 millions d’euros), afin de permettre aux entreprises du secteur de la culture d’accéder à des financements privés. « Europe Créative financera jusqu’à 250 000 artistes et professionnels de la culture, 2 000 cinémas, 800 films et 4 500 traductions de livres » peut-on lire sur le site du programme. Il faut espérer qu’il répondra aux attentes des Européens en manque d’argent, en manque d’intérêt et en manque de temps pour les activités culturelles.

Sources :

  • Cultural Access and Participation Report, Special Eurobarometer 399, European Commission, ec.europa.eu, November 2013.
  • « « Europe creative »: programme de soutien dans les secteurs créatifs et culturels européens à partir de 2014 », Commission européenne, ec.europa.eu/culture/creative-europe.
Ingénieur d’études à l’Université Paris 2 - IREC (Institut de recherche et d’études sur la communication)

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