Alors que le web fête ses 25 ans en 2014, le monde commence tout juste à s’interroger à propos de la prédominance américaine sur la gestion de l’internet. Le Brésil a voté une « constitution pour l’internet » qui n’a guère inspiré les autres Etats présents au sommet NETmundial de Sao Paulo.
Le 22 avril 2014, à la veille de l’ouverture du sommet mondial sur la gouvernance de l’internet organisé à Sao Paulo, le Congrès brésilien a adopté une loi sur l’internet, baptisée « Marco Civil da Internet ». A l’étude depuis 2009, l’entrée en vigueur de ce texte régulant l’internet et garantissant la protection de la confidentialité des usagers est devenue impérative pour la présidente du paysDilma Roussef, à la suite des révélations du scandale des écoutes de la NSA dont elle-même, ainsi que ses proches, furent victimes.
Présenté comme une constitution pour le réseau, le « Marco Civil da Internet » garantit la liberté d’expression et la confidentialité de l’usager contre toute violation ou utilisation indue des données personnelles. Ce texte consacre également le principe de la neutralité du réseau en interdisant aux fournisseurs d’accès de créer des accès préférentiels.
Selon ses auteurs, ce cadre législatif servira à réguler la logique marchande, en permettant de poser des limites en termes de droit et de vie privée. Afin d’obtenir le vote du Parlement, le gouvernement a dû renoncer à exiger le rapatriement des données des internautes brésiliens, stockées par des fournisseurs d’accès et des portails étrangers, sur des serveurs au Brésil.
Rassemblant 800 participants de 85 pays, les 23 et 24 avril 2014, le sommet international sur la gouvernance de l’internet a été organisé à l’initiative du Brésil, avec le soutien de onze pays, dont l’Allemagne, la France et les Etats-Unis. Dans un contexte de méfiance généralisée à la suite de l’affaire Snowden, cette réunion inédite avait pour ambition de donner à la communauté internationale les moyens de modifier les mécanismes de prise de décision concernant le fonctionnement de l’internet, c’est-à-dire de poser les principes d’une nouvelle gouvernance se voulant à la fois plus démocratique et plus transparente. L’Europe et les pays émergents souhaitent ainsi mettre fin à la tutelle historique des Etats-Unis sur le fonctionnement du réseau mondial. Des opérateurs du secteur privé, des administrations, des ONG, des militants, des universités et diverses instances techniques ont apporté leur contribution, afin de préparer les débats sur des thèmes aussi variés que la gouvernance juridique et technique, les infrastructures, les standards, les logiciels libres, la cybersécurité, les droits de l’homme et la neutralité du Net.
« Aucun pays ne doit avoir plus de poids que les autres », a déclaré la présidente du Brésil dans son discours d’ouverture, défendant l’idée de donner le pouvoir de décision à des organismes comme le FGI (Forum sur la gouvernance de l’internet) placé sous la tutelle de l’ONU (Organisation des Nations unies). Trois grands principes furent énoncés afin de poser les bases d’un changement de gouvernance de l’internet : l’accès universel au réseau, la liberté d’expression et la neutralité de l’accès.
Au terme de deux jours de négociations, les Etats se sont mis d’accord sur la signature d’une déclaration commune, qui fait l’unanimité quant à ses généralités. Grâce à une gestion « multi-acteurs », la gouvernance de l’internet doit permettre « un réseau stable, décentralisé, sûr, interconnecté et accessible à tous ». Cette résolution finale d’une dizaine de pages est un guide des directions à prendre, à défaut de mesures concrètes. La surveillance sur l’internet y est bien sûr fermement condamnée. Il est inscrit que « la collecte et l’utilisation de données personnelles par des acteurs étatiques et non étatiques doivent être soumises aux lois internationales des droits de l’homme ». Quant au principe de la neutralité du Net, il se trouve relégué à la dernière page de ce document, reflétant les travaux d’un sommet mondial censément consacré au futur de l’internet, parmi les « points devant être discutés ultérieurement ». Omettant d’établir le calendrier précis des réformes à venir, le NETmundial aura eu au moins le mérite de faire de la « souveraineté numérique » un sujet de débat pour les années à venir.
Seule avancée notable, la confirmation par les Etats-Unis qu’ils acceptent d’abandonner, avant la fin 2015, leur contrôle exclusif sur l’Icann (Internet Corporation for Assigned Names and Numbers), administratrice des noms de domaine. Au sein de cette société privée américaine, à but non lucratif, les États ne peuvent intervenir qu’à travers un conseil purement consultatif. Si les Etats aspirent, dans leur ensemble, à faire de l’Icann un organisme de droit international, aucune décision n’a été prise dans ce sens à Sao Paulo. Face à l’enjeu économique que représente la délégation des noms de domaine, la Commission européenne a obtenu que la procédure d’attribution en cours des extensions .vin et .wine soit subordonnée à un accord préservant la cohérence des attributions avec les zones géographiques concernées, protection essentielle pour les exploitants vinicoles.
En décembre 2013, le Sénat français a entamé une mission extraterritoriale de plusieurs mois intitulée « Nouveau rôle et nouvelle stratégie pour l’Union européenne dans la gouvernance de l’internet ». « Celui qui maîtrise les réseaux maîtrise la clé du développement de nos sociétés » a déclaré Catherine Morin-Desailly, rapporteur de la mission dont les conclusions ne sont pas attendues avant l’été 2014. A l’occasion du Conseil des ministres franco-allemand en février 2014, la chancelière
Angela Merkel a soumis à la France le projet d’un réseau européen de communication. Aujourd’hui, le monde compte 2,7 milliards d’individus connectés et tous les géants de l’internet sont américains. Seuls huit groupes européens (SAP, STMicroelectronics, Ericsson, Alcatel-Lucent, NSN, Capgemini, Atos, T-Systems) figurent au classement mondial des cent premiers groupes du secteur high-tech, selon une étude publiée par le cabinet AT Kearney en février 2014.
Sources :
- « Le Parlement brésilien vote une loi protégeant les internautes », Nicolas Bourcier, Le Monde, 29 mars 2014.
- « La communauté mondiale se penche sur l’avenir du Net », Thierry Ogier, Les Echos, 24 avril 2014.
- « Le sommet de Sao Paulo laisse des défenseurs de la neutralité d’Internet sur leur faim », Nicolas Bourcier, Le Monde, 26 avril 2014.
- « La révolution du Net attendra », Cecilia Ballesteros, El País, in Courrier international, n° 1226, 30 avril au 6 mai 2014.