Lenovo rachète ses serveurs à IBM et les mobiles Motorola à Google

En s’emparant des activités de serveurs d’entrée de gamme d’IBM et de Motorola Mobility, le chinois Lenovo confirme sa stratégie d’expansion sur le plan international, qui passe par le rachat d’entreprises peu performantes mais bénéficiant d’une forte notoriété. Quant à Google, qui cède ses mobiles Motorola, il fait émerger avec cette opération une véritable alternative à Samsung pour la production à grande échelle de smartphones sous Android.

Le groupe chinois Lenovo pourrait bien détrôner le sud-coréen Samsung comme leader mondial de l’électronique. Créé en 1984, positionné d’abord sur le marché des téléviseurs, Lenovo s’est très vite concentré sur le marché des PC en s’imposant d’abord en Chine. Fort d’une base arrière solide, il a véritablement pris une dimension internationale en décembre 2004 avec le rachat de la division PC d’IBM pour 1,75 milliard de dollars. Grâce à cette stratégie, qui consiste à s’emparer d’une marque forte à l’étranger, mais également du réseau international de distribution qu’elle a déjà installé, Lenovo s’est imposé en moins de dix ans comme le leader mondial du PC, dépassant HP en 2013, avec 17 % des ventes dans le monde.

Mais le marché du PC est déprimé, notamment depuis 2010 et le lancement de l’iPad. Les tablettes viennent remplacer dans les dépenses des foyers les achats d’ordinateurs portables et autres note books qui avaient pourtant relancé le marché des ordinateurs au début des années 2000. Dès lors, la dépendance de Lenovo au PC est pour l’entreprise un point faible qu’elle envisage de corriger. Deux rachats récents en témoignent.

Le 23 janvier 2014, Lenovo s’est mis d’accord avec IBM pour le rachat de sa division serveurs, plus précisément les serveurs d’entrée de gamme X86. Moyennant 2,3 milliards de dollars, bien moins que les attentes initiales d’IBM, des montants deux fois plus élevés ayant été évoqués par la presse, Lenovo s’empare d’une division dont les marges ont fortement baissé. En effet, les serveurs d’entrée de gamme pour entreprise sont aujourd’hui devenus des commodités, quand les marges élevées se trouvent du côté du logiciel et du cloud computing (informatique en nuage), des secteurs sur lesquels IBM se concentre. Ainsi, les serveurs X86 représentent 60 % des ventes de serveurs dans le monde, mais ils permettront à Lenovo d’occuper seulement la troisième place du marché mondial, avec 8 % de parts de marché (chiffres à fin 2013), contre 27 % pour HP et 19 % pour Dell. Reste que les serveurs génèrent des marges plus confortables que le PC et surtout permettent à Lenovo de devenir un interlocuteur plus intégré pour les entreprises, à l’instar de ses concurrents américains qui se sont développés, depuis le marché des serveurs, aussi bien dans le cloud que dans les services informatiques.

Une semaine plus tard, le 30 janvier 2014, Lenovo surprenait en annonçant le rachat de Motorola Mobility à Google. Comme pour les serveurs X86 d’IBM, les mobiles Motorola sont une ancienne gloire de l’électronique américaine, reléguée en arrière-plan par l’évolution technologique. Ainsi, même après avoir été racheté en 2011 par Google (voir REM n°21, p.29), même avec le lancement depuis de deux nouveaux smartphones, le Moto X (haut de gamme) et le Moto G (entrée de gamme), Motorola reste un acteur mineur du marché des smartphones, ayant quasiment disparu des marchés asiatique et européen, les téléphones de l’américain restant en revanche bien présents en Amérique du Sud et aux Etats-Unis, où Motorola fait partie des cinq premiers vendeurs de smartphones. C’est donc moins un ensemble de performances qu’une marque et l’accès à un réseau de distribution auprès des opérateurs que Lenovo rachète pour la somme de 2,91 milliards de dollars. Avec Motorola, Lenovo pourra reproduire sur le marché des smartphones la stratégie déjà initiée avec les PC d’IBM, une stratégie résumée par Gianfranco Lanci, président de Lenovo pour l’Europe cité par Le Figaro : « La stratégie de développement est simple. Nous commençons par asseoir notre base en Chine, sur une ligne de produits. Une fois que nous avons atteint un seuil critique en volume, nous exportons dans les pays proches, comme la Russie et l’Indonésie. Et ensuite, nous nous déployons en Europe et aux Etats-Unis ».

Motorola Mobility vient ainsi s’ajouter aux activités de téléphonie mobile déjà développées par Lenovo. Afin de limiter sa dépendance au marché du PC, qui en 2013 représente encore les trois quarts du chiffre d’affaires du groupe, Lenovo a développé à partir de 2012 une stratégie dite « PC+ » de développement dans les smartphones et les tablettes, ces nouveaux terminaux qui viennent se substituer à l’ordinateur. Avec cette stratégie, Lenovo indique que le marché des smartphones est désormais à l’avantage des constructeurs venus de l’informatique (Apple, Lenovo), plus que des constructeurs historiques (Motorola, Nokia ou encore BlackBerry). Les premiers smartphones Lenovo ont ainsi été lancés en Chine il y a deux ans où le groupe affichait déjà en 2013 une part de marché de 11 %. Dans le monde, Lenovo disposait en 2013 d’une part de marché de 4,8 %, très loin derrière Samsung (31 %) et Apple (15 %). Mais cela lui suffit, grâce à sa base chinoise, à entrer dans le top 5 des fabricants mondiaux, une position qui va se renforcer avec Motorola, en permettant notamment à Lenovo de pénétrer le marché américain où il n’est pas encore présent. Lenovo contrôlera alors 6 % du marché mondial et deviendra le deuxième fabricant mondial de smartphones sous Android, avec de solides ambitions, notamment détrôner Samsung.

Cette apparition d’un nouvel acteur majeur dans l’univers Android, issu du rachat de Motorola Mobility par Lenovo, constitue peut-être une rupture dans la stratégie de Google pour imposer le système d’exploitation dont il pilote le développement. En effet, pour empêcher Apple de contrôler le marché des smartphones, Google a dû pousser Android auprès du plus grand nombre de constructeurs et trouver, parmi ceux l’ayant adopté, celui capable de venir concurrencer Apple sur le haut de gamme (voir REM n°25 p.62). Ce fut Samsung avec sa gamme Galaxy, au point que le Sud-Coréen s’est imposé comme le premier vendeur de smartphones dans le monde et le meilleur promoteur d’Android. Mais l’alliance Samsung-Google a entraîné une riposte juridique forte d’Apple, conduisant Google à racheter Motorola Mobility en 2011, afin de s’emparer de son stock de brevets. En devenant également un constructeur de smartphones, Google a fait face à Samsung et à tous les autres constructeurs de smartphones sous Android. La revente de Motorola Mobility à Lenovo met fin à cette situation, Google se concentrant désormais sur son cœur de métier, l’édition de logiciels, et n’entrant plus en concurrence avec les constructeurs qui recourent à Android. En même temps, en donnant à Lenovo les moyens de s’internationaliser rapidement, Google peut espérer limiter sa dépendance vis-à-vis de Samsung grâce à l’émergence d’un nouvel acteur majeur, et cela d’autant plus que le marché des smartphones, parvenu à maturité dans les pays développés, s’oriente désormais vers des modèles bon marché, que Lenovo produit déjà pour la Chine.

Pour Google, la cession de Motorola Mobility n’est donc pas l’aveu d’un échec. La revente de Motorola Mobility, vingt-deux mois après l’avoir racheté 12,5 milliards de dollars, ne constitue pas une dépréciation massive de la valeur du constructeur, cédé 2,9 milliards de dollars, soit plus de six fois moins. Google a en effet récupéré 2,9 milliards de trésorerie apportés avec Motorola Mobility. Il a cédé l’activité des décodeurs de Motorola pour 2,24 milliards de dollars. Enfin, il conserve l’essentiel des 17 000 brevets, valorisés 5,5 milliards de dollars dans ses comptes. Il s’agit donc presque d’un jeu à somme nulle, le rachat de Motorola Mobility par Google n’ayant toutefois pas permis de résoudre les problèmes de propriété intellectuelle associés à Android, les constructeurs de smartphones y recourant devant toujours payer des royalties, notamment à Microsoft.

Sources :

  • « Le chinois Lenovo achète l’activité serveurs entrée de gamme d’IBM », Cécile Ducourtieux, Le Monde, 23 janvier 2014.
  • « Lenovo à l’assaut d’Apple et de Samsung dans les smartphones », Sandrine Cassini, Romain Gueugneau, Les Echos, 31 janvier 2014.
  • « Lenovo, à l’assaut du monde, rachète Motorola à Google », Elsa Bembaron, Le Figaro, 31 janvier 2014.
Professeur à Aix-Marseille Université, Institut méditerranéen des sciences de l’information et de la communication (IMSIC, Aix-Marseille Univ., Université de Toulon), École de journalisme et de communication d’Aix-Marseille (EJCAM)

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