Musique : le streaming l’emporte

Après l’offensive de Spotify, qui a rendu gratuit l’accès à son service sur tablette fin 2013, Deezer propose à son tour une offre gratuite élargie, même si les chiffres du streaming révèlent que seuls les abonnements permettront un équilibre économique des offres. Mais il s’agit là d’une politique de recrutement de nouveaux utilisateurs, ce sur quoi ne pourra pas compter la FNAC qui a lancé un service 100 % payant.

Le marché mondial de la musique, en hausse en 2012, baisse de nouveau en 2013  (- 3,9 %) selon l’IFPI (International Federation of Phonographic Industry). Le développement des offres numériques devient donc essentiel comme moyen de créer un nouveau dynamisme sur le marché de la musique enregistrée, à défaut de compenser les pertes constatées sur le marché du CD, sans commune mesure. Et, sur le marché numérique, l’adéquation entre les possibilités techniques et les offres semble enfin trouvée, au moins en termes d’usages. En effet, si iTunes Music Store, en 2013, a fait émerger le téléchargement légal, il ne s’est en fait agi que d’une pratique minoritaire, constatée surtout pour les seuls utilisateurs d’équipements Apple. Même si le téléchargement représente encore 67 % du marché mondial de la musique numérique, ses revenus déclinent en 2013 sur le plan international (-2,1 %). A vrai dire, recourir au téléchargement légal pour remplir des disques durs capables d’accueillir des milliers de titres semble intenable sur le long terme, pour des raisons évidentes de coût pour le consommateur, ce qui explique le succès historique du peer to peer et du piratage.

Le téléchargement légal risque donc de n’être à l’avenir qu’une pratique ponctuelle, pour certains titres préférés, et non un mode de consommation de masse de la musique, même si le téléchargement, dont le modèle économique est stabilisé (1 titre = 0,99 dollar) reste pour l’instant prépondérant dans la ventilation des revenus sur le marché de la musique numérique. D’ailleurs, la FNAC, premier vendeur de disques en France, a préféré mettre fin à son service de téléchargement fin 2012 et renvoyer ses utilisateurs vers iTunes, officialisant avec cette fermeture l’exception que constitue le site de téléchargement d’Apple.

En revanche, le streaming ne fait pas partie des exceptions, mais devient un phénomène mondial qui préfigure une nouvelle consommation de masse – et légale – de la musique. En effet, en délocalisant sur des méga-serveurs des dizaines de millions de titres et en proposant des conditions optimisées d’écoute de la musique (play lists, recommandations, synchronisation PC/mobile), les services de streaming répondent à une exploitation optimale des terminaux connectés les plus récents. Sans surprise, c’est ce secteur qui tire aujourd’hui la croissance du marché de la musique numérique, qu’il s’agisse du streaming par abonnement (+ 51,3 % en 2013) ou du streaming financé par la publicité (+17,6 %). Mais le recours au financement publicitaire ne représente qu’une très faible partie du marché mondial de la musique numérique, certes en augmentation, puisque la publicité représentait 3 % du marché en 2008 et 8 % en 2013, grâce au succès de YouTube, Deezer ou Spotify. Autant dire que le reste relève du payant, des téléchargements ou des abonnements, ce qui se traduit par exemple dans le chiffre d’affaires de Deezer, composé à 90 % de revenus payants, quand le service revendique une audience près de cinq fois supérieure à son nombre d’abonnés, 5 millions fin 2013.

Ainsi, la logique de recrutement d’utilisateurs à marche forcée, adoptée par Spotify en décembre 2013, qui a rendu gratuit son service sur tablette et proposé une version gratuite et dégradée sur smartphone, quand tout était auparavant payant pour les terminaux mobiles (voir REM n°29, p.56), consiste à donner une prime au financement publicitaire et à reporter tout espoir de rentabilité. En effet, convertir des utilisateurs habitués au gratuit, en contrepartie de 2 minutes de publicité par heure chez Spotify, à des offres payantes facturées près de 10 dollars par mois reste un exercice délicat. Au moins cela permet-il à Spotify de résister à la déferlante YouTube qui s’impose dans le streaming gratuit grâce à son offre de vidéos musicales. En prenant cette décision, Spotify a également obligé son principal concurrent, Deezer, à réagir rapidement. Le service français de streaming, présent dans 182 pays début 2014, a ainsi modifié, le 10 avril 2014, les conditions d’accès à son service. Alors qu’il proposait depuis 2011 un accès gratuit mais limité au service depuis un PC (5 heures par mois, 10 heures depuis l’été 2013), l’accès à Deezer devient totalement gratuit sur PC, mais également sur tablette, celles-ci remplaçant de plus en plus les PC, et une radio personnalisée est également disponible gratuitement sur smartphone. Le payant se limite donc désormais aux offres pour smartphone qui conservent des services réservés, comme choisir ses morceaux, accéder à sa musique hors connexion, et cela bien sûr sans publicité.

Avec un tel élargissement de l’offre gratuite, censée convaincre les utilisateurs de basculer vers le payant, le streaming gratuit risque – au moins en termes d’usage – de connaître une croissance forte. A cet égard, le retour de la FNAC sur le marché de la musique numérique, avec le lancement le 31 mars 2014 de son service Fnac Jukebox, semble très difficile. Le service, lancé face à Deezer, dominant en France, se voulait une alternative originale parce que bon marché sur les offres payantes : s’il propose comme Deezer des offres à 4,99 euros par mois (écoute illimitée sans publicité depuis le site web), à 9,99 euros par mois (accès mobile et tablette), Fnac Jukebox se distingue par une offre à 2 euros par mois donnant accès à 200 titres pour une écoute illimitée depuis son PC, et 7 euros par mois pour une écoute PC/mobile. En revanche, Fnac Jukebox ne propose pas de service de streaming gratuit. Il fait donc face à une marque forte, Deezer, bien connue des Français, qui, une semaine après le lancement de Fnac Jukebox, a donné accès à 30 millions de titres gratuitement sur PC et sur tablette, sans limitation d’écoute ! A l’évidence, la FNAC devra repositionner son offre pour tenter de bénéficier du dynamisme du streaming en France.

Sources :

  • IFPI Digital Music Report 2014, IFPI, 2014, 48 pages.
  • « La FNAC lance un service de streaming musical low cost », N.R., Les Echos, 3 avril 2014.
  • « La FNAC à l’assaut de Deezer et Spotify dans la musique », Benjamin Ferran, Le Figaro, 3 avril 2014.
  • « Deezer étoffe son offre de streaming gratuit », lesechos.fr, 10 avril 2014.
  • « Deezer lance une offre gratuite sur mobile et tablette », Chloé Wattier, Le Figaro, 11 avril 2014.
Professeur à Aix-Marseille Université, Institut méditerranéen des sciences de l’information et de la communication (IMSIC, Aix-Marseille Univ., Université de Toulon), École de journalisme et de communication d’Aix-Marseille (EJCAM)

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