Les parlementaires européens ont voté, dans leur grande majorité, en faveur de ce principe fondateur du réseau mondial, en amendant le texte proposé par la Commission européenne.
L’Europe vient de franchir une étape importante dans le cadre de la réforme législative en cours du Paquet Télécom datant de 2009. A l’occasion d’un vote en séance plénière et en première lecture, le Parlement européen s’est prononcé le 3 avril 2014 en faveur du principe de neutralité du réseau défini comme suit : « L’ensemble du trafic internet est traité de façon égale, sans discrimination, limitation, ni interférence, indépendamment de l’expéditeur, du destinataire, du type du contenu, de l’appareil, du service ou de l’application ». Calqué sur la définition de la neutralité du réseau inventée par Tim Wu en 2003, professeur de droit à l’université Columbia, cet énoncé émane d’un amendement déposé notamment par l’eurodéputée socialiste française Catherine Trautmann (non réélue en mai 2014) et l’eurodéputé du groupe des Verts et membre du Parti Pirate, Amelia Andersdotter (réélue). En outre, le texte voté précise que les internautes ne sont pas seulement « libres » d’utiliser les services de leurs choix, mais sont « en droit » de le faire.
Par 534 voix pour, 25 contre et 58 abstentions, les députés européens ont donc adopté un texte qui, sans aucune ambiguïté, prévoit que les fournisseurs d’accès à internet ne peuvent pas bloquer ni ralentir les services internet de leurs concurrents. Les opérateurs seront en droit de rentabiliser leurs réseaux en commercialisant des services à valeur ajoutée (vidéo à la demande, service de cloud computing…). Mais, ils ne pourront le faire qu’à condition de ne pas porter atteinte à la disponibilité ou à la qualité des services d’accès à l’internet émanant d’autres entreprises ou services. Contrairement à ce qu’envisageait la Commission européenne, seules des circonstances exceptionnelles pourront justifier des mesures de gestion du trafic – mettre en œuvre une décision de justice, préserver l’intégrité et la sécurité du réseau ou prévenir les effets d’une congestion temporaire du réseau – et celles-ci devront être transparentes, non discriminatoires, proportionnées et maintenues pendant la durée strictement nécessaire.
Les associations de défense de la neutralité du Net, telle que La Quadrature du Net, et l’Union européenne de radio-télévision (UER) se félicitent de cette prise de position des eurodéputés. Il n’en va pas de même pour les opérateurs de télécommunications, réunis au sein de l’European Telecommunications Network Operators’Association (ETNO) et de GSM Association (GSMA) représentant 850 opérateurs de téléphonie mobile, qui y voient un frein au développement de leurs capacités d’investissements. Les batailles vont donc reprendre, d’autant que le texte en débat est un règlement (et pas une directive faisant l’objet d’une transposition à terme par chaque Etat), c’est-à-dire qu’il est applicable à tous les Etats membres, en l’état et immédiatement.
Au demeurant, le texte voté met fin aux redevances d’itinérance (roaming) pour les appels, les messages et l’internet mobile d’ici à décembre 2015. A cette date, les Européens pourront donc utiliser leur téléphone portable dans n’importe lequel des pays de l’Union européenne, sans que leur soit facturé d’emblée un surcoût de communication. Les opérateurs de télécommunications déplorent que leur secteur soit « encore une fois ponctionné », alors qu’ils doivent investir massivement dans le développement de la 4G et de la fibre optique.
Le travail de négociation entre les deux colégislateurs, le Parlement et le Conseil, reprendra à la suite des élections législatives de mai 2014, afin d’aboutir à un compromis définitif. Le vote en deuxième lecture devrait intervenir avant la fin du mandat de l’actuelle Commission, dont le président est le Portugais José Manuel Barroso, soit au plus tard le 31 octobre 2014. Ce premier vote du Parlement européen n’en reste pas moins un signal politique adressé aux Etats membres, au moment où le principe de neutralité du réseau est sérieusement mis à mal outre-Atlantique, au pays des géants du Net.
Des acteurs aux intérêts pourtant divergents, la Fédération française des télécoms (FTTélécoms) et le Groupement des éditeurs de contenus et de services en ligne (GESTE), se retrouvent et plaident en faveur d’une extension du principe de neutralité aux plates-formes (systèmes d’exploitation, magasins d’application, navigateurs), afin que l’internet soit pleinement neutre et ouvert.
Sources :
- « Vers la fin des frais de “roaming” en Europe », AFP, tv5.org, 3 avril 2014.
- « “Paquet télécoms” : le Parlement européen adopte le texte, mais renforce les dispositions sur la neutralité du Net », La Correspondance de la Presse, 4 avril 2014.
- « Le GESTE se réjouit des orientations adoptées par le Parlement européen en faveur d’un internet libre et ouvert », communiqué de presse, GESTE, 8 avril 2014.