21st Century Fox joue la carte de la consolidation et de l’internationalisation

En cherchant à fédérer ses activités de télévision payante en Europe, à s’allier aux géants de la production audiovisuelle, enfin à racheter Time Warner, le groupe 21st Century Fox indique clairement qu’il est, depuis sa séparation avec les activités presse et édition de News Corp., un acteur majeur de la consolidation des industries culturelles, face aux nouvelles concurrences venues de l’internet et des télécoms.

Trois annonces successives témoignent des ambitions du nouveau 21st Century Fox, issu de la cession du groupe News Corp. et désormais focalisé sur les seules activités de production, de cinéma et de télévision (voir REM n°28, p.49). Ces trois annonces, dont certaines n’aboutiront pas, ont toutes pour ambition d’établir un acteur dominant : la constitution d’un géant européen de la télévision payante sous l’égide de BSkyB ; la constitution d’un géant mondial de la production de programmes de flux grâce à une alliance entre Shine, Endemol et Core Media Group ; enfin, le rachat de Time Warner par 21st Century Fox. A chaque fois, les opérations citées font émerger un géant sur un ou plusieurs des marchés où opère 21st Fox. A chaque fois, ces opérations semblent répondre à la reconfiguration actuelle des rapports de force entre acteurs économiques dans le domaine du divertissement. La menace vient d’abord des géants de l’internet, Google, Amazon, Netflix, Apple qui, avec leurs plates-formes, tirent vers le bas les prix des contenus et bénéficient des capacités des réseaux des opérateurs, qu’ils ne payent pas ou alors très peu. En réaction, les réseaux ont renforcé leur pouvoir, soit en jouant la carte de la concentration, ainsi du rachat de Time Warner Cable par Comcast aux Etats-Unis (voir REM n°30-31, p.65), soit en prenant le contrôle de contenus exclusifs pour conserver leurs abonnés, comme British Telecom qui s’est emparé des droits de la Champions League britannique à partir de 2015 (voir REM n°29, p.38), Virgin Media désormais détenu par Liberty au Royaume-Uni (voir REM n°26-27, p.27) ou encore AT&T qui s’est emparé de l’offre de chaînes de DirecTV aux Etats-Unis (voir REM n°30-31, p.65). Les médias sont donc contraints de réagir et d’atteindre à leur tour une taille critique pour négocier sur un pied d’égalité avec les géants du Net comme avec les nouveaux géants des télécoms. Les opérations initiées par Rupert Murdoch, à la tête de 21st Century Fox, vont toutes dans ce sens.

La première d’entre elles consiste à faire émerger un géant intégré de la télévision payante en Europe, alors même que BSkyB est attaqué sur le marché britannique par British Telecom, positionné sur les droits du foot, et par le succès des offres de SVOD de Netflix. Pour renforcer BSkyB, ses capacités d’investissement comme son pouvoir de négociation, Rupert Murdoch a annoncé, le 10 mai 2014, que le bouquet de télévision britannique, détenu à 39 % par 21st Century Fox depuis l’échec du rachat en totalité en 2011 (voir REM n°20, p.30), envisageait de racheter à 21st ses activités de télévision payante en Europe, à savoir les 100 % du capital de Sky Italia, ainsi que les 57 % détenus dans Sky Deutschland, BSkyB devant alors lancer une OPA sur le reste des titres de l’opérateur allemand. Autant dire qu’avec cette opération, 21st sortirait définitivement de la télévision payante en Europe, qu’il ne contrôlerait plus qu’indirectement via sa participation dans BSkyB. Cela permettrait au nouveau groupe de Rupert Murdoch de se focaliser sur la seule production audiovisuelle et cinématographique, et sur l’édition de chaînes, tout en se retirant de la distribution. BSkyB aurait alors en Europe une position très forte, que ne manquera pas d’étudier la Commission européenne. Mais Rupert Murdoch semble convaincu de la faisabilité de l’opération puisque BSkyB a précisé, le 25 juillet 2014, être prêt à payer 5,35 milliards de livres, soit 6,76 milliards d’euros, pour Sky Italia et la participation de 21st Century Fox dans Sky Deutschland. Si l’opération aboutit, BSkyB n’aura pour véritable concurrent en Europe que le groupe Canal+, fortement implanté en France, en Belgique et en Pologne, et fort d’énormes capacités d’investissement grâce à Vivendi.

La deuxième opération a de son côté de bonnes chances d’aboutir puisque 21st Century Fox a confirmé, début mai 2014, avoir signé un accord préliminaire avec le fonds Appolo Global, qui détient Endemol et Core Media Group, afin de créer une coentreprise dans la production avec Shine, détenu à 100 % par 21st. Endemol, Core Media Group et Shine ont toutes les trois la particularité d’être des champions de la téléréalité et, unies, elles représenteraient quelque 2,8 milliards de dollars de chiffre d’affaires. En comparaison, l’actuel leader de la production audiovisuelle est le groupe Freemantle, détenu par Bertelsmann, qui affiche un chiffre d’affaires moyen d’environ 1,5 milliard d’euros.

Enfin, la troisième opération n’aboutira pas, sauf à considérer que l’abandon de 21st Century Fox relève d’une politique à moyen terme. En effet, en révélant, en juillet 2014, que 21st Century Fox avait proposé quelque 80 milliards de dollars à Time Warner pour le racheter, le New York Times a mis au grand jour les ambitions très fortes du groupe dirigé par Rupert Murdoch. En fusionnant deux géants américains des médias, l’opération aurait fait émerger un groupe capable de tenir tête à Netflix, à Amazon comme à Comcast-TWC, chacun des groupes détenant des studios à Hollywood (Century Fox d’une part, Warner Bros de l’autre), de puissantes chaînes d’information (Fox News d’une part, CNN de l’autre), avec en outre des pépites pour Time Warner, la chaîne HBO et les principaux droits des compétitions sportives américaines. Enfin, sur le plan financier, les deux groupes sont de taille égale, avec 28 milliards de dollars de chiffre d’affaires pour 21st Century Fox, qui bénéficie du dynamisme de son réseau Fox, enfin 30 milliards de dollars chez Time Warner, qui bénéficie d’une rentabilité retrouvée depuis l’introduction en Bourse de ses activités peu rentables dans la presse (voir REM n°26-27, p.34). Pour convaincre les actionnaires de Time Warner, 21st Century Fox a donc proposé une prime de 20 % par rapport au cours de Bourse, les actionnaires étant payés en numéraire pour 40 % et en actions du nouvel ensemble pour les 60 % restants. C’est ce deuxième mode de financement qui aura fait échouer l’opération : après que Time Warner a indiqué vouloir rester indépendant, tout en recrutant des banquiers pour étudier une éventuelle cession. En effet le cours en Bourse de la cible a augmenté quand celui de 21st Century Fox a baissé de 10 %, ce qui a compliqué l’équation financière, la part de 21st diminuant alors dans le nouvel ensemble. Aussi, le 5 août 2014, Rupert Murdoch a annoncé abandonner son projet de rachat de Time Warner, le temps peut-être d’établir un nouvel équilibre plus favorable pour 21st ?

Sources :

  • « TV payante : Murdoch veut regrouper ses forces en Europe », Nicolas Madelaine, Fabienne Schmitt, Les Echos, 13 mai 2014.
  • « Rupert Murdoch veut unifier ses télévisions en Europe », Marc Roche, Le Monde, 13 mai 2014.
  • « Vers un géant mondial de la télé-réalité », Fabienne Schmitt, Les Echos, 19 mai 2014.
  • « Time Warner, nouvelle proie de l’insatiable Murdoch », Lucie Robequain, Les Echos, 17 juillet 2014.
  • « Murdoch veut ajouter Time Warner à son empire », Pierre-Yves Dugua, Le Figaro, 17 juillet 2014.
  • « Murdoch met Sky Europe sur orbite », Alexandre Debouté, Le Figaro, 26 juillet 2014.
  • « A la surprise générale, Rupert Murdoch renonce à racheter Time Warner », Pierre-Yves Dugua, Le Figaro, 7 août 2014.
Professeur à Aix-Marseille Université, Institut méditerranéen des sciences de l’information et de la communication (IMSIC, Aix-Marseille Univ., Université de Toulon), École de journalisme et de communication d’Aix-Marseille (EJCAM)

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