Alors que la RNT apparaît en France, sans toutefois que Radio France ni les principaux groupes privés de radio y participent, le Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) inaugure simultanément un chantier d’optimisation du spectre de la FM. Simultanément, Radio France et les grands éditeurs développent une application unique de radio sur internet, présentée comme une réponse pertinente aux nouveaux enjeux posés par le numérique.
Annoncé depuis dix ans, puis toujours reporté, le lancement de la radio numérique terrestre (RNT) en France est officiel, avec le début des émissions, le 20 juin 2014, dans les trois grandes villes sélectionnées par le CSA en 2012 : Paris, Marseille et Nice. Mais ce lancement s’apparente déjà à un acte de décès pour la RNT. En effet, le basculement de la radio en numérique, dernier média à être distribué en analogique sur la bande FM, ne fait pas l’unanimité. Au premier rang des opposants, les grandes radios privées qui ont refusé d’émettre sur la RNT, celles de Lagardère Active (Europe 1, Virgin Radio, RFM), celles de NRJ (NRJ, Chérie FM, Nostalgie, Rires & Chansons), celles de RTL (RTL, RTL2, Fun Radio), enfin celles de NextRadioTV (RMC, BFM), toutes réunies au sein du Bureau de la radio. En ne favorisant pas le développement de la RNT, les grands groupes privés radiophoniques freinent l’émergence de concurrents nouveaux, la RNT permettant de multiplier le nombre de fréquences. En même temps, ils s’épargnent les coûts de la double diffusion, en FM et en numérique. Les gouvernements successifs, de gauche comme de droite, n’ont pas soutenu la cause de la RNT. Aucune fréquence n’a été préemptée sur la RNT pour le groupe Radio France. Autant dire que la RNT, lancée sans Radio France et sans les quatre grands groupes privés, naît amputée des stations qui réalisent ensemble 80 % de l’audience totale de la radio en analogique. L’intérêt d’une bascule en numérique pour l’auditeur semble donc bien faible, d’autant que ce sont près de 10 récepteurs en moyenne par foyer qu’il faudra remplacer. Enfin, le CSA ne cache pas son inquiétude sur le modèle économique de la RNT, après les rapports allant dans le même sens de Marc Tessier en 2009 et de Denis Kessler en 2011. Un prochain rapport est d’ailleurs attendu pour faire le bilan des premiers mois de la RNT dans les trois villes concernées.
Des alternatives à la RNT sont donc envisagées quand il s’agit de renforcer l’audience de la radio. La première consiste tout simplement à mieux optimiser le spectre des fréquences de la FM afin d’en distribuer de nouvelles, notamment dans les zones peu denses où la présence radiophonique est faible, et où elle pourrait le rester en l’absence de RNT. Le chantier de l’optimisation a d’ailleurs commencé la semaine suivant le lancement de la RNT, et il est mené par le CSA, signe s’il en est que la FM risque de demeurer le principal mode de diffusion de la radio dans les années à venir. Il n’empêche que le numérique s’impose peu à peu dans les pratiques des auditeurs, puisque ce sont environ 20 % des auditeurs entre 13 et 34 ans qui écoutent déjà la radio depuis un PC, un smartphone ou une tablette. Autant dire que l’avenir de la radio numérique, notamment pour les grands groupes privés, passe d’abord par l’internet, et non par la construction d’un nouveau réseau numérique de distribution, ce en quoi consiste la RNT. D’ailleurs, afin de contrôler demain la distribution de leurs programmes, accessibles déjà depuis les box des FAI (fournisseurs d’accès à internet) et certains portails en ligne, les éditeurs privés, réunis dans le Bureau de la radio, ainsi que le groupe Radio France, se sont associés, le 3 juillet 2014, dans un regroupement baptisé Direct Radio, afin de développer une application unique pour accéder à l’ensemble de leurs stations et programmes. Cette application sera donc aux terminaux connectés ce que le transistor est à la bande FM, à savoir le vecteur d’une diffusion contrôlée des émissions des stations. En revanche, les éditeurs indépendants, réunis dans le SIRTI, sont à ce jour exclus de Direct Radio, alors qu’ils représentent 20 % de l’audience nationale. Mais ils payent assurément leur soutien indéfectible à la RNT.
Sources :
- La Radio Numérique Terrestre, rapport de David Kessler, mars 2011.
- Les perspectives de financement du projet de radio numérique terrestre, rapport de Marc Tessier, novembre 2009.
- « La radio numérique terrestre naît à Paris, Marseille et Nice », Grégoire Poussielgue, Les Echos, 18 juin 2014.
- « Le CSA repart en quête de nouvelles fréquences sur la FM », Grégoire Poussielgue, Les Echos, 24 juin 2014.
- « Radio : alliance sacrée pour la distribution », Grégoire Poussielgue, Les Echos, 24 juin 2014