Surveillance et géolocalisation

La France a adopté, fin 2013 et début 2014, deux dispositions permettant de reconnaître les pratiques de géolocalisation à des fins de surveillance.

L’essor des nouvelles technologies de l’information et de la communication favorise la pratique de nouveaux usages. La géolocalisation est probablement l’une des plus significatives. A partir des nombreuses applications disponibles sur les smartphones, tablettes, ordinateurs ou tout objet comprenant une puce GPS, maintenant présent dans les véhicules et dans les résidences domotisées, il est possible de se localiser en temps réel ou de suivre les mouvements d’un individu dans un espace, de connaître ses déplacements et d’anticiper même ses actions en fonction de la connaissance de ses habitudes. Cet usage, qui se généralise, offre des débouchés économiques inédits et une somme d’informations inégalée. Il n’est pas sans poser des questions morales et juridiques puisqu’il touche directement aux libertés individuelles et demande la définition d’une réglementation adaptée.

La géolocalisation, une question éminemment géopolitique

Cette évolution technologique revêt une dimension géopolitique à un deux niveaux : à la fois interne et externe. Sur un plan interne, l’usage de la géolocalisation pose la question de la connaissance d’informations concernant la vie privée. Les acteurs économiques, telles des entreprises cherchant à identifier les usages de ses clients, et les acteurs étatiques, tels les services de renseignement et de police traquant les terroristes potentiels ou les personnes sujettes à des délits, disposent de données inédites qui peuvent faire l’objet de dérives en l’absence de limitations. En France, la Cour de cassation, par deux arrêts en date du 22 octobre 2013, a considéré que l’usage de la géolocalisation lors d’une procédure judiciaire représentait une ingérence dans la vie privée et devait être exécuté sous le contrôle d’un juge. Une nouvelle réglementation doit être définie afin d’en fixer les conditions d’usage. Aux Etats-Unis comme en France, les défenseurs des libertés individuelles en ont dénoncé les contradictions et tendent à en limiter la pratique. L’usage de la géolocalisation suscite de nouvelles concurrences et rivalités d’influence entre différents acteurs, étatiques ou appartenant à la société civile, dont les médias se font parfois l’écho.

Sur le plan externe, la géolocalisation est employée dans le cadre de programmes de surveillance et d’espionnage. Elle constitue un champ de rivalités de pouvoir entre les Etats, ce qui n’est pas nouveau, mais qui aujourd’hui se distingue par le haut degré de technologie conçue et utilisée à cet effet. L’une des situations les plus médiatisées, tant son effet eut une portée planétaire, est l’affaire Snowden pendant l’été 2013 (voir REM n°28, p.69). Les informations livrées par Edward Snowden ont produit un véritable séisme diplomatique entre les Etats. Analyste dans l’une des agences fédérales de renseignement américain (la National Security Agency), il révèle des données inédites non seulement sur la diversité des programmes de cyberespionnage, dont le programme Prism, dans le cadre de la lutte contre le terrorisme international depuis le milieu des années 2000, mais aussi certaines méthodes de surveillance de leurs « cibles », notamment à partir de la géolocalisation. L’opinion publique internationale apprend ainsi que les services de renseignement américains, notamment la National Security Agency, peuvent avoir connaissance de toute information concernant un individu à partir d’un objet contenant une puce GPS. L’affaire prend une tournure diplomatique de grande ampleur lorsque des chefs d’Etat ou des représentants de haut niveau de leur Etat, découvrent qu’ils ont été surveillés et espionnés à leur insu pendant plusieurs années. Elle a ainsi contribué à durcir des relations parfois déjà difficiles dans des situations de crise internationale, notamment dans les relations américano-russes à propos des questions syrienne et ukrainienne. Elle a pu en compromettre d’autres comme les relations américano-allemandes au printemps 2014, lorsque la chancelière allemande Angela Merkel condamne la mise sur écoute de ses liaisons téléphoniques par la National Security Agency.

En France, l’un des impacts de l’affaire Snowden conduit à s’interroger sur les possibilités d’usage de la géolocalisation. A la fin 2013, celle-ci se situe au cœur d’un débat politique entre experts alors que l’opinion publique en a saisi difficilement toute la dimension technique et juridique. Le concept de géolocalisation demeure, somme toute, assez complexe à comprendre bien que sa pratique appartienne de plus en plus à notre quotidien grâce aux nouvelles technologies. Selon les programmes ou technologies employés, il renvoie tout autant à la surveillance numérique par la consultation des données internet, la Geospatial Intelligence (Geoint), qui associe la localisation géographique par des technologies numériques et électromagnétiques, qu’à l’imagerie satellitaire, le référencement géographique numérique par les systèmes de positionnement. Le terme « géolocalisation » recouvre aujourd’hui diverses acceptions, selon les acteurs et l’usage qui en est fait. De manière générale, il semble d’abord désigner des pratiques liées au renseignement, réservées à des institutions spécifiques dans un environnement d’exception. La géolocalisation renvoie aussi à une dimension technologique avancée qui s’inscrit dans une révolution sociétale par les enjeux qu’elle met en œuvre sur le plan politique et militaire, économique et financier, social et culturel.

Une loi relative à l’usage de la géolocalisation

A la suite de l’affaire Snowden, un tournant juridique et politique est pris en France à propos de la question sur la géolocalisation (voir REM n°29, p.22). La loi de programmation militaire 2014-2015, adoptée à l’Assemblée le 18 décembre 2013, non sans susciter de vives réactions de la part de certains experts, envisage, dans l’article 20, de nouvelles dispositions liées à la collecte des données de connexion (historique des utilisateurs, métadonnées des communications, géolocalisation), ainsi qu’au contenu des correspondances au profit des administrations de la Sécurité intérieure, de la Défense, de l’Economie et du Budget. Cet article doit permettre de réglementer, à partir de 2015, les usages pour accéder aux données techniques de connexion, en temps réel, de personnes susceptibles de porter atteinte à la défense et à la sécurité nationale (terrorisme, espionnage, criminalité organisée, déstabilisation des institutions républicaines). Une seconde disposition est rapidement envisagée peu après. Dès janvier 2014, un projet de loi est discuté afin de mettre le droit français en conformité avec les exigences demandées par la Cour européenne des droits de l’homme ainsi que par les deux arrêts en date du 22 octobre 2013 de la Cour de cassation. Pour clarifier une situation juridique qui ne semblait pas établie, le gouvernement engage ainsi une nouvelle procédure qui s’est voulue accélérée par une seule lecture à l’Assemblée nationale et au Sénat.

La loi est adoptée le 28 mars 2014 par les deux Chambres. Elle légalise les pratiques de géolocalisation en temps réel. Dans son article 1er, elle autorise la police judiciaire à effectuer des suivis d’individus en temps réel par « tout moyen technique [autrement dit tout objet qui contient une puce GPS comme un téléphone portable ou une montre connectée] destiné à la localisation en temps réel, sur l’ensemble du territoire national, d’une personne, à l’insu de celle-ci, d’un véhicule ou de tout autre objet, sans le consentement de son propriétaire ou de son possesseur ». Par l’article 2, elle donne la même possibilité aux agents des douanes, pour les besoins de l’enquête douanière et sur autorisation judiciaire.

La géolocalisation peut être mise en œuvre pour les suspects de délits commis contre les personnes pour lesquels le code pénal prévoit une peine de trois ans d’emprisonnement ou plus, comme les menaces de mort, violences ayant entraîné au moins neuf jours d’ITT, trafic de drogue, agressions sexuelles, et tous les autres crimes et délits punis d’au moins cinq ans de prison, ainsi que d’autres infractions spécifiques (comme l’hébergement d’un criminel), et tous les délits douaniers punis de trois ans ou plus. Enfin, d’autres dispositions spécifiques sont adoptées. La géolocalisation peut être utilisée aussi pour retrouver des personnes disparues ou en fuite. En cas de risque de destruction de preuves ou d’atteinte grave à une personne ou un bien, un policier peut mettre en œuvre une action de géolocalisation avec l’accord d’un magistrat dans les vingt-quatre premières heures de l’opération. Les données peuvent rester secrètes afin de protéger l’intégrité des personnes. La destruction des données a lieu au bout de dix ans pour les crimes et de trois ans pour les délits. Le texte final, résultant de l’accord entre les deux Chambres en commission mixte paritaire, est adopté par le Parlement en moins de quatre mois, soutenu tant par les députés que par les sénateurs (à l’exception de l’abstention des écologistes). Cette adoption vient ainsi combler un vide juridique mais n’a étonnamment pas ouvert un débat public, en raison vraisemblablement de son caractère technique. Certes, la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL) est consultée par le gouvernement et souligne que « le recours à la géolocalisation en temps réel s’apparente à une interception du contenu des communications électroniques », (avis transmis à la Commission des lois de l’Assemblée nationale du 11 février 2014). Mais sa demande de porter le délai d’instruction par le procureur, en cas de flagrance, à huit jours (lequel est de quinze jours dans la loi), avant qu’un juge indépendant de la Chancellerie ne puisse donner l’autorisation de poursuivre la géolocalisation, n’est pas entendue. Il n’en demeure pas moins que l’emploi réglementé de la géolocalisation pour les services étatiques est révélateur d’une révolution en cours.

Sources :

  • « Loi géolocalisation : ce que dit le texte final », Guillaume Champeau, Numerama.com, 21 février 2014.
  • Loi n° 2014-372 du 28 mars 2014 relative à la géolocalisation, Légifrance, legifrance.gouv.fr
  • Loi relative à la géolocalisation, Travaux parlementaires, Sénat, senat.fr
Professeur des Universités en géographie, laboratoire Espace, nature et culture (UMR 8185)

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