Des « têtes » de la Silicon Valley franchissent la muraille de Chine

« Les challengers chinois seront-ils les prochains leaders mondiaux ? ». A cette question, titre d’un article du Boston Consulting Group, la réponse tient peut-être en un nom : Xiaomi, surnommé « Apple de la Chine ». Cette start-up, la plus valorisée au monde, recrute ses ingénieurs auprès des géants américains.

Dominer le marché mondial, telle est l’ambition revendiquée par Lei Jun, fondateur et patron du fabricant chinois de smartphones Xiaomi (mot à mot petit riz). La start-up lancée en 2010 est devenue un géant industriel. Au troisième trimestre 2014, Xiaomi s’est inscrit dans le top 5 mondial des constructeurs de smartphones, occupant le 3e rang avec 5,2 % de parts de marché, derrière les deux géants, le sud-coréen Samsung (23,7 %) et l’américain Apple (11, 7 %), mais devant son compatriote Lenovo (5,1 %) et le sud-coréen LG (5,0 %).

Devenu numéro 1 en Chine, Xiaomi a vendu plus de 60 millions de smartphones en 2014, soit une hausse de 227 % par rapport à 2013 et vise les 100 millions en 2015. Son chiffre d’affaires a été multiplié par deux pour atteindre 12 milliards de dollars. Cet essor fulgurant, comparable à aucun autre selon les analystes, tient à une production d’appareils haut de gamme, comme le Mi 4, bien moins chers (entre 150 et 300 dollars) que ceux de ses concurrents Apple et Samsung, ainsi qu’à des coûts de distribution réduits grâce à une commercialisation exclusivement en ligne et une politique marketing très maîtrisée. En jeans et tee-shirt noir, le PDG quadragénaire Lei Jun s’inspire ouvertement de la méthode marketing de Steve Jobs, entretenant le buzz sur le web, jouant sur le sentiment de rareté, en pratiquant notamment des ventes flash sur internet.

Encore méconnue en Occident, la marque s’est développée à Taïwan, à Hong Kong et en Asie du Sud-Est (Singapour, Malaise, Indonésie). Son développement en Inde, deuxième marché mondial des smartphones, a été interrompu par une interdiction de commercialisation, à la suite d’un contentieux sur l’exploitation de huit brevets appartenant au suédois Ericsson, à qui la Haute Cour de justice de New Dehli a donné raison en décembre 2014. Le procès est en cours. Dans un pays où sont fabriquées à bas coût les grandes marques de smartphones, Xiaomi s’est fait une réputation de copieur d’iPhone, qui n’entrave cependant pas son succès auprès de la population chinoise. Le célèbre designer de la marque à la pomme, Jony Ive, parle, quant à lui, de « vol ».

Pour poursuivre son développement international comme il l’entend, notamment au Brésil, au Mexique, en Thaïlande, en Russie et en Turquie, Xiaomi va devoir renforcer sa notoriété. Une levée de fonds de 1,1 milliard de dollars en décembre 2014 a pour première conséquence de valoriser la société à 45 milliards de dollars. Cette opération financière pourrait d’ailleurs permettre à Xiaomi d’investir en recherche et développement, afin de renforcer sa propriété industrielle, selon Jason Low, analyste chez Canalys à Shanghai. Wang Jun, du cabinet Analysys International, considère, quant à lui, qu’il faudrait des années à Xiaomi pour parvenir à dépasser Apple en termes de parts de marché mondiales, même s’il obtenait un portefeuille de brevets pour les marchés étrangers. Néanmoins, le Financial Times qualifie Xiaomi, comme l’un des plus grands « disrupters » de la high-tech en 2014.

Également fabricant de tablettes et de décodeurs pour téléviseur à bas coût, Xiaomi a annoncé, en novembre 2014, son intention d’investir un milliard de dollars pour développer son offre de contenus audiovisuels, amorçant ainsi la création d’un écosystème liant logiciels, appareils et services.

Dans le développement de Xiaomi cependant apparaît une autre tendance, que l’on pourrait qualifier de « disruptive ». Son cofondateur, Lin Bin, a fait ses preuves chez Google, tandis que d’autres collaborateurs actuels viennent de chez Microsoft, Motorola et Yahoo!. Le plus remarqué de ses recrutements sur la scène mondiale de la high-tech est celui du Brésilien Hugo Barra, chargé du développement du système d’exploitation Android chez Google, qui a déménagé de Palo Alto à Pékin en mai 2013, pour assurer le développement international de Xiaomi. « L’environnement de Xiaomi fusionne le meilleur de la Silicon Valley, où beaucoup de nos ingénieurs ont fait leurs débuts dans certaines des entreprises qui ont le mieux réussi en matière de technologie, avec l’émulation concurrentielle et la productivité des firmes de l’internet chinois. C’est une combinaison assassine », explique-t-il en octobre 2014, alors même qu’il vient d’encourager l’embauche de Jai Mani, ingénieur travaillant pour Google Play, au sein de l’équipe de Xiaomi dévolue à la conquête du marché indien.

D’autres « cerveaux » ont quitté les géants américains de la high-tech pour la Chine. Spécialiste de l’intelligence artificielle (IA), notamment au sein du projet Google Brain consacré au deep learning, le Britannique Andrew Ng travaille, depuis le printemps 2014, au siège californien de Baidu. Ce moteur de recherche chinois compte déjà parmi ses équipes de Pékin Xu Wei, ingénieur en IA venu de Facebook en 2013, ou encore Zhang Yaqin, directeur du plus grand laboratoire de R&D de Microsoft, hors Etats-Unis, situé en Asie, au moment de son embauche en septembre 2014.

Malgré les fortes contraintes imposées par la censure, l’internet chinois se développe à grande vitesse. Portées par une âpre concurrence, les entreprises privées évoluent sur un marché en plein développement comptant près de 650 millions d’internautes et elles sont bien décidées à s’appuyer sur les meilleures compétences. Les géants internet chinois comme Baidu, dont la capitalisation boursière est de 72 milliards de dollars, et Alibaba, plate-forme de commerce en ligne évaluée à 215 milliards de dollars, ont l’envergure nécessaire, financière mais aussi technologique, pour confirmer cette impulsion. Afin d’encourager la création de start-up, le gouvernement chinois a annoncé, en janvier 2015, la création d’un fonds d’amorçage doté de 6,5 milliards de dollars. Pour le financement de projets innovants locaux, les autorités chinoises autorisent désormais les compagnies d’assurance à consacrer une partie de leur fonds au capital-risque. « Les start-up chinoises ont l’avantage d’avoir une industrie à portée de main pour tester et lancer de nouveaux objets. Et elles n’ont pas la pression des actionnaires leur demandant de retours rapides sur investissement, contrairement aux Occidentaux », explique Renaud Edouard-Baraud, de l’Atelier BNP Paribas à Shanghai, puisque les établissements financiers sont adossés aux fonds publics.

Avec plus de 90 entreprises inscrites au classement Fortune 500, la Chine occupe désormais la deuxième place, après les Etats-Unis. Mais l’Empire du Milieu ne compte que 29 entreprises dans le Top 100 des « challengers mondiaux » (groupes de pays émergents avec au moins 10 % de leur activité à l’étranger) en 2014, contre 44 en 2006, selon le Boston Consulting Group (BCG). Pour devenir des géants mondiaux, les acteurs chinois devraient suivre quatre orientations stratégiques selon le BCG : la sortie du low cost, une bonne connaissance de la demande étrangère, une meilleure gestion des opérations de fusion-acquisition, et enfin, miser sur des recrutements internationaux pour développer un management multiculturel. Et le « petit riz » l’a déjà bien compris.

Sources :

  • « L’avenir chinois des stars de la Silicon Valley », Harold Thibault, Le Monde, 30 octobre 2014.
  • « Chine : Xiaomi prévoit 1 milliard de dollars pour développer ses contenus TV », AFP, tv5.org, 4 novembre 2014.
  • « Smartphones : la nouvelle star Xiaomi valorisée 45 milliards de dollars », Fabienne Schmitt, Les Echos, 30 décembre 2014.
  • « L’irrésistible ascension des smartphones chinois », Harold Thibault, Le Monde, 1-2 janvier 2015.
  • « Smartphones : Xiaomi, le chinois qui veut croquer l’Apple », AFP, tv5.org, 8 janvier 2015.
  • « Les challengers chinois seront-ils des géants mondiaux ? », B.G., Les Echos, 15 janvier 2015.
  • « Pékin investit 6,5 milliards dans les start-up », Elsa Bembaron, Le Figaro, 26 janvier 2015.
  • « Ces applications qui bouleversent le quotidien des Chinois », Sébastien Falleti, Le Figaro, 26 janvier 2015.
Ingénieur d’études à l’Université Paris 2 - IREC (Institut de recherche et d’études sur la communication)

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