Ce rapport a été rendu public par le gouvernement le 4 mars 2015, quelques mois avant la désignation du président du groupe France Télévisions par le Conseil supérieur de l’audiovisuel et la négociation à venir du contrat d’objectifs et de moyens 2015-2020.
Il s’attache d’abord à décrire les mutations à l’œuvre depuis trente ans dans le paysage audiovisuel, tout comme dans la société qui présente un visage de plus en plus bigarré, avec d’un côté une population européenne vieillissante et de l’autre une jeune génération ayant « un rapport très différent au monde de l’entreprise, aux loisirs, aux réseaux relationnels ». C’est à ce défi de « rassembler le plus grand nombre et créer du lien social » qu’est actuellement confrontée la télévision de service public.
Les écrans se sont multipliés dans les foyers français, dont les familles sont plus petites et désormais multiculturelles : 76,1 % des foyers sont équipés de trois écrans (TV, ordinateur, tablette ou mobile). Grâce à la très forte progression des abonnements ADSL, seuls 31 % des foyers reçoivent encore la télévision par voie hertzienne, l’ADSL permettant un accès aux offres élargies des bouquets TNT et des chaînes de complément ainsi qu’aux services de télévision de rattrapage et de vidéo à la demande (VOD). S’ajoute aussi le rapide développement de la consommation de vidéos sur mobile, dont le site Buzzfeed serait le symbole, passant de 60 millions de vidéos vues sur mobile, par mois dans le monde en 2013, à 500 millions en 2014. L’offre linéaire – six chaînes dont cinq gratuites distribuées par des réseaux encadrés (hertzien, câble, satellite, ADSL) – a été multipliée par cinq en dix ans et se voit recomposée en autant d’usages individuels et personnalisés, via une multitude de canaux, notamment des réseaux ouverts comme le web et les services over the top (OTT). La télévision linéaire souffre ainsi de la fragmentation des usages et du vieillissement de son public : même si la télévision reste le média le plus consommé en France, se maintenant à 3 h 41 par jour, sa durée d’écoute baisse, à l’instar des principaux pays européens, et semble toucher pour la première fois toutes les catégories d’âge, à l’exception des plus de 50 ans.
Quant au marché publicitaire, si l’arrivée du web a provoqué d’importants transferts de budgets, c’est d’abord la presse écrite qui en a pâti, puisque la part de la télévision est restée stable, passant de 32 % en 2005 à 31 % en 2013. En revanche, le passage de six à vingt-quatre chaînes gratuites a fragmenté le marché et « a affaibli la prime à la puissance de la télévision par rapport aux autres médias ».
Enfin, le secteur de la création peine à atteindre une taille critique mondiale : les obligations de production des diffuseurs sont indexées sur leur chiffre d’affaires, qui a tendance à stagner, voire à baisser, tandis que le financement de la création par les chaînes de la TNT est encore très limité. Les exportations de programmes audiovisuels français, autour de 130 millions d’euros, ont stagné entre 2000 et 2012. La filière des sociétés de production reste très atomisée « dans un contexte de mondialisation du marché et d’émergence de leaders internationaux ».
Dans une deuxième partie, le rapport s’attache à comparer les missions, l’offre, les stratégies et le budget de France Télévisions à ceux d’autres groupes audiovisuels publics comme la BBC au Royaume-Uni ou ZDF en Allemagne. Partout en Europe, les Etats reconnaissent le rôle indispensable des médias de service public organisés autour de valeurs fondamentales, dont « l’universalité, la diversité ou l’obligation de rendre compte aux citoyens » à travers six grandes missions : « informer, cultiver, fournir des programmes de qualité, remplir des missions citoyennes, financer directement ou indirectement la création et refléter la diversité régionale, ou communautaire, de la société ». La plupart des chaînes de service public européennes ont fait le choix d’offrir des bouquets de chaînes complémentaires afin de maintenir leur audience. Toutes ont également développé une offre numérique de télévision de rattrapage, généralement accessible pendant sept jours, et jusqu’à trente jours pour la BBC. Certaines chaînes du service public, comme la RAI, ont investi dans la programmation d’œuvres transmédias destinées à la télévision, au web et au cinéma. En Italie et en Grande-Bretagne, les chaînes ont ouvert des comptes sur les réseaux sociaux. En Espagne, la RTVE a ouvert une chaîne YouTube. Quant à la diversité des plates-formes thématiques, elle dépend en grande partie des législations sur la concurrence, destinées à préserver la presse écrite. Il faut noter l’absence de lancement de services de vidéo à la demande par abonnement (SVOD), à l’exception de CBC au Canada, tandis que les pure players, Netflix ou Amazon Prime Instant Video, concurrencent directement les chaînes de service public sur le marché de l’audience, notamment au Danemark ou en France.
Les chaînes de service public sont financées principalement par la redevance, dont le montant est sensiblement plus élevé au Royaume-Uni, en Allemagne et au Danemark qu’en France. En complément, les recettes publicitaires peuvent apporter jusqu’à un quart de leur chiffre d’affaires, comme pour la BBC, s’y ajoute enfin un financement par les crédits publics. Avec un budget global de 4,3 milliards d’euros, la France se classe mieux que l’Espagne (0,8 Md€) ou l’Italie (2,8 Md€) mais ce budget ne représente que 70 % des ressources de la BBC (6,1 Md€) et la moitié de celles des chaînes de service public allemandes, ARD et ZDF (8,4 Md€). Le rapport note en outre que « le financement public des médias de service public est en baisse régulière depuis 2008 au sein de l’UER : près de 9 % en euros constants entre 2008 et 2013 ». La plupart des groupes audiovisuels publics ont dû par conséquent se lancer dans des plans d’économie, entraînant une diminution du coût de la grille des programmes sur les cinq dernières années : -1,2 % pour la ZDF, -4 % pour la BBC ou encore -12 % pour la RAI, alors que sur la même période, entre 2008 et 2013, celui de France Télévisions augmentait de 10 %. Aujourd’hui, les effectifs de l’ensemble de l’audiovisuel public français se rapprochent de ceux de la BBC, soit 17 000 personnes.
La troisième partie du rapport analyse les missions de service public assignées par l’Etat au groupe France Télévisions, à travers la diversité des textes applicables : tout d’abord la mission de service public est définie par la loi, puis est déclinée, avec trop de détails, dans le cahier des charges fixé par décret. Ensuite, le contrat d’objectifs et de moyens pluriannuel, introduit par la loi du 1er août 2000 et inspiré du modèle des contrats conclus avec EDF, France Télécom ou La Poste, s’est non seulement fortement étendu en quinze ans, mais a également fait l’objet d’avenants, « ce qui confère à chacun de ces documents une durée de vie moyenne de deux ans et demi, insuffisante pour déployer une stratégie et en recueillir les fruits ». Pour y pallier, le rapport préconise un cadrage stratégique et financier sur cinq ans.
Concernant les outils mis en place pour apprécier la performance du groupe public, le rapport fait deux constats. D’une part, le nombre des indicateurs est trop important (70 au total), ce qui induit une charge administrative excessive. D’autre part, 70 % de ces indicateurs portent sur les moyens (le nombre de disciplines sportives diffusées par exemple), plutôt que sur les résultats attendus (comme l’audience cumulée hebdomadaire) ou sur l’impact des programmes (par exemple, la perception par le public du traitement de l’information ou du débat public). Le rapport relève aussi l’absence d’un indicateur d’efficience qui permettrait de mesurer l’atteinte d’un objectif aux moyens employés (le coût du point d’audience par exemple).
Enfin, le rapport pointe du doigt l’autonomie des différentes sociétés de l’audiovisuel public (France Télévisions, Radio France, Arte France, France Médias Monde, TV5 Monde, l’INA et les Chaînes parlementaires), et leur manque de coopération. Alors que dans le paysage européen, les médias de service public sont regroupés autour d’une ou deux grandes entreprises rassemblant à la fois les différents médias (radio, télévision, internet) et les différentes zones de diffusion (nationale et internationale), comme la BBC au Royaume-Uni, ARD et ZDF en Allemagne, la RAI en Italie, ou RTVE en Espagne, la France a fait le choix de dissocier l’audiovisuel extérieur du reste de l’audiovisuel public. De plus, les stratégies de France Télévisions, Radio France, France Médias Monde en matière d’information ne sont pas coordonnées et leurs moyens respectifs s’additionnent sans aucune synergie, et même se concurrencent dans le domaine des développements numériques. Cette redondance concerne également les réseaux de journalistes et de correspondants, à l’intérieur comme à l’extérieur du pays. En ce qui concerne la formation, activité normalement dévolue à l’INA, certaines chaînes de l’audiovisuel public ont développé une offre autonome, comme l’Université France Télévisions et l’Université Radio France, s’appuyant parfois sur des prestataires extérieurs. Le rapport estime que « l’absence d’un pilotage consolidé de l’audiovisuel public explique en partie cette situation » et propose une politique coordonnée.
Dans une quatrième partie, le rapport analyse « les forces et les faiblesses du groupe public, au regard des défis qui l’attendent et des enjeux stratégiques qui vont être les siens d’ici 2020 ». Les chaînes du groupe France Télévisions peuvent capitaliser sur une image très positive auprès du public et une empreinte forte sur l’univers de la télévision. Les compétences et le professionnalisme des collaborateurs ne sont aucunement à remettre en cause. De plus, les ressources financières du groupe sont relativement stables – indépendamment de leur provenance et nonobstant la suppression de la publicité après 20 heures sur les chaînes de France Télévisions, ce qui garantit un financement pérenne et prévisible. Le groupe est également le premier financier de la création audiovisuelle française, ce qui lui confère « un rôle central d’accompagnement dans la structuration entre acteurs de la filière, dans l’évolution de certains métiers pour s’aligner sur les standards internationaux et dans l’ambition générale de la production française pour améliorer ses performances à l’exportation ». Au titre de ses faiblesses, France Télévisions devra faire face à une stratégie d’entreprise insuffisamment lisible, à la baisse et au vieillissement de son audience, et à une meilleure articulation des offres au sein du bouquet de chaînes. Si l’empreinte numérique de France Télévisions s’est sensiblement améliorée depuis 2010, trois défis seront à relever. « Organisationnel et culturel » d’abord puisque « la séparation des métiers et activités entre télévision traditionnelle et numérique reste encore prégnante ». « Economique » ensuite, au regard des investissements nécessaires pour le lancement de nouveaux services numériques. « Editorial et de distribution » enfin, pour faire face à l’émergence des offres des pure players comme Netflix, Youtube ou Amazon.
Dans une dernière partie, le rapport préconise une feuille de route du mandat 2015-2020, qui réaffirme tout d’abord les missions de service public assignées par l’Etat à France Télévisions, et dont pourrait s’inspirer le prochain cahier des charges. Ces missions consistent « essentiellement à faire comprendre le monde dans lequel nous vivons » en s’adressant tout particulièrement aux jeunes, « à assurer une offre d’information continue, de qualité, multisupport et accessible à tous », représentant « la diversité dans toutes ses composantes et ses territoires ». Le rapport propose cinq enjeux stratégiques : la singularité, avec une offre audiovisuelle unique et exclusive ; la cohérence, en construisant une vraie stratégie de bouquet ; la transformation, en gagnant en agilité opérationnelle ; l’innovation, à la fois éditoriale, technologique et industrielle, en devenant le moteur de la consolidation du secteur de la filière audiovisuelle.
En conclusion, le rapport expose les éléments clés du cadrage économique 2015-2020, dont le contexte économique imposerait de réaliser des choix clairs et pérennes. A priori, alors que les ressources publiques d’ici à 2020 resteront stables, il pourrait être envisagé d’élargir l’assiette de la redevance, pour faire face à la diversification des écrans et à la baisse du taux d’équipement des foyers en téléviseurs. De plus, si les recettes publicitaires de France Télévisions continuaient à baisser d’ici à 2020, une ouverture ciblée et limitée de nouveaux espaces publicitaires pourrait être envisagée, sans toutefois revenir à la publicité après 20 heures. Le développement des recettes de diversification mériterait également d’être davantage soutenu.
Sans être catastrophiste ni pour autant indulgent, le rapport de Marc Schwartz fournit au président de France Télévisions et à l’Etat, toutes les pistes qui pourraient permettre au groupe public de « retrouver de l’agilité et reprendre le contrôle de son destin, afin de compter en 2020 parmi les leaders européens du secteur et redresser durablement sa situation financière ».
France Télévisions 2020 : le chemin de l’ambition, rapport du groupe de travail sur l’avenir de France Télévisions, coordonné par Marc Schwartz, février 2015