La concurrence entre opérateurs télécoms contrarie l’ambition affichée par le gouvernement de lutter contre la fracture numérique en France. Commencer par distinguer le FTTH du FTTB permettrait d’avancer vers la « France très haut débit » en 2022.
Au cours du dernier trimestre 2015, la bataille de communiqués a fait rage entre les quatre opérateurs télécoms. Tout a commencé au cours de l’été 2015, quand Free a porté plainte pour concurrence déloyale contre Numericable-SFR, l’accusant de commercialiser une offre à très haut débit fixe en fibre optique, qui passe en réalité essentiellement par le câble coaxial. Depuis, Orange et Bouygues Telecom font connaître inlassablement leur désapprobation quant à l’usage inapproprié du terme « fibre » par leur concurrent Numericable-SFR. En outre, en octobre 2015, Bouygues Telecom alertait l’Autorité de concurrence sur le non-respect par Numericable-SFR de leur accord de cofinancement signé en 2010 – époque à laquelle SFR était encore une filiale du groupe Vivendi, avant d’être racheté par le groupe Altice de Patrick Drahi – portant sur le déploiement de la fibre optique dans des zones à forte densité de population (comme Paris, Lyon, Bordeaux), mais pour lequel le raccordement des logements, à la charge de SFR, n’était pas encore achevé. L’Autorité de concurrence s’est saisie du dossier, ayant elle-même soumis le rachat de SFR par Numericable à l’exécution des engagements pris par le premier avant la fusion.
Pourtant, la définition proposée par l’Arcep (Autorité de régulation des communications et des postes) ne laisse guère de place au doute : « Le FTTH [Fiber to the Home – Fibre jusqu’à l’abonné] correspond au déploiement de la fibre optique depuis le nœud de raccordement optique (lieu d’implantation des équipements de transmission de l’opérateur) jusque dans les logements ou locaux à usage professionnel ». Par déduction, tout raccordement à la fibre optique effectué en bas d’un immeuble, sans installation d’une prise à chaque logement, correspond à du FTTB (Fiber to the Building). Privilégiée par SFR, cette infrastructure, qui utilise le câble coaxial sur les derniers mètres, est certes moins coûteuse à installer pour l’opérateur, mais elle n’apporte pas aux clients la même qualité de débit.
Le gouvernement envisage de mettre fin à cette bataille sémantique en soumettant la fibre optique à l’application d’un arrêté de décembre 2013 qui oblige les opérateurs à informer les consommateurs des capacités effectives, et non potentielles, de leur réseau ADSL ou VDSL. Fin octobre 2015, Emmanuel Macron, ministre de l’économie, a réuni les quatre opérateurs afin de réaffirmer la volonté du gouvernement de poursuivre le plan de couverture du territoire national en fibre optique, de 20 milliards d’euros avec une contribution de l’Etat (voir La REM n°34-35, p.16). Un bilan d’étape est prévu tous les trois mois par l’Etat pour contrôler l’avancement de leurs travaux, les opérateurs télécoms réclamant que soit davantage pris en compte le poids de leurs investissements, à l’heure où la « taxe télécoms » est majorée (voir La REM n°36, p.33).
Pour les opérateurs, l’enjeu est important puisqu’il s’agit d’être en mesure de proposer à leurs clients un accès internet fixe aussi rapide que celui permis désormais par la 4G pour l’internet mobile. Clients qui d’ailleurs ne sont pas dupes : en décembre 2015, les associations de consommateurs ont adressé un avis à la DGCCRF (Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes) afin d’obtenir que l’usage du mot « fibre » soit réservé au FTTH.
Afin d’inciter les opérateurs à migrer vers la fibre optique, l’Arcep, pour sa part, use de ses nouvelles prérogatives en décidant d’augmenter les tarifs de dégroupage (passant de 9,05 euros par mois et par accès à 9,10 euros en 2016, puis 9,45 euros en 2017), prix auparavant déterminés par Orange, propriétaire du réseau. Cependant, cette nouvelle tarification, soumise à une consultation publique, est compensée, pour 2016, par la diminution d’autres frais concernant l’accès ou la sortie du réseau appartenant à l’opérateur historique, ainsi que les prestations de services après-vente. Pour les années suivantes, 2018-2020, un nouveau cadre tarifaire sera établi à partir de consultations ouvertes aux acteurs du marché. A terme, dans les zones entièrement « fibrées », l’extinction progressive du réseau de cuivre est envisagée pour accélérer la transition vers la fibre optique.
Pendant que la polémique enfle à Paris sur la définition de la fibre, les élus locaux, quant à eux, continuent de déplorer la lenteur d’exécution du déploiement du très haut débit auprès de leurs administrés. Plus de la moitié du territoire reste en effet à couvrir d’ici à 2022. Il existe encore de nombreuses zones blanches en France, sans même une antenne de téléphonie mobile ou un accès à l’internet fixe. Dans un rapport d’information publié fin novembre 2015, la commission sénatoriale de l’aménagement du territoire et du développement durable dénonce la persistance de grandes inégalités territoriales.
« A ce jour, plus d’un Français sur dix ne dispose pas d’un accès à un débit supérieur à 3 Mbit/s, niveau jugé indispensable à une utilisation « de base » des applications numériques, et déjà sur le point d’être dépassé par les besoins des nouveaux usages (8 Mbit/s sont nécessaires au minimum pour accéder au triple play avec la télévision en haute définition) », rappellent les sénateurs auteurs du rapport, qui insistent également sur le fait que les auditions qu’ils ont organisées ne dévoilent pas « un climat aussi consensuel que le prétend le Gouvernement » au sujet de la couverture du territoire en haut ou très haut débit.
Ils ajoutent que « si le déploiement des réseaux relève fondamentalement de l’initiative privée dans un marché ouvert à la concurrence, vos rapporteurs regrettent que les opérateurs d’envergure nationale, présents à la fois sur le marché de gros et sur le marché de détail, aient une emprise considérable sur des millions de citoyens en attente du très haut débit, ainsi que sur des milliers de collectivités territoriales dont l’avenir en matière de couverture ou de commercialisation est suspendu à la stratégie de ces opérateurs. Sur tous les sujets numériques, les collectivités territoriales semblent « otages » des opérateurs privés. La disproportion dans ce rapport de force intime à l’État d’être plus présent, afin d’assurer la contribution des opérateurs à une infrastructure d’intérêt général ».
Parmi les solutions envisagées, les sénateurs préconisent l’établissement d’un contrat liant les opérateurs aux collectivités locales, fournissant notamment un calendrier précis et prévoyant, le cas échéant, des sanctions financières réellement prises par le régulateur en cas d’inexécution. Pour aboutir au passage « sans équivoque » du cuivre à la fibre optique, le choix du FTTH devra être réaffirmé.
Afin de « pérenniser et renforcer le subventionnement de l’Etat », les sénateurs proposent, en outre, « la mise en place d’un fonds alimenté par une contribution de solidarité numérique, assise sur les abonnements haut débit et très haut débit, pour assurer une véritable péréquation entre zones urbaines et zones rurales ». L’objectif de 100 % de couverture du territoire en très haut débit fixe d’ici à 2022 est donc jugé difficilement réalisable.
Sources :
- « Numericable-SFR, une troisième fois dans le collimateur de l’Autorité de la concurrence », Sarah Belouezzane, Le Monde, 13 octobre 2015.
- « Très haut débit : Bercy ne relâche pas la pression », F.Sc., Les Echos, 2 novembre 2015.
- « Les acteurs de la fibre s’écharpent à nouveau », Sarah Belouezzane, Le Monde, 5 novembre 2015.
- « Les opérateurs financièrement encouragés à déployer la fibre », Romain Gueugneau, Les Echos, 13-14 novembre 2015.
- Rapport d’information n° 193 fait au nom de la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable par le groupe de travail sur l’aménagement numérique du territoire, sur la couverture numérique des territoires : veiller au respect des engagements pour éviter de nouvelles désillusions, par Hervé Maurey et Patrick Chaize, Sénat, senat.fr, 25 novembre 2015.
- « Les associations de consommateurs veulent distinguer la fibre et le câble », Les Echos, 24-25-26 décembre 2015.
Il aurait plus simple pour l’Etat de conserver la propriété du réseau de France Telecom, le moderniser en Ftth avec le concours des collectivités et l’ouvrir à l’ensemble des opérateurs. C’est un peu facile maintenant de s’en prendre aux opérateurs !
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Une fracture dynamique et un oligopole des opérateurs qui n’arrange rien !
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[…] […] Soulignons que la précarité numérique est protéiforme : difficultés d’accès liées à la bancarisation des personnes et au coût des équipements, méconnaissance des opportunitésqu’Internet peut offrir, démotivation ou défiance face à un clavier… sont autant de freins à l’inclusion numérique – et donc sociale – des plus fragiles », écrivent les signataires qui déplorent l’absence d’un plan « Usages », versant social du plan « France très haut débit » à l’horizon 2022 pour un investissement de 20 milliards d’euros (voir La rem, n°37, p.31). […]