La loi n° 2015-1779 du 28 décembre 2015.
Par la loi du 17 juillet 1978, le législateur reconnaissait à toute personne le droit d’obtenir communication des documents de l’administration (loi n° 78-753 portant diverses mesures d’amélioration des relations entre l’administration et le public et diverses dispositions d’ordre administratif, social et fiscal). Tout citoyen ou personne morale peut demander l’accès aux données publiques qui constituent des informations publiques contenues dans des « documents administratifs communicables » au sens de la loi du 17 juillet 1978. Les données publiques constituent des biens communs, ouverts à une libre réutilisation dans les limites imposées par la loi (art. 12 de la loi du 17 juillet 1978).
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Avec le numérique, l’exercice du droit d’accès aux documents administratifs se pose sous un angle nouveau (rappelons que le droit d’accès aux documents administratifs a été reconnu comme « liberté publique » par le Conseil d’Etat dans un arrêt du 29 avril 2002, n° 228830). L’accès aux informations produites et recueillies par l’administration, ainsi que la possibilité de les réutiliser, prennent une dimension nouvelle, dont les enjeux sont à la fois stratégiques, démocratiques et économiques. La possibilité de réutiliser les données publiques ouvre en effet des perspectives encore largement inexploitées en matière de contrôle de l’action publique, d’amélioration de son efficacité et de sa qualité ou de développement de nouveaux services1.
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La loi du 28 décembre 2015 transpose, dans le droit français, la directive 2013/37/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 modifiant la directive 2003/98/CE concernant la réutilisation des informations du secteur public. Cette directive prévoit la réutilisation des informations détenues par des organismes du secteur public dans le cadre de l’exercice de leur mission de service public administratif. En outre, elle prévoit un certain nombre de domaines pour lesquels la directive ne s’applique pas et pour lesquels les règles nationales prévalent (notamment en matière de sécurité nationale ou de confidentialité commerciale).
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Open data : l’ouverture des données publiques
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L’open data est un mouvement né d’une innovation technologique, le web 2.0, et de la capacité toujours plus grande de diffuser et réutiliser les données. Il s’inscrit juridiquement dans la continuité de la loi du 17 juillet 1978 (le droit d’accès aux documents administratifs) et fait partie intégrante de la modernisation de l’action publique. Cette démarche a été engagée par l’administration au cours de l’année 2011 par le décret n° 2011-577 du 26 mai 2011 relatif à la réutilisation des informations publiques détenues par l’Etat et ses établissements publics administratifs, ainsi que par la circulaire relative à la création du portail unique des informations publiques de l’Etat « data.gouv.fr ».
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L’open data réaffirme cette volonté des institutions de partager les données dont elles disposent. Cela ne concerne ni les informations personnelles, ni celles touchant à la sécurité nationale, ni celles couvertes par les différents secrets légaux. Il s’agit d’un outil au service de trois objectifs : améliorer le fonctionnement démocratique, améliorer l’efficacité de l’action publique, proposer de nouvelles ressources pour l’innovation économique et sociale2.
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La loi du 28 décembre 2015 consacre un véritable droit de réutilisation des informations publiques. Il est en effet précisé à l’article 2 modifiant l’article 10 de la loi du 17 juillet 1978 que « lorsqu’elles sont mises à disposition sous forme électronique, ces informations le sont, si possible, dans un standard ouvert et aisément réutilisable, c’est-à-dire lisible par une machine ». En particulier, l’article 3 de cette loi abroge l’article 11 de la loi du 17 juillet 1978 qui édictait une dérogation au régime de la réutilisation des informations publiques en faveur des établissements et institutions d’enseignement et de recherche ainsi que des établissements, organismes ou services culturels. Dorénavant, ces établissements ne pourront plus fixer les conditions de réutilisation des informations qu’ils détiennent.
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La mise en ligne spontanée des documents
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Désormais, les organismes publics mettront spontanément en ligne les documents communicables et cela, sans que l’usager ait besoin d’en faire la demande. Il s’agit pour les acteurs publics de basculer d’une culture de la détention de l’information à une culture de l’ouverture et de la diffusion3.
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Le principe de gratuité de la réutilisation des données publiques
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Cette nouvelle loi modifie ainsi l’article 15 de la loi de 1978 en tant qu’il posait comme principe que « la réutilisation d’informations publiques peut donner lieu au versement de redevance ». Le nouvel article dispose que « la réutilisation d’informations publiques est gratuite »4 .
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La loi du 28 décembre 2015 revient ainsi sur la jurisprudence Société Direct Mail promotion dans laquelle le Conseil d’Etat rappelle qu’aucun principe n’impose la gratuité du service public5. Par cette loi, le législateur a ainsi prévu l’instauration d’un principe général de gratuité quant à la réutilisation des données publiques.
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Les exceptions au principe de gratuité
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Ce principe est cependant limité par l’existence de deux exceptions :
- Les administrations publiques peuvent établir une redevance de réutilisation lorsqu’elles sont tenues de couvrir par des recettes propres une part substantielle des coûts liés à l’accomplissement de leurs missions de service public.
- Le versement d’une redevance est également possible lorsque la numérisation porte sur des informations issues des opérations de numérisation des fonds et des collections des bibliothèques, des musées et archives (art. 15. II, loi du 17 juillet 1978).
Le montant de la redevance
La loi de transposition du 28 décembre 2015 pose le principe selon lequel le montant de la redevance ne doit pas dépasser le montant total des coûts de collecte, de production, de mise à disposition ou de diffusion, de conservation des informations et d’acquisition des droits de propriété intellectuelle. Ce montant est fixé selon des critères objectifs, transparents, vérifiables et non discriminatoires. Il est révisé tous les cinq ans. Les modalités de fixation des redevances et la liste des catégories d’administration autorisées à percevoir ces redevances sont fixées par décret (art 15. III, loi du 17 juillet 1978).
La délivrance d’une licence de réutilisation
Alors que l’article 16 de la loi du 17 juillet 1978 disposait que « lorsqu’elle est soumise au paiement d’une redevance, la réutilisation d’informations publiques donne lieu à la délivrance d’une licence », la nouvelle loi précise que « la réutilisation d’informations publiques peut donner lieu à l’établissement d’une licence ». Ainsi, dorénavant, une licence peut être accordée quand bien même la réutilisation d’informations n’est pas soumise au paiement d’une redevance. En revanche est maintenu le principe selon lequel la licence est obligatoire lorsque la réutilisation est soumise au paiement d’une redevance.
Le droit d’exclusivité pour la réutilisation d’informations publiques
Cette nouvelle loi vient limiter le droit d’exclusivité. En effet, lorsqu’un droit d’exclusivité est accordé à un tiers, celle-ci ne pourra désormais dépasser dix ans. Le bien-fondé de l’octroi de ce droit devra faire l’objet d’un réexamen au moins tous les trois ans (art. 14 loi du 17 juillet 1978).
Par ailleurs, cette loi précise que lorsqu’un droit est accordé pour les besoins de la numérisation de ressources culturelles, la période d’exclusivité peut, par dérogation, être supérieure à dix ans, sans dépasser quinze ans, et doit faire l’objet d’un réexamen au cours de la onzième année.
L’application des règles nouvelles aux contrats et situations en cours
Sur la mise en conformité des accords d’exclusivité existants, l’article 10 de la loi de transposition détermine un régime transitoire pour les contrats qui n’entrent pas dans le champ de l’exception ouverte par l’article 14 de la loi du 17 juillet 1978 au titre de l’exercice d’une mission de service public et qui doivent, conformément aux dispositions de la directive 2013/37/UE, prendre fin à leur échéance au plus tard le 18 juillet 2043. Ceux qui sont nécessaires à l’exercice d’une mission de service public devront être mis en conformité avec le nouveau régime dès leur premier réexamen triennal suivant la promulgation de la loi.
Sur la mise en conformité des licences en cours à la date d’entrée en vigueur de la loi, le II de l’article 10 prévoit un régime de mise en conformité avec les nouvelles dispositions tarifaires introduites à l’article 15 de la loi du 17 juillet 1978, au plus tard le 1er jour du douzième mois suivant la promulgation de la loi.
Sources :
- Rapport fait au nom de la mission commune d’information sur l’accès aux documents administratifs et aux données publiques, n° 589, C. Bouchoux, senat.fr, 2013-2014.
- http://www.gouvernement.fr/action/l-ouverture-des-donnees-publiques
- Rapport Ambition numérique. Pour une politique française et européenne de la transition numérique, Conseil national du numérique, p. 146, propositions n°s 26, 27 et 28, juin 2015.
- Rapport M.-A.Trojette, « L’ouverture des données publiques, les exceptions au principe de gratuité sont-elles toutes légitimes ? », juillet 2013.
- CE, ass., 10 juillet 1996, n° 168702, Lebon 277 ; AJDA 1997. 189, note H. Maisi ; D. 1996. 203 ; RFDA 1997. 115, concl. Denis-Linton.