Molotov veut repenser l’expérience TV et grandir à l’échelle internationale

Annoncé depuis deux ans et testé depuis le 4 novembre 2015, le service Molotov est ouvert officiellement depuis le 11 juillet 2016 en France. La notoriété médiatique et professionnelle de ses fondateurs (Pierre Lescure, ancien dirigeant de Canal+ ; Jean-David Blanc, fondateur d’AlloCiné ; Jean-Marc Denoual, ancien de TF1 et Kevin Kuipers, ancien d’AlloCiné et cofondateur de Gamekult) a sans conteste aidé le service à se faire connaître et à convaincre les chaînes françaises de s’associer à son lancement.

L’approche de Molotov a en effet de quoi plaire aux chaînes, car le service repose sur la promesse de mieux valoriser l’expérience télévisuelle, au moment même où une partie des téléspectateurs se détourne des chaînes pour regarder autrement des vidéos, sur YouTube ou Facebook, ou en s’abonnant à des services de SVOD (vidéo à la demande avec abonnement) comme Netflix. Ces services concurrents de la télévision ont tous pour particularité de proposer une consommation sur mesure des images, grâce à la connaissance de leurs utilisateurs ainsi qu’à des moteurs de recherche et des algorithmes performants. Ce travail d’identification des goûts des utilisateurs, couplé à une maîtrise de la nature des contenus, grâce à leur qualification par des métadonnées, a été à l’origine du projet Molotov qui applique ces méthodes aux programmes de télévision. Dès lors, il sera possible depuis une interface unique d’explorer une thématique traitée par les multiples chaînes partenaires, de retrouver tous les programmes où apparaît un acteur ou une actrice, etc.

L’interface qui fédère depuis un espace unique l’offre de télévision en direct et en replay doit ainsi permettre de répondre à la difficile maîtrise de l’offre par le téléspectateur, perdu dans un univers élargi depuis l’arrivée de la TNT, avec la multiplication des chaînes en accès libre sur les box des opérateurs, avec les offres de rattrapage et de complément, sans compter également avec la diversité des programmes pour ceux qui sont abonnés à une offre payante. Cette expérience optimisée de la consommation de programmes doit ainsi devenir une alternative aux nouvelles concurrences issues de l’internet en offrant une porte d’entrée unique et presque universelle sur la télévision. Car c’est là le pari du service : sa pertinence dépend du nombre de chaînes partenaires, dès lors qu’il se veut un moyen de simplifier l’accès à une offre qui, dans sa diversité, est désormais devenue immaîtrisable. Molotov pouvait ainsi se targuer d’avoir signé plus de 100 partenariats avec des chaînes pour l’ouverture du service au grand public le 11 juillet 2016. Le seul grand absent est la chaîne premium Canal+, le Groupe Canal ayant en revanche accepté que ses chaînes cinéma comme ses chaînes en clair fassent partie des contenus référencés par Molotov.

Molotov compte se rémunérer uniquement en prélevant une commission sur les abonnements aux chaînes payantes qu’il parviendra à commercialiser, ou sur un service à venir d’enregistrement des programmes. À vrai dire, le service n’a pas besoin de disposer de fonds trop importants car, à l’inverse des services de SVOD comme Netflix, il n’a pas à payer les droits des programmes auxquels il accède grâce à des partenariats avec les chaînes. En l’occurrence, le modèle économique de Molotov ne peut pas être comparé à celui du streaming, même si le service y ressemble puisqu’il repose également sur une offre à prétention universelle, avec une proposition de contenus adaptée au profil de chaque utilisateur. C’est finalement à cet endroit que Molotov risque de rencontrer des difficultés avec les chaînes, qui ne manqueront pas d’y voir une concurrence nouvelle pour leurs propres services à la demande.

De ce point de vue, seule une augmentation forte du temps passé à consommer les programmes des chaînes pourra faire office de compensation et justifier une alliance à long terme entre les chaînes et Molotov. En effet, avec Netflix ou Spotify, les détenteurs des droits sont rémunérés pour la reprise de leur catalogue, ce qui n’est pas le cas pour les programmes des chaînes sur Molotov, sauf indirectement par la publicité. En proposant une offre structurée par thématique plutôt que réunie sous l’identité associée aux marques d’un groupe, Molotov compromet la stratégie éditoriale des chaînes et de l’univers over the top associé. C’est ce qui explique très certainement pourquoi des groupes comme TF1 autorisent Molotov à référencer leurs émissions en direct, mais ne lui laissent pas accès à leur replay, afin de conserver dans leur giron les téléspectateurs fidélisés.

En effet, l’offre replay des chaînes est souvent un moyen de promouvoir les programmes d’un groupe (c’est le cas pour TF1 qui fédère sur une interface unique les programmes de TF1, mais également de TMC, NT1 et HD1). Autant dire que la réunion sur une interface unique des programmes des chaînes de télévision issus de groupes concurrents risque à terme de poser problème, ce modèle ayant d’ailleurs échoué aux États-Unis avec Hulu qui, dans sa version gratuite, a été expurgé de certains programmes phares en replay afin de préserver l’intérêt des services des networks, notamment quand ils sont facturés. Reste qu’en associant référencement de l’offre de programmes en direct, référencement de l’offre à venir et de l’offre en replay, Molotov est sans conteste une expérimentation intéressante pour les chaînes, ce qui explique que des groupes étrangers aient accepté d’y investir.

Molotov, à l’instar des grands services mondialisés de streaming audio ou vidéo, a en effet pour ambition de s’internationaliser très vite. Une première étape a été franchie avec l’entrée du groupe britannique Sky au capital de la start-up. Sky est présent dans la télévision payante au Royaume-Uni et en Irlande, mais également en Allemagne, en Autriche et en Italie. L’investissement de Sky, pour un montant de 4 millions d’euros, s’inscrit dans une stratégie plus globale de prise de participation dans des services dits over the top afin de contrer les grands acteurs américains de la SVOD. Sky a ainsi investi 45 millions de dollars en mars 2016 dans Iflix, le Netflix asiatique présent en Thaïlande, en Malaisie et aux Philippines.

Le même mois, Sky a encore investi 6 millions de dollars dans FuboTV, une plate-forme qui agrège aux États-Unis le meilleur du football européen et brésilien. Enfin, Sky, le 15 août 2016, a annoncé le lancement en Espagne de la déclinaison de son service britannique de SVOD, Now TV. Cette offre sera ensuite proposée dans d’autres pays européens, afin que Sky puisse y distribuer ses contenus. Molotov pourrait être à terme un moyen pour le groupe britannique d’étendre sa présence en Europe, sur ses propres marchés, mais également dans des pays où il n’est pas encore présent, à l’instar de la France.

Sources :

  • « Molotov, l’application qui veut révolutionner la télévision », Nicolas Rauline, Les Echos, 20 octobre 2015.
  • « Molotov s’ouvre enfin au grand public », Nicolas Rauline, Les Echos, 11 juillet 2016.
  • « Molotov imagine une nouvelle manière de zapper », Caroline Sallé, Le Figaro, 11 juillet 2016.
  • « Pay TV Operator Sky Plans Spain Launch of Streaming Service Now TV », John Hopewell, Leo Barraclough, variety.com, 15 août 2016.
  • « Sky investit 4 millions d’euros dans le français Molotov », Nicolas Madelaine, Nicolas Rauline, Les Echos, 5 septembre 2016.
  • « Molotov reçoit le soutien du britannique Sky », Chloé Woitier, Le Figaro, 6 septembre 2016.
Professeur à Aix-Marseille Université, Institut méditerranéen des sciences de l’information et de la communication (IMSIC, Aix-Marseille Univ., Université de Toulon), École de journalisme et de communication d’Aix-Marseille (EJCAM)

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