Corinne Erhel et Laure de La Raudiѐre, Commission des affaires économiques, Assemblée nationale, 10 janvier 2017
Jusqu’à récemment, le réseau internet reliait essentiellement des ordinateurs et des personnes, à tout moment et en tout lieu. Dorénavant, sont également connectés au réseau des objets dotés de capteurs, de puces ou encore de caméras. On les retrouve dans tous les domaines de la vie courante, à domicile, dans les moyens de transport, dans les espaces publics, sur les lieux de travail, dans les entreprises et les usines ; on les porte même sur soi. Tout cela afin d’être « plus efficaces et fournir de nouveaux services et améliorer notre sécurité ou nos comportements grâce à la collecte et au traitement des données émises par ces mêmes objets connectés ». Estimé à 6,4 milliards dans le monde, le nombre d’objets connectés devrait être multiplié par cinq, six ou sept en 2020 selon différentes estimations. Pour inscrire la France de plain-pied dans ce « changement de paradigme », le rapport propose vingt recommandations formulées au terme d’une analyse qui comprend deux parties.
La première partie s’attache à « une vision large, prospective, des changements qui vont être à l’œuvre grâce aux objets connectés dans les modèles économiques de demain ». Tout en soulignant la difficulté à définir précisément ce que sont les objets connectés, le rapport s’attache à les décrire comment étant « interactifs, permettant de transformer des objets physiques traditionnels en objets intelligents, et produisant des données » : routes connectées, équipements industriels, voitures connectées, objets de la vie quotidienne, etc., l’horizon des possibles faisant penser à une liste à la Prévert… Il convient de distinguer le marché des objets connectés à l’usage des particuliers – parfois de l’ordre du gadget – du marché des objets connectés destinés aux entreprises dont les applications sont d’ores et déjà concrètes, notamment en termes de gains de productivité ou d’amélioration des offres de service.
Parallèlement au secteur privé, les pouvoirs publics devront s’emparer de l’internet des objets dans des domaines aussi variés que la gestion des réseaux d’énergie ou de transport, l’espace urbain, la santé publique et la protection sociale, ou encore l’environnement. Si la France est bien placée dans le domaine de la conception matérielle des objets connectés, la dimension logicielle liée aux données et aux services pourrait cependant être accaparée par des sociétés étrangères. Selon les rapporteurs, la « principale force de l’utilisation des objets connectés est de créer de la prédiction à partir des données qu’ils produisent », mais aussi aux données qu’ils engendrent, ainsi que de la capacité des autres objets à pouvoir les « lire » et les interpréter. Dans l’industrie, le traitement d’une multitude de données – le big data – permettrait de passer d’une maintenance préventive des équipements, qui consiste à vérifier régulièrement leur bon fonctionnent, à une maintenance prédictive, grâce à la collecte en temps réel des données qui permet de déterminer précisément les besoins de maintenance et donc de gagner en efficacité et en productivité.
Le rapport s’interroge ensuite sur « l’impact de l’internet des objets sur notre société et sur notre vivre-ensemble ». L’internet des objets porte en lui cette idée que les technologies doivent s’efforcer d’être invisibles pour l’utilisateur, afin qu’il puisse concentrer son attention sur le service rendu plutôt que sur le fonctionnement de l’objet. L’objectif est de lui « faciliter la vie, maîtriser son environnement, renforcer la connaissance de soi, améliorer l’intelligence collective ». Or, en raison de son caractère omniprésent, de nombreuses questions se posent quant au contrôle, à la maîtrise et à la responsabilité dont devront faire preuve les utilisateurs. D’autant plus que « les objets connectés ne seront plus simplement une extension de l’activité humaine – une façon d’effectuer certaines tâches plus rapidement, avec plus de confort – mais que l’activité humaine deviendra le principal objet de son environnement technologique ».
La seconde partie concerne la place que la France pourrait occuper dans le domaine des objets connectés, et « la position d’avant-garde, en matière d’innovation, d’offre industrielle ou de solutions de télécommunications » qu’elle pourrait briguer. L’écosystème de l’innovation que la France a mis en place ces dernières années porte maintenant ses fruits : le dynamisme entrepreneurial français s’appuie sur « des compétences reconnues dans les nouveaux métiers de la donnée, dans les sciences de l’ingénieur ou dans les mathématiques appliquées ». Les structures d’accompagnement des jeunes pousses, les incubateurs et les accélérateurs ainsi que les soutiens privés et publics, comme la French Tech, offrent dorénavant un terreau propice à ces entreprises innovantes. Même s’il reste perfectible, cet écosystème démontre combien la France peut « réussir le virage de l’internet des objets », en s’appuyant notamment sur des initiatives locales, comme à Toulouse ou à Angers.
Pour y parvenir, la France devra relever un certain nombre de défis au rang desquels la résolution du paradoxe entre la facilité d’entreprendre et la difficulté à passer d’une start-up à une entreprise de taille plus importante. Sont en jeu notamment la nécessaire amélioration de l’environnement fiscal pour favoriser les investissements internationaux, ainsi que l’orientation du capital-risque français, tourné majoritairement vers des entreprises étrangères plutôt que nationales. Afin de faire face à la pénurie de compétences de plus en plus pointues, la France pourrait également inciter les universités à développer des formations de sciences de la donnée et améliorer le transfert de la recherche publique vers les entreprises.
Enfin, le rapport souligne le savoir-faire français en matière de connectivité, dans le domaine des technologies de connexion sans fil comme le Li-Fi (voir La rem n°36, p.17), ou encore dans les réseaux bas débit dédiés à l’internet des objets. Il s’agira également d’être moteur pour le développement de la 5G (voir La rem n°30-31, p.23), et de « garantir une stabilité réglementaire et fiscale pour les opérateurs qui souhaiteront investir dans ces infrastructures en France, par souci de sécurité juridique et d’incitation vertueuse à l’investissement ».
Comme réponse au phénomène de désindustrialisation de notre pays depuis quarante ans, l’internet des objets pourrait également, selon le rapport, « constituer une voie de réindustrialisation bénéfique en termes d’emplois et en termes de croissance ».
En partenariat avec l’Agence nationale des fréquences (ANFR), l’Agence nationale de la sécurité des systèmes d’information (ANSSI), la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL), la Direction générale de l’aménagement, logement et nature (DGALN), la Direction générale des entreprises (DGE) et France Stratégie, l’ARCEP a également publié un livre blanc pour « préparer la révolution de l’internet des objets » qui comprend deux volets. Le premier dresse une « cartographie des enjeux » et préconise une régulation allégée de l’internet des objets afin de « rester au contact des acteurs de l’internet des objets, de ceux qui le font et de ceux qui l’utilisent, y compris le grand public, afin de connaître et comprendre ces évolutions, et d’assurer la lisibilité et la bonne adéquation du cadre réglementaire ». Le second volet vise à « inventer une régulation pro-innovation » et retient cinq objectifs pour y parvenir : « assurer une connectivité multiple, mobile, fiable et à coût réduit ; veiller à la disponibilité des ressources rares pour le déploiement de l’internet des objets ; garder un jeu ouvert à tous ; contribuer à bâtir la confiance autour de la donnée et des usages ; accompagner les acteurs pour favoriser l’écosystème de l’internet des objets ». L’internet des objets, un futur pôle d’excellence française ?
ARCEP, LIVRE BLANC – Préparer la révolution de l’Internet des objets, 7 novembre 2016.
Document n°1 : une cartographie des enjeux. (PDF) — Document n°2 : Inventer une régulation pro-innovation. (PDF).