Musique, vidéo : Amazon relance la concurrence

855

Avec le lancement de services de streaming musical et de vidéo indépendants, Amazon devient un acteur majeur de la distribution de contenus sur l’internet. Ses offres comptent désormais parmi les plus compétitives aux États-Unis, notamment quand l’abonnement est couplé à Amazon Prime ou à l’utilisation d’Alexa.

L’annonce en avril 2016 du lancement de Prime Video comme service indépendant de SVOD, disponible d’abord aux États-Unis, a constitué une évolution majeure dans la stratégie d’Amazon. Le groupe, qui s’est développé d’abord comme plate-forme d’e-commerce, entretient certes un lien très fort avec la culture puisqu’il s’est positionné dès l’origine sur la vente de livres en ligne. Mais Amazon a très vite réalisé ses bénéfices dans l’e-commerce sur d’autres biens de consommation, les produits culturels servant alors à mieux fidéliser ses clients. C’est toute la logique du service Amazon Prime, lancé en 2005, qui propose la livraison en deux jours à ses abonnés moyennant 79 dollars par an, un accès réservé à des offres promotionnelles ainsi qu’un ensemble de services en ligne, dont une offre de contenus qui va s’enrichir progressivement, notamment dans la vidéo avec Amazon Prime Video en 2011. Le service Prime Video est alors inclus dans l’offre Amazon Prime et ne propose qu’un catalogue limité de contenus, ces contenus étant un moyen de fidéliser d’abord des acheteurs en ligne. De ce point de vue, Prime Video n’a pas été à l’origine présenté comme un concurrent direct des services de SVOD, mais plutôt comme le « plus produit » d’un e-commerçant.

L’évolution de l’offre d’Amazon dans les contenus date finalement de mars 2014 quand le service annonce une hausse significative du coût annuel de l’abonnement à Amazon Prime, qui passe de 79 à 99 dollars. Amazon va alors ajouter à l’offre de vidéos en ligne une offre musicale en streaming baptisée Prime Music. Le surplus de contenus accompagne ici une hausse du prix de l’abonnement, indiquant qu’Amazon entend bien monétiser directement ses investissements dans les contenus, tout en continuant à les utiliser comme argument marketing pour attirer de nouveaux consommateurs sur son site. Dès lors, Prime Video et Prime Music doivent être renforcés pour égaler en performance les offres des concurrents d’Amazon dans le streaming musical ou la SVOD. Une fois l’objectif atteint, il a été possible pour Amazon de séparer ces services de l’abonnement à Amazon Prime pour les proposer indépendamment aux seuls individus intéressés par l’offre de contenus du groupe.

La commercialisation de Prime Video, indépendamment du service Prime, est effective depuis avril 2016 aux États-Unis où le service est proposé à 8,99 dollars par mois, un tarif aligné sur celui de son concurrent Netflix. Les similitudes entre Amazon Video et Netflix sont grandes puisque les deux services s’appuient sur des investissements significatifs dans la production et l’achat de droits pour disposer de séries exclusives (4 milliards de dollars de dépenses pour Amazon en 2016, 6 milliards pour Netflix). Mais la subtilité est ailleurs : certes, Prime Video peut faire l’objet d’un abonnement spécifique, mais il reste inclus dans l’abonnement annuel Amazon Prime, ce qui revient à promouvoir celui-ci (99 dollars) au détriment d’un abonnement mensuel à Prime Video, finalement plus onéreux sur un an. Dès lors, l’objectif est bien de recruter de nouveaux clients pour Amazon à partir d’une offre élargie de vidéos dont le coût d’accès peut fortement baisser comparé aux standards du marché, la baisse accordée étant compensée par le développement des dépenses sur le site d’e-commerce pour les abonnés Amazon Prime, lesquels dépensent 4,5 fois plus que les non-abonnés selon Morgan Stanley. Cette stratégie, lancée aux États-Unis, est désormais déployée à l’échelle mondiale avec le lancement de Prime Video dans 200 pays le 14 décembre 2016.

Dans les pays où Amazon Prime est déjà proposé, à l’instar de la France, le service est proposé sans coût additionnel et commercialisé avec Amazon Prime (49 euros par an en France). Dans les pays où Amazon Prime n’est pas proposé, la seule offre de SVOD est facturée 2,99 euros par mois à un tarif promotionnel. Autant dire qu’Amazon tire les prix vers le bas sur le marché de la SVOD, tout en étant l’un des acteurs principaux en termes d’investissements consentis dans la production. Amazon peut se permettre cette ristourne parce que ses coûts sont en fait amortis au sein d’un écosystème plus large qui inclut les activités d’e-commerce.

Cette stratégie est évidente avec le lancement aux États-Unis d’Amazon Music Unlimited. Depuis octobre 2016, les Américains ont accès à une offre nouvelle de streaming musical sur abonnement qui fédère les plus grands des catalogues, à l’instar de Spotify ou d’Apple Music. Mais le prix de l’abonnement défie toute concurrence, Amazon étant parvenu à imposer aux majors des concessions que même Apple n’a pas su obtenir. Facturé 9,99 dollars par mois, Amazon Music Unlimited semble être dans la norme du marché, mais les réductions sont importantes pour les clients déjà intégrés à l’écosystème d’Amazon. Les abonnés à Amazon Prime, estimés entre 60 et 70 millions dans le monde, acquittent seulement 7,99 dollars par mois.

Les détenteurs d’objets intelligents dotés du logiciel Alexa d’Amazon, qui repose sur l’intelligence artificielle (voir La rem n°40, p.91), ainsi que de l’enceinte connectée Echo et de sa déclinaison Echo Dot, n’auront à payer que de 3,99 dollars par mois, ce qui revient à une division par plus de deux des tarifs pratiqués jusqu’alors sur le marché du streaming par abonnement. C’est donc le modèle économique commun à tous les sites de streaming qu’il fragilise, quand ceux-ci sont déjà en difficulté (voir La rem n°37, p.60). De ce point de vue, les tarifs proposés par Amazon Music Illimited révèlent que seuls les acteurs capables d’intégrer demain leur offre dans un écosystème alliant contenus, services (l’e-commerce pour Amazon) et terminaux seront en mesure d’être compétitifs. C’est aussi le cas d’Apple Music, intégré à l’univers iPhone, comme ce sera le cas demain de Tidal et de Sprint. Pour les acteurs indépendants, comme Spotify ou Deezer dans la musique, ou comme Netflix dans la vidéo en ligne, il sera de plus en plus difficile de résister à la concurrence sur les prix, tout au moins sans disposer des avantages que procure l’intégration dans un écosystème où les bénéfices se font d’abord sur des marchés annexes.

Sources :

  • « Amazon lance une offre de streaming à prix cassé », Marina Alcaraz avec N.M., Les Echos, 13 octobre 2016.
  • « Amazon vient marcher sur les plates-bandes de Spotify et d’Apple », Elsa Bembaron, Le Figaro, 14 octobre 2016.
  • « Amazon multiplie les fronts dans sa bataille contre Netflix », Nicolas Richaud, Les Echos, 6 décembre 2016.
  • « Le géant Amazon lance son service Prime Video en France », Caroline Sallé et Alexandre Debouté, Le Figaro, 15 décembre 2016.
  • « VoD : Amazon lance enfin Prime en France », Les Echos, 15 décembre 2016.
Professeur à Aix-Marseille Université, Institut méditerranéen des sciences de l’information et de la communication (IMSIC, Aix-Marseille Univ., Université de Toulon), École de journalisme et de communication d’Aix-Marseille (EJCAM)

LAISSER UN COMMENTAIRE

S'il vous plaît entrez votre commentaire!
S'il vous plaît entrez votre nom ici