Altice joue plus que jamais la convergence

L’introduction en Bourse d’Altice USA annonce la reprise des acquisitions américaines dans le câble, alors qu’Altice se renforce dans les médias et la publicité, les deux autres piliers du groupe.

Avec un chiffre d’affaires de 23,91 milliards d’euros, en 2016, Altice affiche des performances à l’échelle internationale (Portugal, Israël, République dominicaine), aux États-Unis, deuxième contributeur au chiffre d’affaires, mais pas en France avec SFR, qui reste toutefois le plus gros contributeur au sein de l’ensemble. Quant au résultat brut d’exploitation, seul SFR est en repli, alors que les activités américaines font preuve d’un véritable dynamisme. Altice USA fédère Suddenlink, racheté en décembre 2015, et Cablevision, racheté en juin 2016 (voir La rem n°36, p.48). Les deux câblo-opérateurs cumulent 5 millions d’abonnés, ce qui classe l’ensemble au quatrième rang sur le marché américain, malgré une part de marché de 2 % seulement, loin derrière Comcast (29 millions d’abonnés) et Charter Communications (21,5 millions d’abonnés), mais tout proche du troisième acteur, Cox Communication (6,2  millions de clients).

Le reste du marché est éclaté en une multitude de petits opérateurs régionaux, la consolidation du marché du câble aux États-Unis étant de ce point de vue inévitable, d’autant plus que le cord cutting (voir La rem n°38-39, p.55) fragilise les opérateurs les moins solides. Ainsi, malgré une part de marché limitée, Altice USA s’impose comme un acteur de la consolidation à venir, d’autant plus qu’Altice a intérêt à se développer sur le marché américain, où les perspectives de croissance sont importantes et la rentabilité encore élevée (20 % de rentabilité pour Suddenlink et plus de 30 % de rentabilité pour Cablevision). À l’inverse, avec 30 % du marché en France, SFR ne peut guère espérer une croissance rapide et forte, et doit se résoudre à défendre ses parts de marché et à augmenter le revenu moyen par abonné pour augmenter son chiffre d’affaires. Ces perspectives et ces contraintes expliquent tout à la fois les initiatives d’Altice aux États-Unis et en France, et de manière transversale dans la publicité.

Aux États-Unis, Altice a besoin de fonds pour s’emparer de nouveaux câblo-opérateurs et élargir sa base d’abonnés, un rachat de Cox Communication étant régulièrement envisagé par la presse spécialisée. Or, les capacités d’endettement d’Altice sont limitées. En 2013, le groupe réalisait un chiffre d’affaires de 3,2 milliards d’euros, contre presque 24 milliards d’euros en 2016, cette performance exceptionnelle s’expliquant par un endettement massif qui a conduit à une succession de rachats entre 2014 et 2016, avec SFR et Virgin Mobile en France, Portugal Telecom au Portugal, Cablevision et Suddenlink aux États-Unis.

Or, la dette d’Altice – plus de 49 milliards d’euros – a obligé le groupe à interrompre sa politique d’acquisitions afin de rassurer les investisseurs, qui s’en sont inquiétés à la fin de l’année 2015. Altice cherche donc à retrouver des marges de manœuvre nouvelles et seul le marché américain peut les lui offrir. En effet, Altice USA, avec une rentabilité élevée, contribue à plus de 40 % aux remontées de bénéfices au sein de la holding, un élément essentiel de la stratégie du groupe qui devra faire face à des remboursements de dette importants dès 2022.

Le marché américain doit donc permettre à Altice de faire face à ses échéances à venir mais, en même temps, la consolidation en cours oblige Altice USA à procéder à des acquisitions, donc à engager de nouvelles levées de fonds, une perspective difficile puisque l’ensemble américain porte déjà une dette de 20 milliards de dollars. Afin de résoudre cette équation, Altice USA va être introduit en Bourse, le prospectus d’introduction ayant été déposé auprès des autorités financières américaines en avril 2017. Seulement 5 à 10 % des actions de classe A, disposant de droits de vote simple, devraient être mises sur le marché et cédées par les fonds minoritaires au sein d’Altice USA, le groupe Altice y conservant sa participation de 70 %. L’ensemble devrait être valorisé au moins 25 milliards de dollars, l’introduction en Bourse permettant ensuite de procéder à de nouvelles levées de fonds, à moins de céder une partie des actions détenues par la holding afin de financer de nouvelles acquisitions.

En France, l’équation est différente, la consolidation du marché de quatre à trois opérateurs n’étant plus d’actualité immédiate depuis l’échec du rachat de Bouygues Telecom par Orange (voir La rem n°38-39, p.42). Pour SFR, l’objectif est donc de limiter la perte des abonnés, tout en augmentant les tarifs des abonnements, ce qui passe par la stratégie de convergence déployée par le groupe (voir La rem n°40, p.45). Celle-ci repose sur une offre élargie de contenus adossée aux abonnements pour mieux les valoriser. Avec SFR Presse, et une offre sportive de plus en plus importante, le groupe a sensiblement amélioré son image, même si, à plus ou moins long terme, les offres premium comme SFR Sport devraient être facturées en plus de l’abonnement.

Il reste que la logique de convergence, alliant offre d’accès et bouquets de contenus, serait encore renforcée. Après la presse et le sport, SFR s’apprête en effet à élargir sa présence sur la télévision en clair, en même temps qu’il développe son offre de chaînes payantes et la production de contenus audiovisuels et cinématographiques. Le 7 décembre 2016, le groupe Altice annonçait avoir acquis l’exclusivité des chaînes de découverte et d’aventure de Discovery, et s’être mis d’accord avec NBCUniversal pour récupérer l’exclusivité de trois chaînes (13e Rue, SyFy et E !), ainsi qu’un accès prioritaire aux franchises du studio Universal. Grâce à ces programmes, Altice compte lancer durant l’été 2017 une chaîne dédiée au cinéma et aux séries, baptisée SFR Studio, qui constituera ainsi une alternative aux offres de Canal+. Une distribution par satellite du bouquet de chaînes SFR est également prévue.

Enfin, le groupe a transmis au CSA (Conseil supérieur de l’audiovisuel) son projet d’acquisition des 51 % de NextRadioTV qu’il ne détient pas encore (voir La rem n°36, p.28), alors même que NextRadioTV devrait solliciter le CSA pour prendre le contrôle de Numéro 23 dont le groupe détient déjà 39 % du capital depuis un an (voir La rem n°40, p.20). Le contrôle d’une offre de télévision en clair pourra à terme être décisif alors que les premiers groupes privés en France, TF1 et M6, exigent désormais des opérateurs qu’ils payent pour reprendre le signal de leurs chaînes, considérant ces dernières comme essentielles dans les offres de télévision des opérateurs en raison des audiences qu’elles fédèrent. S’inspirant des pratiques américaines, les chaînes justifient ce revirement en mettant en avant l’investissement nouveau des opérateurs dans des médias qui les concurrencent, ce qui est notamment le cas de SFR. Ce dernier a d’ailleurs demandé un arbitrage auprès du CSA dans le conflit qui l’oppose à TF1.

La concurrence est réelle puisqu’Altice dispose d’une régie qui commercialise les espaces publicitaires de ses médias. Et Altice a de grandes ambitions dans la publicité, notamment parce que le groupe dispose des données de consommation de ses abonnés, ce qui lui permet techniquement de proposer de la publicité ciblée à la télévision, dès lors que celle-ci est distribuée sous IP. Altice enregistre déjà 700 millions d’euros de chiffre d’affaires publicitaire dans le monde, en commercialisant les espaces de ses différents médias, non seulement en France, mais aussi et surtout aux États-Unis où Cablevision détient News 12, une chaîne d’information locale distribuée à New York, où le groupe gère également la publicité des chaînes distribuée dans ses bouquets.

L’essentiel des revenus publicitaires provient déjà des États-Unis, soit 350 millions de dollars, un chiffre amené à augmenter depuis que les opérateurs télécoms ont été autorisés à exploiter les données personnelles de leurs abonnés, ce qui permettra de commercialiser des publicités individualisées. Ainsi, selon les foyers, les publicités télévisées seront différentes, ce qui est déjà autorisé aux États-Unis et fait l’objet d’un intense lobbying de la part des chaînes en France, où cette pratique reste interdite pour les chaînes nationales. Autorisé sur les chaînes locales, le ciblage publicitaire va être testé en France sur BFM Paris. Ces possibilités accrues de ciblage ont d’ailleurs conduit Altice à racheter Teads, une régie en ligne spécialisée dans les vidéos publicitaires dites outstream pour quelque 285 millions d’euros. Annoncé en mars 2017, le rachat de la start-up, qui gère déjà la publicité adressée à 1,2 milliard d’internautes dans le monde, est notamment justifié par la capacité de Teads à concurrencer Facebook et Google en exploitant les données individuelles des abonnés d’Altice, dans un premier temps aux États-Unis.

En effet, Teads, qui cible déjà des publics grâce aux cookies envoyés sur leurs terminaux connectés, manquait de données personnelles sur chaque utilisateur et chaque foyer pour proposer des offres encore plus ciblées. En croisant ses informations avec celles des abonnés d’Altice, soit 50 millions de clients dans le monde, Teads devrait pouvoir proposer des offres individualisées. Pour Altice, le rachat de Teads fait monter à 900 millions d’euros par an le chiffre d’affaires publicitaire du groupe, qui est appelé à croître à mesure que la publicité ciblée à la télévision sera autorisée dans les pays où le groupe est présent. Par ailleurs, l’inventaire de Teads sur internet sera proposé en même temps que l’inventaire radio, TV et presse d’Altice en France afin de constituer une offre d’espaces la plus complète possible aux annonceurs.

Sources :

  • « L’empire de Patrick Drahi est plus dynamique aux États-Unis qu’en France », Fabienne Schmitt, Les Echos, 14 novembre 2016.
  • « SFR en piste pour l’exclusivité de la chaîne Discovery », Nicolas Madelaine, Les Echos, 19 novembre 2016.
  • « En deux ans, l’empire de Patrick Drah, Altice, a doublé sa dette à 50 milliards », Fabienne Schmitt, Les Echos, 30 novembre 2016.
  • « Altice va créer une chaîne cinéma et une offre satellite », Marina Alcaraz, Les Echos, 8 décembre 2017.
  • « Altice étudie l’introduction en Bourse d’une partie de sa filiale américaine », Sébastien Dumoulin, Les Echos, 9 décembre 2016.
  • « Altice pense coter une part de sa filiale américaine », E.R, Le Figaro, 9 décembre 2016.
  • « Après le football, SFR veut défier Canal+ dans les séries et le cinéma », Fabienne Schmitt, Les Echos, 19 décembre 2017.
  • « Patrick Drahi va absorber intégralement BFMTV », M.A., F. Sc., Les Echos, 31 janvier 2017.
  • « Altice entre en force dans le monde de la publicité en achetant Teads », Enguérand Renault, Alexandre Debouté, Le Figaro, 22 mars 2017.
  • « L’empire de Patrick Drahi souffre en France mais cartonne aux États-Unis », Fabienne Schmitt, Les Echos, 9 mars 2017.
  • « En achetant Teads, Altice se rêve en alternative à Facebook et Google », Nicolas Madelaine, Fabienne Schmitt, Les Echos, 22 mars 2017.
  • « Le processus de mise en Bourse d’Altice USA sera lancé avant fin avril », Fabienne Schmitt, Les Echos, 10 avril 2017.
  • « Altice USA bientôt coté en Bourse », Enguérand Renault, Le Figaro, 12 avril 2017.
  • « Le CSA va arbitrer le conflit entre les télés et les opérateurs télécoms », Caroline Sallé, Le Figaro, 3 mai 2017.
  • « Cinéma : SFR défie Canal+ sur la Croisette », Caroline Sallé, Le Figaro, 17 mai 2017.

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