Euronews, une chaîne privée subventionnée par Bruxelles

La chaîne d’information en continu n’aura-t-elle plus d’ « Euro » que le nom ? Créée en 1993 à l’initiative de l’Union européenne de radio-télévision (UER), la chaîne d’information paneuropéenne, dont l’actionnaire principal est le milliardaire égyptien Naguib Sawiris, ouvre son capital au groupe américain Comcast-NBCUniversal.

Contre-offensive européenne à la prééminence de CNN international sur le terrain de l’information durant la guerre du Golfe, Euronews est l’œuvre commune des diffuseurs publics de dix pays : la France (premier actionnaire), l’Italie, la Belgique, le Portugal, l’Espagne, la Finlande, Monaco, Chypre et l’Égypte. Disposant déjà de leur propre service international d’information, respectivement Deutsche Welle et BBC World, l’Allemagne et le Royaume-Uni n’ont pas souhaité s’y associer. Les pays fondateurs seront rejoints par la Suisse, l’Irlande, la Suède, la Russie, la Turquie, la République tchèque, la Slovénie, l’Ukraine, la Roumanie, Malte, le Maroc, la Tunisie et l’Algérie. L’Espagne, quant à elle, quittera Euronews en 2008 pour lancer TVE Internacional.

Installée en France, à Ecully dans la banlieue de Lyon, la chaîne d’information internationale en continu Euronews commence à émettre le 1er janvier 1993, en cinq langues (français, anglais, allemand, espagnol et italien), avec comme signe distinctif de ne pas avoir de présentateur TV. En 2012, trois collectivités territoriales – Métropole de Lyon, le Département du Rhône et la Région Rhône-Alpes – entrent au capital (1,50 % chacune).

La chaîne accroît son développement en multipliant les langues de diffusion, ajoutant le grec, le portugais, le russe, le hongrois, l’ukrainien, l’arabe, le perse et le turc (voir La rem n°8, p.29 et n°13, p.26), assurant ainsi aujourd’hui une couverture de l’information internationale, 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7, en treize langues, accessible à plus de 400 millions de foyers répartis dans 160 pays, par le réseau hertzien, le câble ou le satellite. Néanmoins, si Euronews devance CNN International et BBC World en Europe continentale, totalisant 7 millions de téléspectateurs par jour, ses concurrentes dominent très largement dans le reste du monde (plus de 80 millions de téléspectateurs par semaine pour le service international britannique). Avec un effectif de plus de 800 personnes (y compris les intérimaires et les pigistes), dont la moitié de journalistes représentant 25 nationalités différentes, la chaîne, principalement financée par la publicité, reste dépendante du soutien économique apporté par les chaînes européennes de service public, ainsi que par la Commission européenne, dont la subvention, multipliée par cinq depuis son lancement, représente près du tiers de son budget. Avec un budget annuel de l’ordre de 75 millions d’euros, la « CNN européenne » n’a pas les moyens financiers de ses ambitions et accuse une perte de 10 millions par an.

Afin de combler le déficit de financement en provenance de ses chaînes partenaires, elles-mêmes souvent en situation difficile, par exemple la chaîne publique ukrainienne dans l’incapacité d’assurer le paiement de sa participation, une augmentation de capital était devenue inévitable. En juillet 2015, année de l’inauguration du nouveau siège d’Euronews, un imposant cube vert fluorescent dans le quartier lyonnais de Confluence (55 millions de travaux et deux ans de retard à la suite de problèmes techniques), l’entreprise Media Globe Networks, détenue par le milliardaire égyptien Naguib Sawiris, troisième fortune de son pays et fondateur du Parti politique des Égyptiens libres, entre au capital. Elle apporte 35 millions d’euros en échange d’une prise de participation de 53 %. Les 21 chaînes publiques européennes deviennent donc minoritaires au sein de la chaîne qu’elles ont créée, avec 47 % des parts.

Ce changement de cap, jugé décisif pour la survie de la chaîne paneuropéenne, a été voté à l’unanimité. Afin de garantir l’indépendance éditoriale d’Euronews, appartenant désormais à un actionnaire non européen, un conseil éditorial est mis en place, en complément du conseil de surveillance et du directoire. Dotée d’un pouvoir de contrôle sur la ligne suivie par la chaîne, cette nouvelle entité est composée de dix membres, tous journalistes ou professionnels des médias, dont sept doivent être désignés par les actionnaires publics d’Euronews. L’ex-journaliste et ancien président de la RAI, Paolo Garimberti, en prend la tête. La création de ce conseil éditorial constitue une garantie de respect de l’indépendance et de la diversité éditoriales de la chaîne, à l’adresse de la Commission européenne qui l’accompagne depuis ses débuts, notamment par le financement de programmes sur les questions européennes. Depuis 2010, Bruxelles, ayant reconnu à Euronews une mission d’intérêt général européen, a conclu un accord-cadre avec la chaîne, pérennisant ainsi le versement de ses subventions.

Grâce à cette remise à flot, un plan de développement, baptisé « Euronews Next », sera engagé afin de trouver un nouveau modèle d’affaires, d’adapter la chaîne aux usages numériques en perpétuelle évolution, en passant par la refonte de son offre éditoriale. Tout au long de l’année 2015, Euronews a poursuivi son expansion, à la faveur de nouveaux partenariats signés avec des distributeurs étrangers, en Ukraine, en Inde, au Canada, en Colombie, en Allemagne, ainsi qu’avec l’ouverture à Singapour d’une filiale de sa régie commerciale intégrée, située à Paris. En avril 2016, est lancée Africanews, nouvelle chaîne panafricaine d’information en continu, filiale d’Euronews, à destination de plus de 7 millions de foyers dans 33 pays africains. Avec une équipe de 85 personnes, dont une cinquantaine de journalistes originaires de 15 pays d’Afrique, sa rédaction principale étant installée au Congo-Brazzaville, la chaîne a pour mission de donner un point de vue panafricain sur l’actualité africaine et internationale. Accessible sur internet (site web, chaîne YouTube, comptes Facebook et Twitter…) depuis janvier 2016, Africanews diffuse ses programmes 24 heures sur 24, simultanément en français, en anglais et en swahili pour partie, avec à l’avenir d’autres langues africaines. Elle a lancé une application communautaire, nommée « Story Hunters », qui invite les citoyens à prendre part à la diffusion de l’actualité. Avec sa nouvelle antenne africaine, Euronews vient concurrencer les déjà bien implantées CNN, BBC World et Al-Jazeera, mais également les françaises France 24 et TV5 Monde, ainsi que la chinoise CCTV Africa et l’américaine CNBC Africa. D’un accès gratuit, financée par la publicité, Africanews passera à terme en mode crypté afin de tirer des revenus en provenance des distributeurs.

En mai 2017, conformément au plan Euronews Next, la chaîne annonce un changement de modèle. Après s’être appuyée, depuis sa création, sur une diffusion en multiplex permettant à l’ensemble des éditions nationales de reprendre les mêmes sujets, une fois ceux-ci traduits dans la langue appropriée, Euronews propose désormais douze éditions d’information distinctes, pour chacun de ses marchés, mais avec quelques sujets en commun, définis en fonction de leur langue. « Cela va réinventer la façon dont nous produisons, distribuons et vendons nos produits », explique Michael Peters, président du directoire, qui mise sur la transformation d’Euronews en un « média global qui s’adapte à ses multiples audiences locales ». Chaque édition choisira de traiter des sujets en particulier, en fonction des intérêts de son public, ces productions étant à la disposition des autres éditions et favorisant ainsi les échanges. En outre, au titre de la nouvelle stratégie de la chaîne, figure l’abandon d’un autre de ses principes originels : ayant organisé la formation de ses équipes dans ce but, la chaîne paneuropéenne réalisera désormais des émissions de plateau. Il en est de même pour Euronews World, édition mondiale en anglais annoncée pour la fin de l’année 2017, qui sera intégralement présentée en plateau ou au sein de la rédaction. Future vitrine de la chaîne, Euronews World sera partiellement reprise par les diverses éditions nationales, elles aussi converties au plateau TV pour leur matinale. Au beau milieu de tous ces changements, Euronews a fait part, en mai 2017, de la fermeture de son service en ukrainien. Né en 2011, celui-ci a engendré une dette de 10 millions pour Euronews, notamment à la suite de la suspension de son financement par le gouvernement ukrainien depuis deux ans.

La stratégie Euronews Next s’accompagne également d’un volet social qui concerne 216 personnes sur les 389 salariés en contrat à durée indéterminée de la chaîne. Un plan de sauvegarde pour l’emploi (PSE) prévoit la suppression de 43 postes : 10 d’entre eux appartiennent au service ukrainien d’un effectif total de 16 personnes, 6 ayant pu être reclassés ; 33 autres touchant des salariés ayant refusé la renégociation de leur contrat de travail, demandée par la direction afin d’obtenir davantage de flexibilité dans l’organisation de la production de la chaîne. Parallèlement, la direction a embauché 12 personnes, principalement affectées au service commercial et elle envisage de créer des emplois afin de développer ses activités numériques, ainsi que Euronews World.

En février 2017, une nouvelle annonce engage l’avenir de la chaîne : la chaîne d’information américaine NBC News, propriété du conglomérat de médias NBCUniversal (filiale à 100 % du groupe Comcast, voir La rem n°18-19, p.48), s’apprête à acquérir 25 % du capital d’Euronews. Ce rapprochement a été confirmé, le 31 mai 2017, avec l’apport de 25 millions d’euros par le groupe américain, qui devient ainsi le deuxième actionnaire d’Euronews, par l’intermédiaire de sa nouvelle filiale, NBC News International, destinée à recueillir des prises de participation effectuées hors des États-Unis. Dans le même temps, les actionnaires actuels de la chaîne ont été sollicités pour une autre augmentation de capital, ce qui a permis au groupe de Naguib Sawiris d’augmenter ses parts à 60 %, tandis que les chaînes publiques, actionnaires historiques, ne conservent que 15 % (au lieu de 47 %). Cette opération avec NBC News, qui n’implique aucun changement ni à la direction d’Euronews ni au sein de son comité éditorial, se concrétisera pour la chaîne paneuropéenne par la fourniture de contenus et l’apport de compétences en matière de technologies numériques, notamment au travers de Snapchat et BuzzFeed dont NBCUniversal est actionnaire. Pour la chaîne nationale NBC News, consœur de NBC et MSNBC au sein du groupe américain, cet investissement pour le moins modeste lui permet de conquérir sur-le-champ, et en douze langues, un large bassin d’audience de plus de 400 millions de foyers, en Europe, en Afrique et au Moyen-Orient, faisant ainsi face à son compatriote CNN. « Nous ne sommes pas là pour américaniser Euronews », a déclaré Deborah Turness, présidente de NBC News International.

Alors qu’en février 2017, au moment de l’annonce de l’arrivée du nouveau partenaire américain, Bruxelles était en passe de confirmer son réengagement auprès d’Euronews ; du côté de la direction de la chaîne, on expliquait que « la Commission voulait en savoir plus sur l’accord. Nous avons pu leur démontrer que NBC était venu nous aider […] à devenir une référence sur les affaires européennes ».

Signe de l’inquiétude ressentie par les équipes d’Euronews quant à leur avenir professionnel, à l’heure où tant de changements étaient annoncés : un scrutin organisé en dehors des syndicats en décembre 2016, au cours duquel 205 employés de la chaîne (sur les 434 inscrits) ont voté une motion de défiance envers la direction. En l’état des choses, leur seule certitude, au moins pour les quatre années à venir, réside dans le renouvellement de l’accord-cadre liant Euronews et la Commission européenne, signé en février 2017, et garantissant le versement annuel de 24 millions d’euros sur cette période. Alors que la part du financement public dans Euronews est désormais extrêmement réduite, le délégué SNJ-CGT, Alexis Caraco, résume ainsi la logique qui a prévalu à la destinée de la chaîne : « Chaque État défend son intérêt, personne ne veut créer un concurrent à ses chaînes nationales. Euronews, c’est le reflet de ce qui se passe en Europe, on n’a plus d’ambition commune. » La chaîne créée voici 25 ans à l’initiative de l’audiovisuel public européen sera bientôt rebaptisée EuronewsNBC, affichant le célèbre logo en forme de queue de paon du groupe de médias américain.

Sources :

  • « Media Globe Networks, contrôlée par la famille de l’Égyptien Naguib Sawiris, devient actionnaire majoritaire d’Euronews », La Correspondance de la Presse, 10 juillet 2015.
  • « Euronews, la petite chaîne qui mute, qui mute », Clara Potier, Libération.fr, 26 octobre 2015.
  • « TV : lancement en 2016 d’Africanews, petite sœur d’Euronews », AFP, tv5monde.com, 6 novembre 2015.
  • « Euronews : une contestation venue de la base secoue le dialogue social », AFP, tv5monde.com, 9 décembre 2016.
  • « Euronews réfléchit à l’avenir de son modèle », Richard Schittly, Le Monde, 18-19 décembre 2016.
  • « La chaîne américaine NBC News entre au capital d’Euronews », AFP, tv5monde.com, 15 février 2017.
  • « L’américaine NBC pourrait entrer dans Euronews », Marina Alcaraz, Les Echos, 16 février 2017.
  • « Euronews abandonne le multiplex pour proposer 12 offres distinctes », AFP, tv5monde.com, 9 mai 2017.
  • « Euronews ferme son service ukrainien », AFP, tv5monde.com, 21 mai 2017.
  • « Euronews : 43 départs à l’issue du plan de sauvegarde », AFP, tv5monde.com, 24 mai 2017.
  • « Euronews : le rapprochement avec NBC finalisé, avec de nouveaux moyens à la clef », AFP, tv5monde.com, 31 mai 2017.
  • « NBC News s’étend à l’international avec Euronews », E.R., Le Figaro, 2 juin 2017.
Ingénieur d’études à l’Université Paris 2 - IREC (Institut de recherche et d’études sur la communication)

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