Kiosque de presse, lancement d’Altice Studio, investissements dans le cinéma et les séries, création d’une chaîne culinaire, rachat de Media Capital au Portugal : Altice devient un acteur européen des médias.
Après avoir multiplié les acquisitions dans les télécoms (voir La rem n°34-35, p.31), le groupe convergent Altice (voir La rem n°36, p.28 et La rem n° 42-43 p. 45) s’impose désormais dans les médias. L’objectif est à chaque fois de devenir un acteur national important pour que la stratégie de convergence ait un sens, une offre de médias se devant d’être suffisamment originale afin de permettre la fidélisation et le recrutement d’abonnés. Quant aux médias contrôlés, ils doivent pouvoir bénéficier de synergies entre les différents pays où Altice est implanté comme opérateur, à savoir la France, les États-Unis, Israël, le Portugal, enfin la République dominicaine. Si la construction d’un groupe de médias américains est encore jugée prématurée, Altice peut en revanche invoquer sa compétence israélienne où son opérateur, Hot, détient 60 % du marché de la télévision payante, édite ses propres chaînes Hot 3 et Hot Plus, auxquelles il faut ajouter la production de séries. De manière indépendante, Altice détient également en Israël la chaîne d’information internationale i24 News.
La même logique est reproduite en France où l’opérateur SFR multiplie son offre de médias, dans un premier temps à destination de ses abonnés, en over the top dans un second. Ainsi, après avoir lancé le kiosque SFR et investi dans la presse, SFR contrôlant aujourd’hui Libération, L’Express et Point de Vue, l’opérateur est en passe de prendre le contrôle total du groupe NextRadio TV, une opération autorisée par l’Autorité de la concurrence le 13 juin 2017 mais qui reste encore soumise à l’aval du CSA. Avec NextRadio TV, le groupe SFR intègre un pôle d’information puissant en télévision et radio, une chaîne documentaire (RMC Découverte) et désormais la mini-généraliste Numéro 23, dont le rachat par NextRadioTV a été autorisé par le CSA le 26 juillet 2017. À ces opérations reposant sur des acquisitions, il faut ajouter la création de chaînes, notamment dans le domaine du sport avec SFR Sport. Regroupées à terme sous l’enseigne Altice Sport, les chaînes sportives du groupe peuvent s’appuyer en France sur des droits prestigieux, la Premier League britannique et, dès 2018, la Ligue des Champions (voir La rem n°42-43, p.51).
Enfin, aux pôles information et sport déjà constitués en France, Altice veut ajouter désormais un pôle cinéma et séries. Cette ambition s’est concrétisée une première fois avec le lancement de la chaîne Altice Studio le 22 août 2017, d’abord auprès des seuls abonnés SFR. Cette chaîne doit diffuser 400 films par an et deux séries originales par mois, grâce aux accords conclus entre Altice et NBC Universal, Discovery, puis Paramount dès 2018, auxquels il faut ajouter des accords pour puiser dans les catalogues des studios français d’EuropaCorp ou de Gaumont. La chaîne Altice Studio, dotée d’un budget annuel de 160 millions d’euros, devrait par ailleurs consacrer 40 millions d’euros chaque année au financement de coproductions dans les séries et le cinéma. Installée au Luxembourg où Altice souhaite regrouper ses médias audiovisuels européens, la chaîne Altice Studio devrait respecter les obligations françaises liées aux quotas de financement et de diffusion, ainsi que la chronologie des médias. Mais il ne s’agit que d’un engagement du groupe, car Altice Studio dépend de la réglementation luxembourgeoise beaucoup moins pointilleuse en matière de promotion de la diversité culturelle à la télévision.
C’est là qu’Altice révèle ses ambitions dans les médias. À l’inverse de l’information et du sport, qui restent ancrées dans les marchés nationaux, soit en vertu de la loi de proximité pour l’information, soit du fait de la territorialité des droits sportifs, les séries et les films de cinéma ont vocation à circuler au-delà des frontières. Ainsi, Altice Studio diffusera des séries produites par Hot, par exemple Sirènes, en même temps qu’elle aura vocation à coproduire des séries avec d’autres acteurs européens, notamment les opérateurs télécoms positionnés sur les marchés où Altice n’est pas présent, que ce soit l’Allemagne, l’Espagne ou le Royaume-Uni. Pour être rentabilisés, les séries et les films ainsi produits auront vocation à être diffusés sur les chaînes premium des partenaires, en plus des chaînes contrôlées par Altice dans les pays où l’opérateur est présent. Altice cautionne par ailleurs la réflexion ayant inspiré la chronologie des médias, à savoir le déploiement de plusieurs fenêtres de diffusion : après avoir été diffusés en exclusivité sur les chaînes premium, les séries et films produits doivent être exploités en sVoD. Ainsi, les séries et films diffusés d’abord sur Altice Studio sont ensuite intégrés à SFR Play en France. Mais le groupe a prévenu qu’il ne financera que des séries s’il ne peut pas intégrer ses films dans SFR Play douze mois après leur sortie en salle, donc deux mois après la première diffusion en exclusivité sur Altice Studio. Autant dire qu’Altice est prêt à contribuer à l’émergence d’un Netflix européen adossé à des chaînes linéaires et à des opérateurs télécoms, mais à la condition qu’il dispose des mêmes cartes que celles du géant américain.
Cette logique européenne pour les médias d’Altice s’est encore traduite le 12 juin 2017 avec le lancement de la chaîne MyCuisine, distribuée en exclusivité auprès des abonnés de SFR en France. Altice a donc ouvert une nouvelle « verticale », après le sport et l’information, alors que les chaînes culinaires avaient disparu du PAF (paysage audiovisuel français) depuis 2015, avec la fermeture de Cuisine+ éditée par le Groupe Canal Plus. Mais le projet est plus ambitieux qu’une simple chaîne de cuisine. MyCuisine s’accompagne d’un site web, d’une application et d’un magazine, ce qui traduit la logique de convergence médiatique initiée au sein du groupe. Enfin, son emprise géographique excède le seul marché français, comme pour le cinéma et les séries, puisque MyCuisine sera distribuée dans l’aire francophone en Belgique, au Luxembourg, en Suisse, et en Afrique francophone. S’ajoute le Portugal où, après Isarël et la France, Altice vient de s’imposer à la fois comme leader du marché des télécoms et des médias.
Après s’être emparé de Portugal Telecom en 2014 (voir La rem n°33, p.31), Altice a complété son implantation portugaise par l’annonce du rachat pour 440 millions d’euros de 94,7 % du capital du premier groupe audiovisuel du pays, Media Capital, le 14 juillet 2017. Celui-ci avait été mis en vente par le groupe espagnol Prisa, étranglé par les échéances de remboursement de sa dette. Altice récupère ainsi la première chaîne de télévision du pays, Televisão Independente (TVI) et ses 22,5 % de parts de marché, mais également la première radio commerciale du pays, Radio Commercial. Avant de développer des synergies entre les tuyaux de l’ex-Portugal Telecom et les contenus de Media Capital, il faudra toutefois obtenir l’aval de l’Autorité de concurrence portugaise. Le 19 septembre 2017, l’Anacom, Autorité de régulation des télécommunications, a déjà rendu un avis négatif pour un rachat sans contrepartie, cet avis n’étant toutefois que consultatif. Pour l’Anacom, le rachat pourrait introduire un déséquilibre concurrentiel important sur le marché portugais des communications électroniques.
Sources :
- « Avec MyCuisine, Altice met les petits plats dans les grands », Thomas Chenel, Les Echos, 2 juin 2017.
- « SFR lance MyCuisine, unique chaîne culinaire en France », Chloé Woitier et Caroline Sallé, Le Figaro, 12 juin 2017.
- « Patrick Drahi veut étendre au Portugal la convergence média-télécoms », Fabienne Schmitt, Les Echos, 27 juin 2017.
- « Altice Studio, la chaîne cinéma et séries, sera lancée le 22 août », Caroline Sallé et Enguérand Renault, Le Figaro, 11 juillet 2017.
- « Patrick Drahi s’offre la première télé portugaise », Fabienne Schmitt, lesechos.fr, 16 juillet 2017.
- « Patrick Drahi lance sa chaîne cinéma et séries », Thomas Chenel, Les Echos, 30 août 2017.
- « Altice Média, nouvelle chaîne séries et cinéma à 160 millions d’euros », Caroline Sallé, Le Figaro, 30 août 2017.