SoftBank, géant nippon de la high-tech

À l’instar des dirigeants d’Alphabet, la maison mère de Google, Masayoshi Son, fondateur et patron de SoftBank, qui malgré ce nom n’est pas une banque, rêve de placer son pays au cœur du monde de demain, qu’il imagine nourri à l’intelligence artificielle.

Doué de prescience, Masayoshi Son construit son empire, depuis près de trente ans, à coups de prises de participation et de rachats d’entreprises high-tech. À la tête du troisième opérateur nippon de téléphonie mobile (ex-Vodafone Japan), il est aujourd’hui l’homme le plus riche du pays, avec une fortune personnelle supérieure à 20 milliards d’euros. Aussi discret que l’envergure de son groupe est grande et finalement plutôt mal connue, le patron de SoftBank a suivi une trajectoire exceptionnelle, parsemée de choix stratégiques avant-coureurs qui se mesurent aujourd’hui au bénéfice réalisé par le groupe, soit 11,5 milliards d’euros pour l’exercice achevé en mars 2017, trois fois supérieur à celui de l’année précédente.

Convaincu que l’intelligence artificielle supplantera l’intelligence humaine dans trente ans, Masayoshi Son ambitionne de faire de SoftBank le plus grand groupe high-tech qui soit dans un monde peuplé d’algorithmes. Déclarant que sa quête ne se résume pas à faire des profits mais d’abord à soutenir des progrès technologiques bénéfiques au plus grand nombre, le dirigeant du groupe japonais s’est allié en 2016 à l’Arabie saoudite dans le but de créer le plus important fonds d’investissement de la planète consacré aux nouvelles technologies, d’un montant de 100 milliards de dollars. En mai 2017, le SoftBank Vision Fund, établi à Londres, annonçait déjà la levée de 93 milliards de dollars : 45 milliards en provenance de Public Investment Fund, fonds souverain d’Arabie saoudite, 28 milliards de SoftBank, 15 milliards de Mubadala Investment Company du gouvernement d’Abou Dabi, auxquels s’ajoutent les investissements d’acteurs majeurs comme Apple (1 milliard de dollars), Qualcomm, Foxconn Technology, Sharp.

Avec des mises minimum de 100 millions de dollars, SoftBank Vision Fund a pour objectif de soutenir, sur le long terme, le développement des technologies du futur comme l’internet des objets, la robotique, les biotechs ou les fintechs. « La technologie a le potentiel pour répondre aux plus grands risques auxquels l’humanité fait face aujourd’hui. Mais les sociétés qui cherchent à résoudre ces problèmes ont besoin de capitaux patients et de long terme », affirme Masayoshi Son qui souhaite ainsi garantir le temps long nécessaire à la R&D (Recherche et développement). À l’annonce officielle de la levée de fonds, une douzaine de projets étaient d’ores et déjà sélectionnés comme récipiendaires, parmi lesquels Paytm, entreprise indienne de paiement en ligne, avec 1,4 milliard de dollars ; OneWeb, projet dans le secteur de l’internet spatial (voir La rem n°33, p.21), avec 1 milliard de dollars ; Zymergen, entreprise américaine de biotechnologie, avec 130 millions de dollars. En septembre 2017, la licorne Slack avec son service de messagerie instantanée pour entreprise, qui vient concurrencer les logiciels de Microsoft (Outlook, Skype, Team), a obtenu 250 millions de dollars de financement en provenance de SoftBank Vision Fund.

Communément présenté comme un géant des télécommunications, et qui est de fait le troisième opérateur de téléphonie mobile au Japon et propriétaire de Sprint, quatrième opérateur américain, SoftBank couvre en réalité un périmètre bien plus étendu. Il est le géant nippon des nouvelles technologies – puces électroniques, plates-formes de services en ligne, robots et intelligence artificielle – mené par l’ambition de son fondateur et dirigeant de devenir un acteur incontournable du monde de demain, ce que montre l’impressionnant puzzle des sociétés internationales dont le groupe est partenaire. Masayoshi Son appartient à cette classe rare d’investisseurs qui possèdent une vision à long terme, quand la stratégie à court terme de l’appât du gain l’emporte généralement dans le milieu de la finance mondiale.

Le développement du groupe SoftBank est étroitement lié à la personnalité de son fondateur technophile dont l’histoire est édifiante. Né en 1957, appartenant à la troisième génération d’une famille immigrée d’origine sud-coréenne vivant très modestement sur l’île de Kyushu, ayant même un temps adopté un patronyme japonais, Yasumoto, afin de tenter d’échapper aux discriminations racistes, Masayoshi Son part étudier aux États-Unis où il apprend notamment l’informatique, à l’université de Berkeley en Californie. De retour dans son pays, il crée sa première entreprise en 1981, baptisée SoftBank, spécialisée dans la distribution de logiciels informatiques. Ayant le statut « de résident de long terme » comme la plupart des immigrés coréens, il ne parviendra, à force d’acharnement, à obtenir la nationalité japonaise qu’en 1991. Dans les années 1990, il prend des participations dans des centaines de sociétés. L’expansion phénoménale de SoftBank tient à l’ambition d’un homme passionné par les nouvelles technologies qui a misé d’emblée sur les premiers services internet. Dès 1995, il investit dans Yahoo !, l’annuaire du web tout juste lancé, et crée l’année suivante, en partenariat avec l’entreprise américaine, la version japonaise dont le moteur de recherche est toujours très utilisé au Japon. En 1999, année de lancement d’Alibaba, Masayoshi Son acquiert 30 % du capital de la plate-forme chinoise de commerce en ligne, sur la suggestion de son fondateur, Jack Ma. Avec une capitalisation boursière dépassant 400 milliards de dollars, la participation actuelle de 28 % de SoftBank dans la place de marché chinoise est un trésor.

Devant des centaines de jeunes Tokyoïtes ayant acheté un billet pour venir l’écouter dans un grand hôtel de la capitale nippone, en février 2017, Masayoshi Son expose sa vision du futur : l’avènement de la singularité – chère à Ray Kurzweil, directeur de l’ingénierie chez Alphabet (voir La rem n°26-27, p.50 et n°36, p.58) – laissant place à une super-intelligence qui dépasserait celle des hommes. « Que ferons-nous, nous les hommes ? S’il vous plaît, réfléchissez-y ! », les interpelle celui qui a acquis en 2014 le spécialiste français de robotique Aldebaran Robotics pour 100 millions de dollars.

Rebaptisée SoftBank Robotics, l’entreprise commercialise des robots humanoïdes comme Pepper. Distribué environ à 10 000 exemplaires au Japon, ce robot humanoïde d’un mètre vingt, au développement duquel Masayoshi Son s’est tout particulièrement consacré, est capable d’adapter son comportement aux émotions humaines : il peut accueillir les clients dans les boutiques SoftBank et dans les banques. Utilisé également par de nombreuses entreprises en Europe, Pepper participe à la collecte systématique des informations fournies par leurs clients, nouvel or noir de l’économie numérique, que SoftBank conserve précieusement sur des serveurs distants. En juin 2017, SoftBank élargit sa panoplie de robots articulés en rachetant à Alphabet – doublant au passage les groupes Amazon et Toyota également candidats – deux sociétés spécialisées dans la fabrication de créatures mécaniques agiles imitant les mouvements humains ou animaliers, Boston Dynamics et Schaft, pour un montant resté secret mais estimé à 500 millions de dollars. « Il existe encore énormément de problèmes que nous ne savons pas résoudre avec nos seules capacités humaines, expliquait le patron de SoftBank à l’occasion de cette nouvelle acquisition. La robotique intelligente va être un élément clé de cette nouvelle révolution de l’information. »

Le patron du groupe japonais anticipe également l’explosion du marché des objets connectés présents dans les maisons et les villes « intelligentes », ainsi que celui des véhicules autonomes. En juillet 2016, quelques semaines après le vote du Brexit et alors que la livre a perdu 30 % de sa valeur, Masayoshi Son réalise la plus importante transaction jamais effectuée par un groupe japonais au Royaume-Uni : l’achat du fleuron britannique ARM Holdings – concepteur, et détenteur des licences, d’une architecture qui se trouve au cœur des processeurs équipant la quasi-totalité des terminaux mobiles – pour 32 milliards de dollars, l’équivalent de 48 fois son bénéfice net. Pour mobiliser cette somme, SoftBank aura revendu 4,2 % de ses parts dans Alibaba, ainsi que sa participation, pour 8,6 milliards de dollars, dans Supercell, éditeur finlandais de jeux vidéo pour téléphone mobile, et aura emprunté 9,5 milliards de dollars. Masayoshi Son a fait part de son intention de sortir ARM Holdings du marché boursier afin de l’extraire de la pression financière, de maintenir son organisation managériale et son siège à Cambridge, tout en augmentant à la fois son budget R&D et ses effectifs d’ici à cinq ans, au Royaume-Uni comme à l’étranger. À peine un an plus tard, en mai 2017, SoftBank réalise un second investissement sur le marché britannique en entrant au capital d’Improbable, start-up londonienne spécialisée dans la réalité virtuelle, et plus particulièrement dans la création de mondes virtuels complexes. Cet investissement de 502 millions de dollars, qui représente moins de 50 % du capital, est l’une des plus importantes levées de fonds réalisées par une start-up européenne, faisant d’Improbable une nouvelle licorne.

Le groupe s’étend également tous azimuts sur les marchés encore en croissance. En Inde, pays dans lequel Masayoshi Son a annoncé vouloir investir dix milliards de dollars d’ici à 2024, SoftBank est présent via ses participations dans Snapdeal, une plate-forme d’e-commerce ; Ola, un service de voitures avec chauffeur ; Hike Messenger, une messagerie instantanée, ou encore Oyo, une plate-forme de réservation d’hôtels. Outre Alibaba en Chine, il détient des parts dans le service voiturier Didi Chuxing. Il est aussi présent au capital de Coupang, l’un des principaux e-commerçants en Corée du Sud. Bilan, SoftBank a consacré plus de 100 milliards de dollars à quelque 200 prises de participations ou rachats depuis 2010.

En décembre 2016, lors d’une rencontre avec le président Donald Trump, le patron de SoftBank a annoncé que SoftBank Vision Fund investirait, dans les quatre ans à venir, 50 milliards de dollars aux États-Unis, avec à la clé la création de 50 000 emplois. Masayoshi Son viserait de cette façon, selon les analystes, un rapprochement de l’opérateur américain Sprint, qu’il a racheté 22 milliards de dollars en 2013 et qui perd de l’argent, avec T-Mobile, la filiale américaine de Deutsche Telekom, afin de pouvoir affronter la concurrence des géants du secteur AT&T et Verizon, une opération déjà tentée mais écartée par les régulateurs américains, le Department of Justice (DoJ) et la Federal Trade Commission (FTC).

L’ambition manifeste du patron de SoftBank de suivre l’évolution des nouvelles technologies a un coût : 100 milliards de dollars, c’est le montant de l’endettement cumulé par le conglomérat technologique. En juin 2016, au moment où celui qui devait lui succéder à la tête du groupe démissionne, Masayoshi Son déclarait avoir « le sentiment que sa mission n’était pas encore réalisée » et qu’il voulait « encore travailler à quelques idées folles ».

Sources :

  • « En s’offrant ARM au prix fort, SoftBank se projette dans l’Internet des objets », Yann Rousseau, Les Echos, 19 juillet 2016.
  • « Pourquoi SoftBank sonne la charge aux États-Unis », Jérôme Marin, 10 décembre 2016.
  • « SoftBank investit dans une start-up spécialiste des mondes virtuels », AFP, tv5monde.org, 12 mai 2017.
  • « Improbable, nouvelle licorne britannique de réalité virtuelle », Vincent Collen, Les Echos, 15 mai 2017.
  • « Riyad et SoftBank ont créé le plus gros fonds tech de la planète », Yann Rousseau, Les Echos, 22 mai 2017.
  • « Le japonais SoftBank s’offre les spectaculaires robots de Google », Yann Rousseau, Les Echos, 12 juin 2017.
  • « Le gourou japonais de l’intelligence artificielle », Wieland Wagner, Der Spiegel, 3 juin 2017 in Courrier international, n° 1391 du 29 juin au 5 juillet 2017.
  • « Slack franchit le cap des 5 milliards de dollars de valorisation », Florian Dèbes, Les Echos, 19 septembre 2017.
Ingénieur d’études à l’Université Paris 2 - IREC (Institut de recherche et d’études sur la communication)

LAISSER UN COMMENTAIRE

S'il vous plaît entrez votre commentaire!
S'il vous plaît entrez votre nom ici