Presse magazine : la consolidation en dernier recours

Aux États-Unis comme au Royaume-Uni, la concentration du marché de la presse est amorcée. Meredith se recentre sur la presse thématique, abandonne le Time et cède ses activités britanniques. En France, Lagardère est le premier des grands éditeurs à sortir du marché de la presse magazine.

Après avoir limité ses tirages pour réduire ses coûts (voir La rem n°45, p.24), la presse magazine anglo-saxonne s’engage dans un mouvement accéléré de consolidation. Le phénomène se constate aux États-Unis comme au Royaume-Uni avec, chaque fois, la volonté des éditeurs de mutualiser les frais généraux pour mieux contrôler les coûts. Mais la consolidation n’a pas pour seul objectif d’adapter les coûts à la réalité d’un marché en baisse, qu’il s’agisse des ventes ou de la publicité ; elle est aussi offensive dans la mesure où elle donne aux nouveaux groupes une taille qui leur permet de s’imposer en alternative crédible à Google ou Facebook sur le marché publicitaire en ligne.

Aux États-Unis, la stratégie du groupe Meredith s’inscrit parfaitement dans cette logique. Le groupe de presse magazine, spécialisé dans l’art de vivre, la décoration, la beauté – autant de thématiques propres à la presse féminine – avait annoncé, le 26 novembre 2017, le rachat du groupe Time Inc. pour 1,8 milliard de dollars. Il s’agissait alors d’additionner les audiences de Meredith et de Time Inc. pour proposer une offre publicitaire en ligne capable de s’imposer en alternative aux régies des pure players, des réductions de coûts étant également envisagées grâce aux mutualisations rendues possibles par le rapprochement des titres. Ainsi Meredith avait communiqué sur sa capacité à toucher désormais 200 millions d’individus aux États-Unis via ses différents médias, avec pour cible principale les femmes et l’information locale. Autant dire qu’une partie des titres de Time Inc. ne trouvait pas sa place dans la stratégie de Meredith, qui a depuis engagé leur cession quand ils n’apportent pas de plus-value évidente en termes de ciblage publicitaire.

Meredith s’est ainsi séparé des titres de Time Inc. au Royaume-Uni le 26 février 2018, un marché où le groupe américain n’a pas vocation à se développer. La même logique a été reproduite aux États-Unis avec la mise en vente, en mars 2018, de quatre titres parmi les plus prestigieux de Time Inc. : le Time et Sports Illustrated qui étaient encore diffusés à 3 millions d’exemplaires en 2016, Money (1,55 million d’exemplaires) et Fortune (830 000 exemplaires). Ces magazines ont en effet la particularité d’être des hebdomadaires liés à l’actualité, leurs contenus étant de facto vite périmés. À l’inverse, le groupe Meredith privilégie les mensuels thématiques, leurs articles pouvant être exploités en ligne sur un temps long. Meredith va donc se séparer de quatre marques puissantes mais peu rentables.

Le groupe conservera toutefois People, le plus rentable des grands magazines de Time Inc., et tous les magazines thématiques, moins connus de Time Inc. mais plus stratégiques, comme Southern Living qui est un magazine d’art de vivre consacré au sud des États-Unis, ou encore Essence, qui vise la communauté afro-américaine. S’ajoute à ce recentrage sur les magazines thématiques un plan de réduction des coûts de 400 à 500 millions de dollars sur deux ans, avec la suppression de 1 200 postes sur 3 500, soit un tiers des effectifs, de quoi relancer le cours en Bourse du groupe qui a perdu 25 % depuis le rachat de Time Inc.

À l’inverse du marché de la presse magazine, celui de la presse quotidienne aux États-Unis semble suivre une voie radicalement différente, ne pouvant pas compter sur les revenus publicitaires pour se développer. Le modèle payant s’impose et la qualité de l’offre éditoriale redevient un critère décisif, en même temps que l’ergonomie de l’offre en ligne. Ainsi, pour la présentation de ses résultats 2017, le New York Times a annoncé que 60 % de ses revenus sont désormais assurés par ses abonnements, quand la presse américaine a historiquement dépendu de la publicité. Le Washington Post, détenu par Jeff Bezos, a également fait part de bons résultats à la fois pour les abonnements et sur le marché publicitaire, le nombre de ses abonnés ayant triplé entre 2015 et 2017.

Ces quotidiens sont donc en train d’échapper à la logique de consolidation qui repose principalement sur la volonté d’agréger des audiences pour proposer une offre compétitive sur le marché publicitaire. C’est peut-être le pari qui a été fait par le milliardaire Patrick Soon-Shiong. Le 7 février 2018, ce dernier a racheté à Tronc (Tribune Online Content) ses titres californiens, le Los Angeles Times, le San Diego Union-Tribune et d’autres publications de moindre importance pour 500 millions de dollars. Tronc, entité issue de la scission du groupe Tribune en 2016, lequel avait racheté les journaux californiens en 2000, va utiliser les fonds tirés de la cession pour investir dans la numérisation de ses autres titres, le groupe étant installé à Chicago.

Au Royaume-Uni, la vente des titres de Time Inc. UK par Meredith est lourde de conséquences. En tout, 57 titres sont cédés, dont TV Times, Woman’s Weekly, Marie Claire UK ou encore Country Life qui font de cet ensemble le premier éditeur de presse magazine au Royaume-Uni, avec un chiffre d’affaires de 280 millions d’euros en 2017, 1 700 salariés et une diffusion consolidée de 168,7 millions d’exemplaires en 2016 selon Enders Analysis. L’acheteur, le fonds d’investissement Epiris, a affiché sa volonté de participer à la consolidation de la presse magazine au Royaume-Uni afin de constituer un groupe puissant face à Facebook et Google, tout en multipliant les synergies liées à l’effet de taille. Si les titres les moins rentables de Time Inc. UK devraient être cédés par Epiris, le fonds s’est en revanche positionné pour s’emparer du groupe Dennis Publishing, un autre éditeur britannique de presse magazine.

À la consolidation annoncée de la presse magazine au Royaume-Uni s’ajoute un phénomène similaire dans la presse tabloïd quotidienne. Contre toute attente, le groupe Trinity Mirror, qui édite le quotidien de gauche Daily Mirror, s’est emparé en février 2018 des titres détenus par Richard Desmond, président de Northern & Shell. Les titres concernés sont connus pour leur positionnement très à droite et leur soutien sans faille au Brexit, notamment le tabloïd Daily Express et sa version dominicale, le Sunday Express. Mais la consolidation l’emporte sur la cohérence éditoriale des titres détenus par l’entreprise, preuve que la concentration ne détruit pas systématiquement la diversité éditoriale.

En effet, le groupe Trinity Mirror a garanti que les orientations politiques des titres seraient préservées. À vrai dire, le nouveau groupe compte désormais trois quotidiens dominicaux, le Daily Express, le Star Sunday et le Sunday People, qui n’ont pas intérêt à se concurrencer trop frontalement, les lignes politiques permettant de récupérer à droite comme à gauche un lectorat britannique dont on connaît la polarisation depuis le Brexit. Ainsi, pour 126,7 millions de livres, et un versement de 70,4 millions de livres au fonds de retraite des titres, le groupe Trinity Mirror se renforce sur le marché britannique en ajoutant à ses 150 titres trois marques de presse puissantes, le Daily Express, mais aussi le Star et le titre people OK. Il reste que le Daily Express comme le Daily Mirror sont en perte de vitesse, le premier ayant vu sa diffusion passer d’un million d’exemplaires en 2000 à 400 000 exemplaires aujourd’hui, quand le second est encore diffusé à 700 000 exemplaires, soit deux fois moins toutefois qu’il y a dix ans. Mais le point faible des deux titres est ailleurs, à savoir leur présence insuffisante sur l’internet quand leur concurrent, le Daily Mail, a réussi à mondialiser son audience avec le succès de Mailonline. Sur le marché de la presse imprimée, l’opération est toutefois cruciale et devra faire l’objet d’une autorisation par les autorités britanniques de concurrence, la Competition and Markets Authority ayant annoncé le 11 avril 2018 lancer une enquête sur cette opération.

En France, le même impératif de consolidation traverse le marché de la presse magazine. Révélées début janvier 2018 par le site d’information italien Milano Finanza, les discussions entre trois des quatre grands de la presse magazine française pour une fusion de leurs activités ont été confirmées, annonçant une révolution dans le paysage de la presse magazine française. À l’origine, Mondadori France (Top Santé, Biba, Closer, Grazia, Télé Star) était en quête d’un repreneur, son chiffre d’affaires baissant depuis 2015. Afin d’éviter la vente de marques puissantes mal valorisées par des chiffres de diffusion en berne, Mondadori s’est associé au Groupe Marie Claire, dans lequel Lagardère détient 42 % du capital, pour proposer à Lagardère la création d’une société tierce regroupant tous leurs actifs de presse magazine au sein d’une structure de défaisance.

Ensemble, les trois groupes auraient ainsi donné naissance à une société au chiffre d’affaires proche d’un milliard d’euros, avec 300 millions d’euros apportés, d’un côté, par Mondadori et par le Groupe Marie Claire, et, de l’autre, près de 400 millions d’euros pour les titres du groupe Lagardère. Le rapprochement de leurs activités aurait fait émerger un géant de la presse magazine, très loin devant le quatrième grand acteur du marché français, l’allemand Prisma (Bertelsmann). Il aurait permis des économies d’échelle et surtout la sous-traitance des plans sociaux à la société ainsi créée.

La difficulté d’une telle opération la rendait peu probable, ce qui a été confirmé depuis par les initiatives divergentes des acteurs concernés. Fin janvier 2018, Les Echos révélaient d’autres discussions, à l’initiative de Reworld Media, pour un rachat ou une fusion avec les actifs de Mondadori France. Fin mars, le Groupe Marie Claire annonçait se retirer des discussions entamées avec Lagardère et Mondadori. Le 8 mars 2018, lors de la présentation des résultats 2017 du groupe Lagardère, Arnaud Lagardère, son gérant commandité, annonçait sa volonté de réduire le portefeuille de Lagardère Active, la branche de médias du groupe, et envisageait la cession de la plupart de ses titres de presse, y compris le magazine Elle.

Depuis, Lagardère a préparé le démantèlement de sa branche Active afin de pouvoir procéder à une vente par appartement, l’objectif étant de se séparer des activités les moins rentables pour recentrer le groupe sur les deux métiers qui dégagent le plus de bénéfices et de chiffre d’affaires : l’édition et les espaces commerciaux dans les gares et aéroports (le travel retail). Finalement, le groupe Lagardère ne devrait conserver dans son périmètre que la radio Europe 1, Le Journal du dimanche et Paris Match, ainsi que les activités de production audiovisuelle. Tous les autres actifs sont à vendre et vont être logés au sein de pôles autonomes afin d’être plus facilement séparés du groupe.

Les chaînes jeunesse (Gulli, Tiji), les radios internationales de Lagardère (LARI) et le pôle web (Doctissimo, BilletRéduc) ont donc été mis en vente, mais également la presse magazine avec des titres aux marques puissantes : Elle et Version Femina pour la presse féminine, France Dimanche, Public et Ici Paris pour la presse peopleTélé 7 Jours pour la presse TV. Par ailleurs, lors de l’annonce de la réorganisation, Lagardère a précisé qu’un rapprochement avec Mondadori n’était pas à l’ordre du jour, du fait de son coût social et du risque financier associé à l’opération.

Il ne restait alors au groupe Lagardère qu’à trouver un repreneur pour un ensemble qui représente encore aujourd’hui le premier groupe de presse magazine en France, une activité que Lagardère aura abandonnée en moins de dix ans depuis ses premières ventes de titres en 2011, avec la cession des éditions de Elle à l’international au groupe Hearst (voir La rem n°17, p.31) et le début de la cession de ses titres en France en 2013 (voir La rem n°29, p.31). Le groupe Lagardère a décidé d’aller vite, malgré la portée symbolique des médias dont il compte se séparer. Cet empressement s’explique par la nécessité pour le groupe de garantir des dividendes à ses actionnaires, donc de se recentrer rapidement sur ses activités les plus rentables, mais également sur sa volonté de quitter des secteurs d’activité dont la valorisation décline immanquablement avec le temps.

Le 17 avril 2018, Les Echos annonçaient une première cession pour 73 millions d’euros au groupe tchèque Czech Media Invest, à savoir les radios internationales. Rien ne laissait présager alors la nature de l’accord conclu entre le Groupe Lagardère et Czech Media Invest. Ce groupe de médias est en effet issu de la vente en 2014 de la coentreprise entre Ringier et Springer en Europe de l’Est (voir La rem n°16, p.13), un territoire où il est bien implanté. Avec les radios internationales de Lagardère, Czech Media Invest renforce son implantation : celles-ci représentent un chiffre d’affaires de 56 millions d’euros en 2017 avec des radios en République tchèque, mais également en Pologne, en Slovaquie, en Roumanie, ainsi que des actifs plus lointains, en Afrique du Sud, au Vietnam, au Cambodge, en Côte d’Ivoire et au Sénégal. Le 18 avril 2018, Lagardère annonçait être entré en négociations exclusives avec Czech Media Invest pour lui céder également l’ensemble de son pôle presse.

Aucun chiffre n’a été communiqué, les valorisations données par la presse s’inscrivant dans une fourchette comprise entre 40 et 60 millions d’euros, quand les titres cédés représentent un résultat d’exploitation de 20 millions d’euros pour un chiffre d’affaires de 250 millions d’euros et 700 salariés.

L’ancien fleuron français de la presse magazine sera donc contrôlé par un investisseur tchèque, qui fera des titres de Lagardère son navire amiral pour se développer en Europe à l’ouest, sauf à décider de les revendre ensuite à la découpe, après avoir mis en œuvre un plan social. La première possibilité semble probable, d’abord parce que Czech Media Invest est un véritable groupe de médias, leader dans son pays, ensuite parce qu’il semble véritablement s’intéresser à la France, le groupe ayant quelques jours plus tard fait auprès du tribunal de commerce de Paris une offre ferme pour racheter 91 % du magazine Marianne, en redressement judiciaire.

Si Lagardère se retire définitivement de la presse magazine, alors même que le groupe français était le premier éditeur mondial dans cette catégorie au début des années 2000 (260 titres, dans 34 pays pour 2,3 milliards d’euros de chiffre d’affaires), il conserve toutefois la marque « Elle », le magazine étant cédé sous licence à Czech Media Invest, un modèle déjà éprouvé à l’occasion de la cession des éditions internationales de Elle au groupe Hearst.

Sources :

  • « Le groupe du Daily Mirror veut racheter le Daily Express », Florentin Collomp, Le Figaro, 12 septembre 2017.
  • « Alliance en vue dans les magazines en France », Alexandre Debouté, Le Figaro, 3 janvier 2018.
  • « Rumeurs de discussions entre Mondadori, Marie Claire et Lagardère », Nicolas Madelaine, Les Echos, 3 janvier 2018.
  • « Le Washington Post confirme son redressement », Chloé Woitier, Le Figaro, 10 janvier 2018.
  • « Rewolrd Media lorgne Mondadori France », Fabienne Schmitt, Les Echos, 22 janvier 2018.
  • « Tronc Sells The Los Angeles Times to Local Billionaire for $500 Million », Sydney Ember, nytimes.com, 7 février 2018.
  • « Trinity Mirror buys Express and Star in £200m deal », Mark Sweney, theguardian.com, 9 février 2018.
  • « Le New York Times bénéficie à plein du Trump bump », Elsa Conesa, Les Echos, 9 février 2018.
  • « Les tabloïds anglais à l’heure de la consolidation apolitique », Nicolas Madelaine, Les Echos, 12 février 2018.
  • « Meredith se sépare du NME et de 56 autres titres britanniques », Basile Dekonink, Les Echos, 27 février 2018.
  • « Cessions chez Lagardère : les marchés demandent plus et plus vite », Nicolas Madelaine, Les Echos, 20 mars 2018.
  • « Lagardère en marche vers les cessions », Fabienne Schmitt, Nicolas Madelaine, Les Echos, 20 mars 2018.
  • « TV Times owner plots £300m merger with Viz publisher Dennis », Mark Kleinman, news.sky.com, 22 mars 2018.
  • « Marie Claire ne discute plus avec Lagardère et Mondadori », Nicolas Madelaine, Les Echos, 23 mars 2018.
  • « Time et Fortune sont de nouveau à vendre », Elsa Conesa, Les Echos, 23 mars 2018.
  • « Meredith garde People mais vend Time », Alexandre Debouté, Le Figaro, 23 mars 2018.
  • « Lagardère Active prépare son démantèlement », Alexandre Debouté, Enguérand Renault, Le Figaro, 4 avril 2018.
  • « Trinity Mirror deal for Express and Star faces competition scrutiny », Mark Sweney, theguardian.com, 11 avril 2018.
  • « Lagardère enclenche les cessions de son pôle médias », Nicolas Madelaine, Marina Alcaraz, Les Echos, 17 avril 2018.
  • « Lagardère en passe de vendre Elle à un groupe tchèque », Marina Alcaraz, Etienne Combier, Les Echos, 19 avril 2018.
  • « Clap de fin pour l’empire de presse de Lagardère », Chloé Woitier, Enguérand Renault, Le Figaro, 19 avril 2018.
  • « Le groupe Lagardère se recentre sur l’édition et les boutiques d’aéroports », Enguérand Renault, Le Figaro, 4 mai 2018.
Professeur à Aix-Marseille Université, Institut méditerranéen des sciences de l’information et de la communication (IMSIC, Aix-Marseille Univ., Université de Toulon), École de journalisme et de communication d’Aix-Marseille (EJCAM)

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