Facebook repense l’objectivité grâce à Monsieur-tout-le-monde

« We decided that having the community determine which sources are broadly trusted would be most objective » (Nous avons décidé que faire appel à la communauté pour déterminer quelles sources sont globalement crédibles sera le plus objectif), Mark Zuckerberg, 19 janvier 2018.

Quelle affirmation surprenante de Mark Zuckerberg qui, empêtré depuis 2016 dans les critiques à répétition sur le rôle de Facebook comme caisse de résonance des fake news (voir La rem n°44, p.86), n’anticipait pas, début 2018, le scandale majeur qui allait se profiler avec l’affaire Cambridge Analytica. Il s’agissait alors seulement de « réparer Facebook ». À cette fin, Mark Zuckerberg a souhaité mettre fin aux trop nombreuses sollicitations polémiques relayées sur le réseau social par des articles d’information dont la dimension sensationnelle l’emporte sur l’exigence d’objectivité. En conséquence, Facebook annonçait une modification de son algorithme, le 11 janvier 2018, afin de limiter la présence des contenus de type « média » dans le fil d’actualité de ses utilisateurs pour privilégier les conversations avec la famille et les utilisateurs. Cette modification de l’algorithme devait se traduire par une baisse de l’engagement des utilisateurs, moins sollicités par des acteurs devenus spécialistes de la communication sociale, qu’il s’agisse de marques ou de producteurs de contenus comptant sur la publicité pour financer leur activité. Concrètement, la part des contenus des médias dans le fil d’actualité passe de 5 % à 4 % du total des messages, soit une baisse de 20 %. Mais les médias sérieux ne sont pas menacés, ce que laisse entendre le post de Mark Zuckerberg daté du 19 janvier 2018 et cité en exergue.

Dans ce post, Mark Zuckerberg veut rassurer ses utilisateurs, lassés par l’information militante et les fake news. Facebook leur propose désormais une information de « haute qualité », à savoir « véridique, informative et locale », reposant sur des « sources sûres ». Les médias d’information devraient s’en réjouir. Sauf que la détection des sources sûres par Facebook est on ne peut plus surprenante. Alors que le réseau social avait mobilisé les rédactions pour vérifier les informations circulant sur son réseau social, dans un effort de fact checking respectant les canons du journalisme, c’est à un véritable renversement copernicien que procède Mark Zuckerberg en janvier 2018. Prenant acte de la polarisation des esprits et des divisions qui traversent les sociétés, Mark Zuckerberg s’interroge sur la manière d’identifier les sources dignes de confiance.

Plusieurs pistes sont évoquées. Une sélection des sources d’information directement par les équipes de Facebook, procédé avec lequel le réseau social est mal à l’aise. Facebook tient en effet à rester un hébergeur et à ne surtout pas endosser une quelconque responsabilité éditoriale. Pourtant, recruter des individus éclairés pourrait facilement permettre d’établir une liste des médias dignes de confiance, même s’il y aura toujours débat sur la qualification de certains médias. La deuxième solution est de recourir à des experts extérieurs, ce qu’a fait Facebook quand il a sollicité des rédactions pour fact checker certaines informations partagées sur le réseau social. Mais cela ne permet pas de « régler le problème de l’objectivité ». Sans plus d’explications, voici donc les rédactions évacuées. Il faut dire que toutes les rédactions n’aboutissent pas aux mêmes conclusions, l’objectivité étant d’abord un idéal régulateur pour le journalisme, plus qu’elle n’est un ensemble de règles assurément applicables (voir sur ce point le travail de Michael Schudson). Reste donc la communauté, « you » selon Mark Zuckerberg, dont les retours permettront de classer les médias. En l’espèce « Monsieur ou Madame Tout-le-monde » et ses différentes figures sociales présideront désormais sur Facebook à l’établissement de l’objectivité comme norme, quand cette dernière relève dans les rédactions d’un débat qui articule principes journalistiques et pratiques professionnelles.

L’affirmation est à ce point abrupte que Mark Zuckerberg doit finir son post par une petite explication. « Dans le cadre de nos enquêtes de qualité en cours, nous demanderons aux gens s’ils sont familiers avec une source d’information et, le cas échéant, s’ils font confiance à cette source ». « L’idée » mise en avant est que certains médias n’ont la confiance que de leurs lecteurs ou spectateurs, donc une confiance somme toute communautaire, quand d’autres médias sont considérés comme généralement crédibles au sein d’une société, même par ceux qui ne les « suivent » pas directement. La notoriété diffuse l’emporte donc…, qu’un calcul non précisé viendra toutefois corriger, parce qu’il faut quand même prendre sérieusement en compte l’avis de ceux qui s’exposent pour de bon à un média et le jugent en connaissance de cause.

Interrogé par le Wall Street Journal, Adam Mosseri, chargé du fil d’actualité de Facebook, a d’ailleurs précisé le jour même que cette incursion de Facebook dans l’évaluation de l’objectivité, limitée d’abord aux États-Unis, l’engageait sur un terrain glissant (a tricky thing) qui conduit Facebook à endosser une certaine responsabilité éditoriale. Il justifiait par la même occasion la non-communication des résultats des enquêtes de qualité, ces derniers n’étant qu’un des critères désormais mobilisés par l’algorithme de Facebook pour décider de l’ordre de publication des actualités sur le fil de ses utilisateurs. L’algorithme prendra également en compte le fait que certaines publications peu connues sont pourtant généralement considérées comme crédibles afin de ne pas les pénaliser face aux médias aux marques puissantes. Ces derniers devraient d’ailleurs être favorisés par cette nouvelle méthode de classement : les pièges à clics et les sites pourvoyeurs de fake news ont souvent une existence éphémère, ce qui limite leur notoriété, à moins qu’ils ne finissent par être considérés comme peu crédibles quand ils prospèrent dans la durée.

Sources :

  • Post sur Facebook de Mark Zuckerberg, https ://www.facebook.com/zuck/posts/,
    January 19, 2018.
  • « Facebook to Rank News Sources by Quality to Battle Misinformation », Deepa Seetharaman, wsj.com, January 19, 2018.
  • « Les internautes vont noter les médias sur Facebook », Chloé Woitier, Le Figaro, 23 janvier 2018.
  • « Mark Zuckerberg, rédacteur en chef de la planète média », Chloé Woitier, Le Figaro, 6 février 2018.
Professeur à Aix-Marseille Université, Institut méditerranéen des sciences de l’information et de la communication (IMSIC, Aix-Marseille Univ., Université de Toulon), École de journalisme et de communication d’Aix-Marseille (EJCAM)

2 Commentaires

  1. Il y a un mot pour ça, outre celui de tromperie (mensonge, duperie, manipulation), c’est celui de censure.
    Les fausses nouvelles (fake news) ont toujours existé et la démocratie, synonyme de débat, préfère parier sur la responsabilité des citoyens et leur discernement comme sur la confrontation d’idées que sur la répression. Il est évident que ceux qui veulent censurer les fausses nouvelles souhaitent mettre fin à la démocratie, leur vérité étant absolue, irréprochable et incontestable.

  2. Je pense qu’i y a une différence entre « censurer les fausses nouvelles » et « les dénoncer ». Bien sûr les fausses nouvelles ont toujours existé ; mais il n’empêche que jamais elles n’ont atteint une telle audience, auprès d’un public qui les prend parfois pour argent comptant. Or c’est bien de ça dont il s’agit : ne rien censurer, mais dénoncer, tout aussi vite qu’elles émergent, leur caractère faux.

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