Plateforme d’innovation

Une plateforme d’innovation est un lieu physique permettant à une communauté ouverte d’entrepreneurs et d’entreprises, accompagnés ou non par une collectivité, de mettre en commun, de partager des équipements et des ressources afin de favoriser l’innovation à travers de nouvelles pratiques de collaboration. Tiers-lieu, open lab, fab lab, incubateur, accélérateur, maker space, espace de co-working,espace collaboratif : ces nouveaux pôles émergent un peu partout en France avec cette même volonté de constituer autour d’eux des écosystèmes permettant d’échanger, de partager et de « co-créer ».

Le principe de base n’est pas nouveau. Le regroupement d’infrastructures et d’équipements mutualisés existe déjà depuis longtemps à destination des entreprises, qui permet à une communauté d’utilisateurs d’effectuer des travaux de recherche et de développement collaboratifs, des tests, des mises en production de préséries, ou des laboratoires d’usage. Les pôles de compétitivité, créés en France en 2004, avaient déjà pour objectif de relancer une politique industrielle à travers des subventions publiques et un régime fiscal attrayant. En atteste également le financement, en octobre 2008, de trente-quatre plateformes d’innovation créées dans le cadre de deux appels à projets du Fonds unique interministériel (FUI), un programme destiné à soutenir la recherche appliquée, pour aider au développement de nouveaux produits ou services susceptibles d’être mis sur le marché à court ou moyen terme, et cela, dans des domaines aussi variés que les TIC (technologies de l’information et de la communication), la santé, les transports, la chimie ou les matériaux.

Les plateformes d’innovation les plus récentes, par la diversité de leur offre de services, leur positionnement et surtout l’implication des territoires dans leur fonctionnement, témoigne d’un nouvel essor, porté par le numérique en général et par les technologies de l’information et de la communication en particulier. Selon le rapport commandé pour la deuxième année consécutive par l’Innovation Factory et Bpifrance LE LAB, et réalisé par les chercheurs de la chaire newPIC de Paris School of Business, ces plateformes d’innovation se caractérisent par trois dimensions principales : « une communauté d’individus portée par des valeurs et située au cœur des nouvelles démarches d’innovation ; un lieu physique qui cristallise la rencontre, l’émergence de nouvelles pratiques et modèles de collaboration ; et une offre de services au profit des entrepreneurs et des grandes entreprises ».

Certaines plateformes d’innovation détonnent par leur taille (plusieurs dizaines de milliers de mètres carrés), ainsi que par le grand nombre de services qu’elles proposent. Elles constituent tout un écosystème mêlant jeunes pousses et grandes entreprises. La France compte environ une dizaine de ces nouvelles méga-plateformes. La plus ancienne se situe à Lille, quand d’autres sont encore en construction à Mulhouse, à Marseille ou à Lyon. Une seule d’entre elles mérite le titre de « plateforme de plateformes », d’abord par son gigantisme, et surtout parce qu’elle propose, dans un même lieu, des programmes d’accompagnement portés par d’autres plateformes d’innovation : Station F, située à Paris. Les autres plateformes d’innovation, bien ancrées localement, sont réparties sur tout le territoire. Toutes ont en commun de proposer à une communauté d’acteurs peu habitués à travailler ensemble une infra­structure permettant d’échanger et d’innover.

Station F, une plateforme de plateformes

Station F, créée par Xavier Niel et inaugurée le 29 juin 2017, se présente comme le plus grand incubateur de start-up au monde. Elle est répartie sur un campus de 34 000 mètres carrés situé à la place de l’ancienne Halle Freycinet, une gare de fret à l’abandon classée au titre des monuments historiques dans le 13e arrondissement de Paris. Plateforme d’innovation de tous les superlatifs, Station F propose plus de 3 000 stations de travail à l’attention des start-up, vingt-six programmes internationaux d’accompagnement et d’accélération, des espaces événementiels dont un auditorium de 370 places ainsi qu’un restaurant et trois bars. Roxanne Varza, directrice de Station F lors de son inauguration expliquait : « L’idée est que les start-up puissent trouver à Station F tout ce dont elles ont besoin : des programmes d’incubation et d’accélération, des bureaux, un réseau, des experts, l’accès à des investisseurs, à la French Tech ou encore à Bpifrance. » Station F œuvre dans des domaines aussi variés que les technologies de l’information et de la communication, du matériel informatique à l’intelligence artificielle en passant par la Foodtech, mais aussi l’automobile, la santé ou encore les industries créatives. Au sein de l’incubateur ont également été associés des fonds d’investissement, un fab lab (voir La rem n°36, p.62), des imprimantes 3D et des services publics.

Station F est une « plateforme de plateformes » : elle accueille des programmes d’accompagnement dirigés par des plateformes d’innovation tierces. Ainsi, Focus, lancé par l’Usine IO, est un programme d’accélération de six mois pour les start-up industrielles qui se consacrent à l’automobile connectée et autonome. L’Usine IO est un « accélérateur de projets hardware », qui accompagne chaque année 150 projets provenant de start-up, mais aussi de PME, de grandes entreprises et même d’instituts de recherche, avec pour ambition de « passer de l’idée à l’industrialisation ». Autre exemple : Numa, un programme parisien d’accélération de start-up créé en 2011, situé rue du Caire à Paris, a lancé, au sein de Station F, un programme d’accompagnement dédié aux start-up internationales qui souhaitent conquérir le marché français. Quant à Impulse Labs, il s’agit d’un accélérateur de start-up spécialisé dans les « nouvelles formes de mobilité, à la construction et à l’immobilier », qui a lui aussi ouvert un programme d’accélération à Station F afin d’accueillir des start-up pour « co-construire la ville et les infrastructures de demain avec de grands groupes ».

Méga-plateformes

EuraTechnologies à Lille, Darwin à Bordeaux, la cité Créative à Montpellier, The Camp à Aix-en-Provence, Bel Air Camp à Villeurbanne, KM0 à Mulhouse, ICI Marseille, ou encore un tiers-lieu situé au cœur de Lyon qui n’a pas encore de nom, la plupart des grandes métropoles françaises ont ou sont sur le point d’ouvrir leur méga-plateforme d’innovation. Le substantif « méga-plateforme » est employé pour désigner de très grandes plateformes d’innovation dont la portée dépasse le simple territoire où elles sont installées. Parfois accompagnées par la région ou par la ville, elles sont souvent implantées dans des friches industrielles entièrement réhabilitées en espaces de travail et en lieux de vie pour favoriser les échanges entre start-up, entreprises et, parfois, avec des pôles d’enseignement ou de recherche.

Parmi ces méga-plateformes d’innovation, la plus ancienne est EuraTechnologies. Créée en mars 2009, elle est le pôle de compétitivité de la métropole lilloise qui fédère des acteurs du monde de la recherche, de l’enseignement supérieur et des entreprises dans le domaine des technologies de l’information et de la communication. Start-up, TPE, PME, grandes entreprises françaises et étrangères interagissent au sein d’un parc d’activités de 150 000 m2 qui accueillait, en 2017, quelque 200 entreprises représentant 3 500 emplois. Ce parc d’activités héberge cinq laboratoires de recherche dont un laboratoire de l’INRIA, présent depuis 2010, et le CEA Tech – pôle « recherche technologique » du Commissariat à l’énergie atomique –, consacré aux domaines de l’information et de la communication, des énergies nouvelles, de la santé et la biologie. Parmi les établissements d’enseignement supérieur, l’École des hautes études d’ingénieur propose une formation en « informatique et technologies de l’information (ITI) ». Sont également présentes sur le lieu de grandes entreprises spécialisées dans le numérique, comme Capgemini, IBM ou encore Microsoft. À la disposition de tous, des espaces ont été aménagés pour l’organisation d’événements, de forums et de salons liés aux innovations.

EuraTechnologies propose surtout un incubateur d’entreprises permettant chaque année à quelques start-up d’être accompagnées. En 2018, trente-quatre ont été sélectionnées parmi 180 postulants : réparties sur les trois sites – Roubaix pour le commerce connecté, Lille pour les projets hardware et software et Willems pour les AgTech, technologies appliquées à l’agriculture –, elles disposeront d’un délai de 80 jours pour développer un prototype en s’appuyant sur les infra­structures existantes et notamment sur l’écosystème des 200 start-up déjà présentes. À l’issue de cette période d’incubation, douze d’entre elles intégreront le programme d’accélération « Scale », qui vise à accompagner leur montée en puissance.

Le propre d’une plateforme d’innovation est d’animer une communauté en favorisant les échanges et les rencontres in situ entre différents porteurs de projet, grâce à des événements et des outils numériques propices à créer du lien. Ces méga-plateformes offrent donc dans un même cadre, une palette de services orientés vers l’innovation portée par une communauté. Les méga-plateformes sont une spécificité française et l’on peut d’ores et déjà s’interroger sur leur capacité à fédérer un nombre suffisant d’entrepreneurs et de grandes entreprises afin que l’émulation entre une communauté aux profils divers puisse pleinement s’exprimer.

Plateformes et territoires

À côté des méga-plateformes, se répartissent également plusieurs dizaines de plateformes d’innovation ancrées localement. Le Hub Creatic, à Nantes, instaure un lien entre les entreprises innovantes, des établissements d’enseignement supérieur et de recherche comme Polytech’Nantes l’Écoles des Mines ou l’École de Design, et des laboratoires de recherche comme l’Institut des sciences de l’ingénieur en thermique-énergétique et matériaux (ISITEM) ou encore l’Institut départemental d’analyse et de recherche (IDAC). La Cantine by TVT Innovation à Toulon a pour vocation « d’offrir un environnement propice à la création et au développement de l’entreprise innovante dans l’aire toulonnaise, le Var et en Région Provence-Alpes-Côte d’Azur ». The Corner, à Brest, créé par un réseau d’entreprises de taille intermédiaire (ETI) locales, vise à aider au développement de leur territoire. À Lyon, le TUBÀ, porté par l’association Lyon Urban Data, se veut un « lieu d’innovation et d’expérimentation pour la ville de demain ».

Positionnement et offre

Selon le rapport de la chaire newPIC de Paris School of Business, les plateformes d’innovation se distin­guent selon leur positionnement : marchand – (business oriented), social (social business oriented) ou non marchand (not-for-profit). Leurs activités sont orientées tantôt vers des prestations intellectuelles (thinker) ; tantôt au travers d’ateliers de fabrication numérique (maker) avec des machines-outils permettant d’effectuer un prototypage rapide d’objets ou de produits. Enfin, selon les cas, l’accent est mis davantage sur l’animation de communautés et la mise en relation de personnes ou sur la transmission de savoirs à travers des activités de formation, de conseil et d’accompagnement à l’utilisation des machines.

Les plateformes adoptant un positionnement marchand ont pour vocation d’accompagner des start-up motivées par la rentabilité mais également de participer à la transformation d’entreprises existantes, avec des variantes : « Dans le cas d’EuraTechnologies, The Corner, Alsace digitale, Cantine by TVT innovation, il s’agit d’accompagner l’innovation, la transformation numérique des entreprises et contribuer à la création de nouvelles firmes sur le territoire alors que pour Metropulse et Tuba, il s’agit d’accompagner le développement de nouveaux services pour la ville par les startups comme par les grands groupes. Dans d’autres cas, les plateformes d’innovation visent à la création de projets entrepreneuriaux en proposant de l’incubation, l’accélération et/ou des services mutualisés comme pour Hemera, Bel Air Camp ou Station F. Enfin, You Factory et Make It Marseille, sont orientées vers une nouvelle manière de produire et prototyper en s’appuyant sur l’industrie créative. »

Les plateformes d’innovation sociale, comme The Camp ou Darwin, s’inscrivent dans une démarche à fort impact social. The Camp espère que « les découvertes que nous ferons en chemin nous permettront d’inventer le futur de l’alimentation, la santé, la mobilité, l’éducation, l’environnement… » afin « d’explorer des solutions pour un futur humain et durable ». À Darwin, tous les acteurs sont engagés « dans la transition écologique face au péril climatique, à l’effondrement de la biodiversité, à la raréfaction des ressources, à la prolifération des risques ».

Quant aux plateformes d’innovation qui adoptent un positionnement non marchand, comme Myne à Lyon ou La Fabrique à Strasbourg, elles ont en premier lieu la volonté d’accompagner des projets citoyens ou de former à la manipulation des machines-outils présentes dans des fab labs.

On peut d’ailleurs distinguer également les plateformes d’innovation selon qu’elles disposent ou non d’un fab lab ou d’un tech lab, tiers-lieu de type « marker space » – un endroit où l’on fait –, c’est-à-dire un atelier mettant à la disposition des participants des outils de fabrication d’objets assistée par ordinateur, avec l’accompagnement de professionnels aidant ou formant à ces nouvelles machines. Station F et l’ensemble des méga-plateformes d’innovation proposent un fab lab. Ces ateliers de prototypage occupent même une place centrale pour certaines plateformes, comme You Factory, Make it Marseille ou encore La Fabrique à Strasbourg.

Financement et modèle d’affaires

Face à la diversité de ces plateformes d’innovation, se pose enfin la question de leur mode financement et de leur modèle d’affaires. L’ancrage territorial des plateformes d’innovation implique des financements et un modèle d’affaires alliant à la fois des fonds publics et des fonds privés. L’implication des collectivités locales au financement des plateformes d’innovation est passée d’une logique de subvention à une logique de marchés publics. Elles mettent en œuvre des politiques locales d’accompagnement visant à la transformation numérique des entreprises, à l’innovation urbaine ou territoriale, misant sur le développement de ces plateformes comme levier pour la création d’emplois. Néanmoins toutes les plateformes ne bénéficient pas de subventions, à l’instar de Darwin à Bordeaux qui réalise un chiffre d’affaires d’environ dix millions d’euros, comptant sur la diversité de leur offre : coworking, lieux de restauration, événementiel, productions artistiques et culturelles.

Le modèle d’affaires des plateformes d’innovation dépendra de leur positionnement et du type de services qu’elles offrent, quoique « toutes travaillent avec des flux de revenus parallèles et complémentaires, liés à des services rendus à leurs communautés, aux startups et aux grands comptes ».

Comment expliquer un tel foisonnement de plateformes d’innovation, de plus en plus grandes ? Sans doute, leur capacité à attirer autant d’entrepreneurs tient à l’hétérogénéité de la communauté qui s’y retrouve et à la volonté de chacun à collaborer. Avec un bémol cependant, « plus il y a de monde, moins on se connaît intimement, alors on ne s’entraide plus. Dès que les liens entre les incubés deviennent faibles, l’essence même de la plateforme d’innovation se casse la figure ». Les plateformes d’innovation constituent, pour le moins, un rouage essentiel pour de nouvelles formes de coopétition, (alliance de compétition et de coopération) entre start-up, entreprises, pôles d’enseignement et laboratoires de recherche.

Sources :

  • « Bordeaux : Philippe Barre invente un nouveau modèle économique à Darwin », Nicolas César, SudOuest.fr, 6 janvier 2016.
  • « L’exploitant du lieu Totem de Lyon désigné », Lamia Barbot, LesEchos.fr, 15 février 2017.
  • « Avec Station F, Xavier Niel s’impose comme figure incontournable du monde des start-up », Leila Marchand, LesEchos.fr, 29 juin 2017.
  • « Station F, un mini-écosystème d’innovation dans la ville », Sylvain Rolland, LaTribune.fr, 29 juin 2017.
  • « Mulhouse passe à l’heure numérique », Alain Piffaretti, LeMonde.fr, 18 novembre 2017.
  • Créer et innover aujourd’hui en Île-de-France : le rôle des plateformes d’innovation dans les écosystèmes régionaux, rapport d’étude commandé par Innovation Factory et BPI France Le Lab, Valérie Merindol, David W. Versailles, Nicolas Auboin, Alexandra Lechaffotec et Ignasi Capdevila, Chaire newPIC, Paris School of Busines, presse.bpifrance.fr, février 2018.
  • « Les plates-formes d’innovation font le lien entre les start-up et les PME », Julie Chauveau, LesEchos.fr, 23 mars 2018.
  • « L’émergence des méga-plateformes d’innovation signe-t-elle la fin de l’esprit collaboratif ? » Melissa Carles, Netpme.fr, 26 mars 2018.
Docteur en sciences de l’information et de la communication, enseignant à l’Université Paris-Panthéon-Assas, responsable des opérations chez Blockchain for Good

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