Des avancées jurisprudentielles et légales dans la lutte contre le cyberharcèlement

La lutte contre le cyberharcèlement a été sous les feux de l’actualité pendant les mois de juillet et d’août 2018. Trois personnes reconnues coupables de menaces de mort en ligne ont ainsi été condamnées à des peines de prison avec sursis. Le délit général de harcèlement moral a également été précisé par la loi du 3 août 2018, afin de mieux appréhender les campagnes de cyberharcèlement.

Le développement de la communication en ligne, et plus particulièrement du web 2.0, a mis, à la disposition du plus grand nombre, des moyens d’expression sans commune mesure. Ceux-ci sont bien sûr bénéfiques pour l’exercice de la liberté d’expression mais ils engendrent également leur lot d’abus et de dérives.

Tel est le cas du trolling, pratique consistant à diffuser, dans des espaces de contributions personnelles, des messages volontairement provocateurs et sans lien avec le sujet. Ceux-ci sont très souvent des messages de haine, à caractère raciste, antisémite ou antiféministe, et sont diffusés par des individus relevant de mouvements complotistes et d’extrême-droite. Le trolling peut cependant prendre d’autres formes, comme celle du cyberharcèlement. Il consiste alors à diffuser massivement des messages visant une personne nommément identifiée, en multipliant les atteintes à sa vie privée et à sa réputation, telles que des injures et diffamations, des montages photographiques, des menaces de mort ou de violence ou encore des divulgations de données (adresse physique, nom des enfants…).

De véritables campagnes peuvent être élaborées à ces fins par des dizaines d’individus, lesquels se croient en totale impunité derrière le voile de leur identité numérique. Les conséquences de ces « raids » dépassent pourtant les frontières du cyberespace ; outre le préjudice moral, qui peut pousser certaines victimes au suicide, d’autres subissent des atteintes et intimidations physiques. Aussi, de multiples délits permettent de réprimer ces pratiques protéiformes. La lutte contre le cyberharcèlement s’est d’ailleurs renforcée avec la loi du 3 août 2018.

La condamnation de trois trolls pour des faits de cyberharcèlement

La profusion des informations disponibles en ligne et la rapidité de réaction expliquent que certains adeptes du trolling ne semblent pas avoir conscience de la gravité de leurs propos ni des poursuites judiciaires auxquelles ils s’exposent. C’est ce dont trois trolls ont fait les frais au mois de juillet.

Les faits concernaient la journaliste Nadia Daam, qui avait accusé le forum « 18-25 » du site jeuxvideo.com d’être une « poubelle à déchets non recyclables ». Le site est en effet connu pour les nombreuses campagnes de trolling qui y sont menées, les règles de modération ayant souvent été jugés trop laxistes1. Et c’est pourquoi la journaliste a elle-même été victime d’une vaste campagne de cyberharcèlement destinée à se « venger » de ses propos. De nombreux messages comportant des injures, menaces de mort ou de viol, des montages photographiques l’ont visée personnellement ainsi que sa fille, dont l’identité a été divulguée. Ses comptes de réseaux sociaux ont également été piratés et son domicile cambriolé. Deux individus ayant pris part à cette campagne ont pu être identifiés et ont été condamnés à six mois de prison avec sursis et 2 000 euros de dommages et intérêts pour menaces de mort par le tribunal correctionnel de Paris, dans un jugement en date du 3 juillet 2018. Un troisième individu a été arrêté à la suite d’un signalement Pharos, pour avoir publié de nouveaux messages après le jugement précité. Il sera lui-même condamné à six mois de prison avec sursis et 180 heures de travaux d’intérêt général le 7 juillet par le tribunal correctionnel de Bobigny, qui a statué en comparution immédiate.

Si les trois hommes ont reconnu les faits et présenté des excuses, ils ont également admis ne pas avoir mesuré la portée de leurs messages. Le trolling semblait être pour eux une sorte de jeu codifié, interne aux forums de discussion, le défi consistant à se faire remarquer avec les termes les plus outranciers. L’un d’eux a même confessé ne pas connaître l’origine de la campagne à laquelle il avait pris part. Cela prouve à quel point certains espaces numériques de discussion peuvent être déconnectés de la réalité. Outre les abus, ces pratiques attestent d’une certaine déshumanisation de la liberté d’expression.

Les multiples facettes du cyberharcèlement

Si l’on identifie le cyberharcèlement comme une série de messages agressifs diffusés de manière répétitive et/ou massive, son appréhension par le droit se fait au travers de multiples infractions. Celles-ci correspondent en fait à la diversité des messages qui peuvent être employés dans une campagne de cyberharcèlement. Le code pénal en contient un certain nombre. On pense notamment aux menaces (art. 222-17 et s.), à l’enregistrement et diffusion d’images de violence (art. 222-33-3), à la provocation au suicide (art. 223-13 et s.), ou encore aux atteintes à la personnalité, notamment à la vie privée et à la représentation de la personne (art. 226-1 et s.). La loi du 29 juillet 1881 peut également être mobilisée au titre des provocations aux crimes et délits, notamment les incitations à la haine, à la violence ou à la discrimination à l’égard d’une personne ou d’un groupe de personnes (art. 23 et s.), ou des injures et diffamations publiques (art. 29 et s.).

Mais le cyberharcèlement peut également être appréhendé par le délit général de harcèlement moral, figurant à l’article 222-33-2-2 du code pénal, qui a été créé par la loi du 4 août 2014 pour l’égalité réelle entre les femmes et les hommes. Celui-ci sanctionne d’un an de prison et de 15 000 euros d’amende « le fait de harceler une personne par des propos ou comportements répétés ayant pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de vie se traduisant par une altération de sa santé physique ou mentale », les peines étant doublées lorsqu’il est fait usage d’un service de communication au public en ligne et triplées lorsque l’infraction s’accompagne d’une autre circonstance aggravante (notamment lorsque la victime est un mineur de moins de quinze ans ou une personne vulnérable). Bien qu’il vise spécifiquement les cas de cyberharcèlement, ce délit a pu être critiqué en raison de ses imprécisions et de sa proximité avec d’autres infractions, telle que le harcèlement téléphonique (art. 222-16 du code pénal)2. Il permet cependant d’appréhender des messages qui ne seraient pas constitutifs d’infractions pris isolément, ainsi que de rapporter plus facilement la preuve des agissements litigieux3.

Ce délit vient d’être précisé par la loi du 3 août 2018 renforçant la lutte contre les violences sexuelles et sexistes4. L’infraction est ainsi établie lorsque « les propos ou comportements sont imposés à une même victime par plusieurs personnes, de manière concertée ou à l’instigation de l’une d’elles, alors même que chacune de ces personnes n’a pas agi de façon répétée » ou lorsqu’ils « sont imposés à une même victime, successivement, par plusieurs personnes qui, même en l’absence de concertation, savent que ces propos ou comportements caractérisent une répétition ». La circonstance aggravante relative à l’usage d’un service de communication au public en ligne est complétée de l’usage de tout « support électronique ou numérique ».

L’expérience, et notamment le cas précité de Nadia Daam, prouve que le cyberharcèlement n’emprunte pas toujours les voies des services de communication publique, et peut inclure des moyens de communication privée ou des usurpations de comptes. Le délit pourra donc s’appliquer aux campagnes et autres « raids » orchestrés par les trolls, bien qu’il conserve toujours une certaine proximité avec d’autres infractions, dont certaines sont aussi sévèrement sanctionnées. On peut espérer que ces évolutions légales ainsi que les condamnations précitées serviront d’avertissement aux adeptes de ces pratiques, qui ne se limitent pas aux milieux scolaires.

Sources :

  1. « Blabla 18-25 ans, un forum de Jeuxvideo.com peu à peu noyauté par des trolls », lexpress.fr, 3 novembre 2017.
  2. « Mérites ou démérites du délit général de harcèlement moral créé par la loi du 4 août 2014 ? », Delphine Chauvet, D, 2015, p. 174 ; « Commentaire de la loi pour l’égalité réelle entre les femmes et les hommes n° 2014-873 du 4 août 2014 », REGINE, D., 2014, p. 1895.
  3. « Le cyberharcèlement, une infraction adaptée à la protection de la jeunesse en ligne », Pauline Leger, Dalloz IP/IT, juin 2018, p. 346.
  4. « Loi du 3 août 2018 renforçant la lutte contre les violences sexuelles et sexistes », Véronique Tellier-Cayrol, AJ pénal, 2018, p. 400.
Professeur de droit privé à Aix-Marseille Université et directeur adjoint du Laboratoire interdisciplinaire de droit des médias et des mutations sociales (LID2MS).

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