Brexit : les implications pour le secteur audiovisuel

Ce rapport vient compléter une première publication de l’Observatoire européen de l’audiovisuel parue en mai 2018 et intitulée « Le contexte du Brexit : la place du Royaume-Uni dans le marché audiovisuel de l’UE 28 », dont le propos était d’offrir une vision globale du poids du Royaume-Uni au sein des marchés audiovisuels de l’Union européenne. Le présent rapport poursuit cette analyse en abordant les aspects juridiques de cette question ; une conférence, tenue le 27 novembre 2018 à Bruxelles, venant conclure cette étude. L’Observatoire européen de l’audiovisuel s’est ainsi attaché à évaluer l’impact du Brexit et de ses répercussions juridiques, aussi bien pour le Royaume-Uni que pour l’UE, en décrivant selon les différents scénarios envisageables les grandes lignes du cadre juridique qui cessera de s’appliquer le 30 mars 2019 à minuit.

En premier lieu, les auteurs rappellent que le Royaume-Uni occupe une place majeure au sein des marchés cinématographique et audiovisuel de l’UE, pour la production comme pour les exportations (au deuxième rang de l’Union après la France). Il est le pays d’établissement de la majorité des chaînes de télévision et des services à la demande répertoriés au sein de l’UE. Le secteur audiovisuel y emploie une main-d’œuvre qualifiée et mobile importante.

Le Royaume-Uni est sans équivoque le plus grand marché audiovisuel au sein des 28 États membres de l’Union européenne. Il contribue à 21 % des recettes de l’audiovisuel dans l’UE, tout en comptant seulement 12 % des foyers équipés de téléviseurs. Son marché est de taille comparable à celui de l’Allemagne et nettement supérieur à celui de la France (+ 45 %). Les groupes de médias établis au Royaume-Uni constituent près de 30 % du chiffre d’affaires des 100 premières entreprises audiovisuelles de l’UE, contre 13 % pour l’Allemagne comme pour la France. Le Royaume-Uni produit à lui seul 16 % des films de l’UE et se classe à la deuxième place, après la France, pour la fréquentation en salle, avec une moyenne de 168 millions d’entrées entre 2011 et 2016. Toutefois les films des pays de l’UE totalisent à peine 2 % de leurs entrées mondiales dans les salles de cinéma britanniques. En Europe, 29 % des chaînes de télévision et 27 % des services à la demande sont établis au Royaume-Uni. Deux chaînes de télévision sur cinq, établies au Royaume-Uni, ciblent principalement un autre marché européen, et près de 60 % de l’ensemble des chaînes européennes diffusant vers un autre pays sont établies au Royaume-Uni. Il est, après la France, le deuxième exportateur de films de cinéma et de télévision européens et le premier exportateur de films en télévision à la demande (TVoD).

En 2017, les industries créatives comptaient près de deux millions d’emplois (+ 28,6 % depuis 2011), soit 6,1 % du nombre total d’emplois au Royaume-Uni. À lui seul, le secteur de l’audiovisuel comptait 206 000 emplois en 2017 (0,6 % du total) dont 15 000 ressortissants de l’Union européenne non britanniques (7,2 %), correspondant à une main-d’œuvre mobile, indépendante et hautement qualifiée, ce qui a attiré notamment les productions internationales sur son territoire.

Le secteur britannique du cinéma et de l’audiovisuel a jusqu’ici bénéficié de diverses sources de financement de l’Union européenne. Le rapport en décrit la diversité, le plus connu étant le sous-programme MEDIA Europe créative (qui a succédé au programme MEDIA) de la Commission européenne. D’après une étude commandée par le British Film Institute (BFI), 1 766 projets ont reçu au total 507 millions d’euros pendant la période 2007-2017, un montant alloué notamment à l’industrie cinématographique, au secteur numérique, aux jeux vidéo et à l’industrie télévisuelle. Pour pallier ce déficit de financement après le Brexit, le chancelier de l’Échiquier a indiqué aux différentes parties prenantes, dès août 2016, que le Trésor britannique se porterait garant de l’ensemble des projets bénéficiant de fonds structurels et d’investissement en provenance de l’Union européenne, et ce même après la sortie du Royaume-Uni.

Le deuxième chapitre passe en revue les principaux textes législatifs européens relatifs aux industries audiovisuelles et décrit les répercussions potentielles du Brexit sur le plan juridique, tant au Royaume-Uni que dans le reste de l’Union européenne. Il s’agit notamment de la directive Services de médias audiovisuels, de la législation sur le droit d’auteur ou encore de celle applicable au commerce électronique. Après le Brexit, chaque État membre de l’Union européenne pourra restreindre la réception et la retransmission des services de médias audiovisuels en provenance du Royaume-Uni. Le cadre réglementaire applicable au Royaume-Uni sera la Convention européenne sur la télévision transfrontière du 5 mai 1989 (CETT), qui établit des règles minimales pour la libre circulation des programmes de télévision transfrontière en Europe, dans les domaines de la programmation, de la publicité, du parrainage et de la protection de certains droits individuels. Les dispositions de l’Union européenne en matière de droit d’auteur ne s’appliqueront plus : les principaux traités internationaux, auxquels le Royaume-Uni et l’Union européenne sont tous deux parties prenantes, régiront les relations entre ces deux espaces en la matière.

Le troisième chapitre aborde des questions prioritaires qui vont se poser aux autorités britanniques. La loi relative au retrait de l’Union européenne de 2018 – European Union (Withdrawal) Act 2018 – adopte en juin 2018, transcrit en droit national l’ensemble de la législation dérivée de l’Union européenne, afin d’éviter l’apparition de vides juridiques. L’une des principales préoccupations du Royaume-Uni concerne la liberté de circulation, l’emploi des travailleurs qualifiés issus de l’Union européenne, ainsi que la souplesse des modalités de recrutement de la main-d’œuvre du secteur audiovisuel. L’absence d’accord pourrait compromettre la capacité du Royaume-Uni à recruter et attirer des professionnels hautement qualifiés, ce qui aurait pour conséquence de dissuader les productions internationales, notamment américaines, à investir sur le territoire. Une autre préoccupation majeure du Royaume-Uni concerne le principe du « pays d’origine », sur lequel repose le marché unique des services de médias audiovisuel de l’Union européenne. Selon ce principe, les fournisseurs de services de médias audiovisuels sont soumis au droit et à la compétence de l’État membre dans lequel ils sont établis, faisant du Royaume-Uni l’un des pays les plus attirants pour les sièges européens des radiodiffuseurs mondiaux. Un accord bilatéral avec l’Union européenne permettrait au Royaume-Uni de rester membre du marché unique selon les modalités du principe du pays d’origine mais, pour l’heure, rien n’est moins sûr.

Enfin, si les diffuseurs et services de VOD britanniques ne seront plus tenus de respecter les quotas d’œuvres européennes imposés par la directive SMA, les œuvres créées au Royaume-Uni seront également exclues des quotas nationaux en faveur des programmes produits dans l’Union européenne.

Le quatrième chapitre examine les mêmes questions prioritaires qu’au chapitre précédent, mais cette fois-ci du point de vue des acteurs du secteur de l’audiovisuel. Les inquiétudes concernent principalement la mobilité des travailleurs qualifiés, les questions relatives à l’accès au marché de l’Union européenne et aux financements en provenance de celle-ci, ainsi que les mesures d’incitation en faveur des coproductions et les modalités qui permettront de garantir la protection du droit d’auteur. Les acteurs du secteur proposent une série d’actions à mettre en œuvre afin de remédier à ces incertitudes, assortie d’une période d’adaptation. Parmi les mesures envisagées figure le triple critère suggéré par le régulateur britannique, l’Ofcom (Office of communications), permettant de déterminer la législation de l’Union européenne susceptible de continuer à s’appliquer au Royaume-Uni dans les secteurs règlementés : les intérêts des consommateurs britanniques, la promotion de la concurrence et de l’investissement et, enfin, les intérêts des entreprises britanniques.

Le cinquième chapitre tente d’anticiper l’application de l’accord et le règlement des litiges qui naîtront après le Brexit. Même si le gouvernement britannique a déclaré à plusieurs reprises que le Brexit marquerait la fin de la compétence directe de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) au Royaume-Uni, une nécessaire période de transition permettrait de former la base d’un nouveau régime visant à articuler la future législation britannique et la résolution des litiges avec le système juridique de l’Union européenne ; ce à quoi la Commission européenne n’a pas encore répondu.

Intitulé « Dans l’attente d’un accord », le sixième et dernier chapitre illustre la difficulté de tout exercice d’anticipation, puisque le débat entre un Brexit « mou » ou « dur » n’est pas encore tranché. Des « écarts de réciprocité » pourraient apparaître dans de nombreuses réglementations du secteur audiovisuel. En effet, même si le droit britannique post-Brexit reflète les dispositions de l’Union européenne, chaque État membre sera libre de considérer ou non le Royaume-Uni comme un « pays tiers ». Ces « écarts de réciprocité » auront notamment pour conséquence d’inciter les diffuseurs ayant leur siège au Royaume-Uni à quitter le territoire afin de continuer à bénéficier du marché unique européen.

Le Royaume-Uni est sur le point de perdre l’accès au marché intérieur européen et de mettre fin à la liberté de circulation garantie au sein de celui-ci. Le rapport, très riche, ne peut que relever l’extrême incertitude tenant aux innombrables problèmes soulevés par le Brexit, lesquels, dans l’attente de la signature d’un accord définitif, restent actuellement sans solution.

Brexit : les implications pour le secteur audiovisuel, Francisco Javier Cabrera Blázquez, Maja Cappello, Gilles Fontaine, Julio Talavera Milla, Sophie Valais, IRIS Plus, Observatoire européen de l’audiovisuel, Strasbourg, 2018.

Docteur en sciences de l’information et de la communication, enseignant à l’Université Paris-Panthéon-Assas, responsable des opérations chez Blockchain for Good

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