Microsoft, IBM : le logiciel libre s’impose chez les géants de l’informatique

En s’emparant respectivement de GitHub et de RedHat, Microsoft et IBM ont révélé l’enjeu stratégique de l’open source. À chaque fois, c’est le succès du cloud hybride qui justifie l’intérêt pour les langages informatiques ouverts.

Les rachats successifs de GitHub par Microsoft et de RedHat par IBM témoignent de l’intérêt nouveau des grands groupes logiciels et informatiques pour l’open source, cet intérêt s’expliquant notamment par le succès du cloud dit hybride. Ainsi, quand Microsoft annonce le 4 juin 2018 avoir procédé au rachat de GitHub pour 7,5 milliards de dollars, les défenseurs de l’open source sont confrontés à un renversement complet de perspective. En effet, en 2001, Steve Ballmer, le précédent PDG de Microsoft, avait tout simplement qualifié de « cancer », Linux, le système d’exploitation dérivé de l’open source et seul véritable concurrent de Windows à l’époque.

Pour Satya Nadella, arrivé à la tête du groupe en 2014, les choses sont à l’évidence toutes différentes. L’open source consiste à partager le code informatique et à en autoriser la modification par des tiers. Il s’oppose donc aux logiciels propriétaires et à tous les langages brevetés qui imposent aux développeurs de verser une redevance pour leur utilisation. Les défenseurs de l’open source mettent en avant la transparence des dispositifs informatiques, la possibilité d’un travail communautaire sur le code, donc aussi la capacité de cette communauté à identifier rapidement les failles dans un programme informatique. Ce sont ces principes qui ont présidé à la création de GitHub en 2008, lequel propose une plateforme collaborative où les développeurs indépendants comme ceux qui travaillent pour des entreprises peuvent mettre leur code à la disposition de tous, le code pouvant ensuite bénéficier d’améliorations de la part d’autres développeurs. GitHub fédère ainsi en 2018 quelque 28 millions d’utilisateurs et héberge plus de 85 millions de projets informatiques. Cette communauté stratégique a retenu l’attention de Microsoft qui s’est engagé, à travers Satya Nadella, « pour la liberté des développeurs, l’ouverture et l’innovation ».

Cet engagement reflète la mutation de Microsoft qui, après avoir été menacé par la montée en puissance des Gafa sur ses domaines historiques d’activité, est désormais engagé dans une transformation stratégique qui donne la priorité au cloud et à l’intelligence artificielle. Microsoft a en effet vu son avantage stratégique sur le marché du PC s’effriter progressivement, même si Windows reste incontournable : Apple a fait du mobile le premier moyen de se connecter à l’internet et Google a prouvé avec Chrome OS qu’il est désormais possible de basculer ses logiciels dans le cloud sans devoir gérer localement un disque dur et la mise à jour des logiciels qui y sont installés. La fin du PC comme terminal central au sein des foyers a bien été prise en considération par Microsoft qui a d’ailleurs repensé son organisation début 2018. La division « Windows et terminaux » a disparu et le groupe a réorganisé ses activités autour de trois entités. La division « Expérience et terminaux » accueille Windows, lequel est désormais pensé pour tous les types de terminaux depuis Windows 10 (voir La rem, n°34-35, p.49), d’où l’idée d’expérience unique. La division « IA et recherche » prend en charge la R&D (Recherche et développement). La division « Cloud et Platforme d’IA » assurera le développement des activités de croissance : les solutions de cloud computing de Microsoft, dont l’offre d’hébergement Azure, étant en train de reconfigurer les équilibres au sein du groupe.

En effet, le cloud computing affiche chez Microsoft des résultats exceptionnels. Au dernier trimestre de l’exercice 2018, le chiffre d’affaires issu de la location de logiciels en ligne est en hausse de 61 % pour Dynamics 365 (gestion de la relation client) et de 38 % pour Office 360, Microsoft étant le numéro 1 mondial sur ce segment du cloud, devant Salesforce, Adobe, Oracle et SAP. La hausse du chiffre d’affaires est encore plus impressionnante pour les activités de stockage réunies dans Azure qui croît de 89 % en 2018. Ces performances permettent à Microsoft de remettre progressivement en question la domination d’Amazon dans ce segment du marché du cloud computing.

Début 2016, Microsoft ne contrôlait que 7 % du marché des infrastructures cloud, derrière Amazon avec 33 %. Mi-2018, la part de marché de Microsoft est montée à 13 %, soit quasiment un doublement, tandis que stagnait celle d’Amazon. Cette performance de Microsoft se traduit d’ailleurs en Bourse : en novembre 2018, Microsoft est redevenu la première capitalisation boursière au monde, une place qu’il avait occupée pour la dernière fois en 2003.

Le succès d’Azure repose chez Microsoft sur le cloud hybride qui associe de l’hébergement de données dans des data centers gérés par Microsoft et l’installation de serveurs directement chez le client pour la partie des données qu’il ne veut pas externaliser. Ce cloud hybride relie entre eux des « nuages » logés dans des infrastructures différentes, ce qui suppose une certaine ouverture logicielle pour assurer l’interopérabilité entre des infrastructures différentes. C’est cette interopérabilité que garantit Microsoft depuis 2014 et l’intégration de Linux dans son offre, en plus des seuls langages Microsoft. Le logiciel libre est donc pour Microsoft l’occasion d’un élargissement de sa palette de services qui lui permet par ailleurs de ne pas isoler les serveurs Azure au sein des infrastructures du cloud. Le rachat de GitHub s’inscrit dans cette dynamique.

Avec GitHub, Microsoft compte élargir son offre de services pour le cloud en amenant sur la plateforme collaborative les développeurs d’entreprise. Ces derniers pourront imaginer ensuite des outils open source compatibles avec les services de Microsoft, qu’il s’agisse d’Azure ou des autres outils professionnels proposés par Microsoft. En tant qu’outils open source, ils seront susceptibles d’être distribués également dans des environnements hybrides. D’ailleurs, Microsoft a depuis 2017 fermé sa plateforme maison de dépôt de codes, baptisée CodePlex, afin de basculer sur GitHub pour intéresser à ses projets une communauté plus large de développeurs.

La même logique a présidé au rachat de RedHat, mais elle est cette fois-ci beaucoup plus structurante. En effet, RedHat n’est pas une plateforme collaborative : c’est le numéro 1 mondial de l’open source, spécialisé notamment dans les logiciels pour les entreprises. Ainsi, le cœur de l’activité de Red Hat est historiquement un système d’exploitation dérivé de Linux, ce qui l’a placé sur le marché des serveurs qu’il complète aujourd’hui par du cloud hybride. C’est cette expertise qu’IBM a rachetée pour 34 milliards de dollars le 28 octobre 2018. En effet, IBM voit son chiffre d’affaires baisser depuis 2012 et doit donc sortir de son seul cœur de métier, le marché des services informatiques pour les entreprises. Le groupe a lancé une division « Initiatives stratégiques » pour développer ses activités dans l’analyse de données et le cloud hybride. Pour IBM, le rachat de RedHat lui permettra de renforcer ses activités dans le cloud hybride et de se positionner sur l’open source, deux marchés où la croissance est au rendez-vous. Les premiers résultats de ce repositionnement se constatent en 2018 lorsqu’IBM a pour la première fois depuis 2011 publié des résultats en croissance, tant pour le chiffre d’affaires que pour le bénéfice opérationnel.

Sources :

  • « Microsoft casse sa tirelire pour séduire les rois du code », Florian Dèbes, Les Echos, 5 juin 2018.
  • « Microsoft acquiert GitHub pour 7,5 milliards de dollars », Ingrid Vergara, Le Figaro, 5 juin 2018.
  • « Microsoft reconfigure sa stratégie autour de l’intelligence artificielle », Xavier Biseul, Le Figaro, 18 juin 2018.
  • « Microsoft franchit la barre des 100 milliards de dollars de chiffre d’affaires », Anaïs Moutot, Les Echos, 23 juillet 2018.
  • « Les éditeurs historiques tirent leur épingle du cloud », Nicolas Richaud, Sébastien Dumoulin, Les Echos, 5 octobre 2018.
  • « Pourquoi IBM rachète Red Hat pour 34 milliards de dollars », Lucie Ronfaut, lefigaro.fr, 29 octobre 2018.
  • « Pourquoi IBM lâche 34 milliards de dollars dans Red Hat, géant de l’open source », latribune.fr, 29 octobre 2018.
  • « Avec RedHat, IBM acte la première méga-acquisition de l’open source », Florian Dèbes, Les Echos, 30 octobre 2018.
  • « Microsoft détrône Apple et règne de nouveau sur Wall Street », Patrick Fray, Nicolas Rauline, Les Echos, 28 novembre 2018.
  • « Après sept ans, IBM renouve avec la croissance », Ingrid Vergara, Les Echos, 24 janvier 2019. 

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