DAB+ : les acteurs français se mobilisent alors que la 5G broadcast est annoncée

En lançant un appel national pour une diffusion en DAB+, le CSA est parvenu à attirer les radios nationales. Mais le succès tardif de cette technologie s’apparente plus, pour les grands réseaux, à une stratégie d’évitement des concurrents venues du numérique.

Annoncée depuis le début des années 2000, lancée difficilement en 2014 dans trois grandes villes, Paris, Marseille et Nice (voir La rem n°32, p.30), la radio numérique terrestre (RNT) tient enfin sa revanche. Il aura toutefois fallu que le Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) revoie en profondeur sa stratégie d’attribution des fréquences, qui reposait historiquement sur l’ouverture du réseau ville par ville, avec des fréquences pénétrant dans les maisons et se substituant potentiellement à la diffusion FM. À chaque fois, les grandes radios nationales ont boudé les appels à candidatures, refusant de supporter le coût d’une double diffusion et de soutenir une technologie qui favorise l’arrivée de nouveaux concurrents dans les foyers. Ainsi, le dernier appel à candidatures de ce type a concerné en 2016 les villes de Lille, Lyon et Strasbourg. Attribuées en 2017, les fréquences ont bénéficié d’abord à des radios associatives, ainsi qu’à Radio FG qui cherche avec la RNT à tisser un réseau national. Autant dire qu’aucun des grands réseaux nationaux ne misaient sur la RNT il y a de cela deux ans à peine.

Convaincu de l’inefficacité de sa stratégie, le CSA a opté pour une refonte des appels à candidatures afin de permettre enfin le déploiement de la RNT en France, la technologie retenue étant le DAB+ (Digital Audio Broadcasting), le nom venant remplacer le terme de RNT (radio numérique terrestre). Ce dernier rappelle les déboires historiques de ce mode de diffusion et pourrait laisser penser que la RNT va, comme la TNT, remplacer la diffusion analogique. Ce ne sera pas le cas en France. À l’inverse des pays qui ont misé sur un basculement en tout numérique, à l’instar de la Norvège début 2017 (voir La rem n°36, p.16), le CSA considère le DAB+ comme une technologie complémentaire de la bande FM. Cette complémentarité a été confirmée par le lancement d’un nouvel appel d’offres en juillet 2018 qui repose sur un « plan des nœuds et des arcs » visant à déployer le DAB+ en France entre 2018 et 2020. Les nœuds sont les grands centres urbains, les arcs les grands axes de transport qui les relient entre eux, ce qui permet de faire émerger un réseau national de DAB+ aligné sur la démographie et qui s’impose véritablement en complémentarité de la bande FM. En effet, si le DAB+ apporte une meilleure qualité d’écoute, jamais cet argument n’a mobilisé les auditeurs. En revanche, le DAB+ permet d’écouter sans coupure une radio quand la diffusion FM suppose de changer de fréquences lors d’un trajet entre deux grandes villes, avec souvent des parties du trajet non couvertes. Dans ce cas, le DAB+ apporte un avantage supplémentaire à la diffusion radio, y compris pour un réseau national.

Un premier appel à candidatures dit « métropolitain » a été lancé en 2018 dans le cadre de la stratégie des nœuds et des arcs. Clos le 21 novembre 2018, il s’est caractérisé pour la première fois par la candidature des grands radios nationales : Europe 1, Virgin Radio et RFM (Lagardère), RTL, RTL2 et Fun Radio (Groupe M6), RMC et BFM Business (NextRadioTV), NRJ, Nostalgie, Rire et Chansons, Chérie FM (Groupe NRJ). Le DAB+ ne sera donc plus une technologie alternative à l’offre FM de radio, mais bien un second réseau de diffusion qui accueillera en outre de nouvelles radios, l’offre de fréquences étant plus large qu’en FM.

Les constructeurs devront inclure le DAB+ dans tous les récepteurs radio dans les 18 mois suivant la couverture en DAB+ d’au moins 20 % du territoire, ce qui est le cas depuis fin 2018 avec l’ouverture de la RNT à Lille, Lyon et Strasbourg. L’objectif est évidemment d’augmenter le taux d’équipement en DAB+ en France, limité à 8 % en 2018. Pour les grandes radios, il faudra par ailleurs financer une double diffusion, la couverture du territoire en DAB+ coûtant au moins un million d’euros par an. Il va sans dire que cet investissement ne sera rentabilisé qu’à la condition d’une augmentation importante du nombre des récepteurs compatibles, laquelle devrait se produire durant les années 2020. Par ailleurs, l’appel à candidatures ne concernant que les radios privées, Radio France devra se positionner à l’égard du DAB+. Il semble désormais difficile pour les stations du service public de ne pas rejoindre cette technologie portée par le CSA et d’y laisser prospérer les seules stations privées.

Toutefois, la question se pose du bien-fondé de ce choix technologique. Évidente au début des années 2000, l’utilité d’un réseau national complémentaire de la FM et de son maillage inégal du territoire l’est en effet beaucoup moins en 2020. La couverture du territoire en 4G, et demain en 5G, permet en effet une écoute de la radio depuis l’internet. S’ajoute le fait de pouvoir diffuser la radio numérique également en linéaire avec la 5G broadcast, ce qui distingue ici ce mode de diffusion de l’écoute à la demande aujourd’hui constatée. Or le taux d’équipement en DAB+ sera important au milieu des années 2020, quand la 4G sera banalisée et la 5G déployée. S’ajoute le développement des assistants vocaux qui s’imposent dans les foyers avec les enceintes connectées et dans les véhicules, lesquels basculent progressivement dans l’orbite des Gafa qui encourageront à l’écoute à la demande et la 5G broadcast – Renault vient de s’associer avec Google.

La complémentarité FM-DAB+ semble donc aujourd’hui anachronique. Au début des années 2000, ce n’était pas le cas : la 3G n’existait pas et la radio numérique était pénalisée par la faiblesse des débits en mobilité. Le DAB+ s’apparente donc à une technologie de transition plutôt qu’à une technologie du futur. Il a des avantages différents : nécessitant des fréquences, il dépend de leur attribution par le CSA, donc d’un écosystème régulé où seuls prospèrent les médias ayant bénéficié du sésame de la ressource hertzienne. Sur internet, la radio n’a plus de limite et n’importe quel acteur peut lancer une station. D’ailleurs, la 4G et la 5G dépendent de l’Autorité de régulation des communications électroniques et des postes (Arcep). L’ouverture de l’internet est ce que le DAB+ permet d’éviter, à savoir une concurrence des pure players. À titre d’exemple, s’informer de l’actualité sur internet ne passe pas nécessairement par le site web d’une station, mais bien plus souvent par une requête adressée à Google ou par des recommandations de Facebook. Avec le DAB+, il y a certes de nouvelles stations, donc plus de concurrence, mais cette concurrence se limitera au seul écosystème radiophonique. Les vrais gagnants sont donc d’abord toutes les stations qui, jusqu’alors, ne disposaient pas de fréquences FM et vivotaient sur une RNT boycottée par les grands réseaux. Désormais, le taux de pénétration devrait augmenter pour les stations à vocation locale ou régionale, à mesure que les Français vont s’équiper en récepteurs DAB+. Pour les autres radios, celles qui n’avaient pas de présence nationale, le parc potentiel d’auditeurs va être démultiplié.

Sources :

  • « Un nouvel élan pour le DAB+ : 12 clefs pour en comprendre les enjeux », CSA, Communiqué de presse, 12 décembre 2017.
  • « La 5G broadcast divise le monde de la radio », E.R., Le Figaro, 4 octobre 2018.
  • « Heure de vérité pour la radio numérique en France », Nicolas Madelaine, Les Echos, 6 novembre 2018.
  • « Les radios privées rejoignent enfin la radio numérique terrestre », Chloé Woitier, Le Figaro, 23 novembre 2018.
Professeur à Aix-Marseille Université, Institut méditerranéen des sciences de l’information et de la communication (IMSIC, Aix-Marseille Univ., Université de Toulon), École de journalisme et de communication d’Aix-Marseille (EJCAM)

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