Obligations et droits de diffusion des réseaux et autres services de communications électroniques

CJUE, 13 décembre 2018, Affaire France Télévisions c. Playmedia et Conseil supérieur de l’audiovisuel, C-298/17.

« Afin de promouvoir la diversité culturelle et un accès universel du public aux principales chaînes de radio et de télévision, les États membres » de l’Union européenne « sont en droit d’imposer aux fournisseurs des réseaux de communications électroniques une obligation de diffusion (must carry) de certaines de ces chaînes. Cependant, à l’heure actuelle, Internet permet de diffuser et d’accéder librement à des sources d’information de plus en plus nombreuses […] sans les contraintes techniques liées aux modes de transmission. […] Cette évolution technologique a fortement bouleversé le paysage audiovisuel, transformant l’obligation de diffuser en privilège et les assujettis à cette obligation en bénéficiaires potentiels. Se pose donc la question de savoir si […] les règles conçues pour ces modes de transmission […] sont applicables dans le nouvel environnement qu’est Internet ». C’est ainsi que, devant la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE), l’avocat général, dont les conclusions ont été suivies par la Cour, introduisit et résuma la question posée.

À l’origine de cette affaire, se trouvait la situation de la société française Playmedia. Celle-ci exploite un site internet sur lequel elle propose, entre autres, la diffusion de plusieurs chaînes de télévision. Se prévalant de ladite « obligation de diffusion » des services de communications électroniques, et n’étant pas parvenue à conclure, avec la société France Télévisions, un contrat à cet égard, elle a, parallèlement, assigné celle-ci en justice et saisi de ce différend le Conseil supérieur de l’audiovisuel. Mise en demeure par le CSA de ne pas s’opposer à la reprise de ses programmes par la société Playmedia, France Télévisions a saisi le Conseil d’État d’un recours en annulation contre la décision en cause. C’est dans ces circonstances que la juridiction administrative française a transmis à la CJUE diverses questions préjudicielles relatives à la conformité du droit français à l’égard du droit européen, et particulièrement de la directive 2002/22 du 7 mars 2002 « concernant le service universel et les droits des utilisateurs au regard des réseaux et services de communications électroniques », dite « service universel ».

En son article 31, intitulé « obligations de diffuser », cette directive européenne dispose notamment que « les États membres peuvent imposer des obligations raisonnables de diffuser (must carry), pour la transmission des chaînes ou des services de radio et de télévision spécifiés, aux entreprises qui, sous leur juridiction, exploitent des réseaux de communications électroniques utilisés pour la diffusion publique d’émissions de radio ou de télévision, lorsqu’un nombre significatif d’utilisateurs finals de ces réseaux utilisent comme leurs moyens principaux pour recevoir des émissions de radio ou de télévision » et que cela ne porte pas « préjudice à la faculté des États de déterminer une rémunération appropriée ».

Pour la Cour de justice, la réponse à apporter à la question principale qui lui était soumise dépend de la qualification du service en cause. Selon qu’il s’agit de réseaux de communications électroniques ou d’autres services de communications électroniques, tels que les distributeurs de services, les obligations et les droits de diffuser diffèrent.

Obligations des réseaux de communications électroniques

L’obligation de diffuser, prévue par la directive du 7 mars 2002, ne vise que les entreprises qui exploitent des réseaux de communications électroniques. Par l’article 2 de ladite directive, sont ainsi qualifiés « les systèmes de transmission […] qui permettent l’acheminement de signaux par câble, par voie hertzienne, par moyen optique ou par d’autres moyens électromagnétiques ». C’est à ceux-là que, par cette directive, il est envisagé que les États puissent imposer une telle obligation.

Considérant que la société Playmedia « qui se borne à proposer le visionnage de programmes de télévision en flux continu et en direct sur Internet, ne fournit pas un réseau de communications électroniques » et ne satisfait pas à cette définition, l’obligation en cause ne peut pas lui être imposée à ce titre. Cela n’exclut cependant pas que le droit national puisse, en raison d’une autre qualification, lui en accorder le droit.

Obligations et droits des distributeurs de services

La société Playmedia ne relevant pas de la catégorie des réseaux de communications électroniques, c’est en sa qualité de distributeur de services que son obligation ou son droit de diffuser les programmes de France Télévisions doivent être envisagés.

Par le considérant 45 de la directive « Service universel », il est posé que « les services fournissant un contenu, tels qu’une offre de vente de contenus de radiodiffusion sonore ou de télévision, ne sont pas couverts par le cadre réglementaire commun pour les réseaux et services de communications électroniques ». En conséquence, « les fournisseurs de ces services ne devraient pas être soumis aux obligations de service universel pour ces activités ». Cela n’exclut cependant pas que le droit national leur en accorde le droit.

Aux termes de l’article 2-1 de la loi française du 30 septembre 1986, portant statut de la communication audiovisuelle, « les mots « distributeur de services » désignent toute personne qui établit avec des éditeurs de services des relations contractuelles en vue de constituer une offre de services de communication audiovisuelle mise à disposition auprès du public par un réseau de communications électroniques ».

L’article 34-2 de la même loi dispose que « tout distributeur de services sur un réseau n’utilisant pas de fréquences terrestres assignées par le Conseil supérieur de l’audiovisuel met gratuitement à disposition de ses abonnés les services des sociétés » du secteur public de la radio-télévision.

Pour la Cour de justice, « la directive « Service universel » laisse les États membres libres d’imposer des obligations de diffuser (must carry) […] à des entreprises qui, sans fournir des réseaux de communications électroniques, proposent le visionnage de programmes de télévision en flux continu et en direct sur Internet ».

À la question préjudicielle posée par le Conseil d’État, il est donc au moins répondu, par la CJUE, que la disposition légale française imposant à Playmedia, qualifié de « distributeur de services », de mettre à la disposition de ses abonnés les programmes de France Télévisions est conforme au droit européen.

L’évolution des techniques de communication et de leurs usages fait que, bien que ne répondant plus à la même nécessité, les obligations de diffusion de programmes de radio ou de télévision du secteur public qui, pour des préoccupations de garantie de l’égal accès de tous à l’information et à la culture, ont pu, un temps, s’imposer à certains réseaux de communications électroniques, se transforment davantage en droits au profit d’autres distributeurs de services. Ils sont alors perçus par les éditeurs des programmes en cause, utilisant aussi, pour leur diffusion, le même réseau de communication qu’est l’internet, comme une forme de concurrence déloyale ou d’action parasitaire.

Professeur à l’Université Paris 2

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