KaiOS, le système d’exploitation mobile à la conquête des pays émergents

La spécificité du système d’exploitation KaiOS est de viser le marché des feature phones, ces téléphones non tactiles et plus abordables que des smartphones, principalement à destination des pays émergents. Créée en 2016, la société a levé 79 millions de dollars, elle emploie 260 personnes et équipe à ce jour plus de 100 millions de téléphones répartis dans une centaine de pays.

Le projet est né en 2015 au sein de la société TCL Communication, une filiale de TCL Corporation, fabricant de matériel électronique implanté à Hong Kong, où elle est cotée en Bourse, ainsi qu’à Shenzhen. TCL produit, entre autres, des téléphones portables (notamment sous la marque Alcatel, dont l’entreprise a été rachetée en 2004 et 2005), des téléviseurs, des ordinateurs et des batteries.

Le Français Sébastien Codeville, chargé du développement de la société TCL aux États-Unis, travaillait en 2015 sur un projet de téléphone non tactile et bon marché. Au moment du choix du futur système d’exploitation de l’appareil, l’équipe s’est d’abord intéressée au système Android de Google pour finalement lui préférer Firefox OS, système d’exploitation open source développé par la Mozilla Corporation, qui sera finalement abandonné en septembre 2016 (voir La rem n°33, p.45). Pour la première fois dévoilé au public en 2012, le système d’exploitation Fire Firefox OS, compatible avec les smartphones Android, a été conçu pour proposer, non pas des applications natives, mais des applications web, appelées web apps. À télécharger sur un smartphone depuis un magasin d’applications, tel que l’App Store d’Apple ou le Google Play de Google, une application native est développée selon un langage informatique propre au système d’exploitation du terminal, iOS pour Apple, Android pour Google. Une web app, en revanche, est développée avec les technologies du web, en langage HTML5 et Javascript, et accessible en ligne directement à travers le navigateur web d’un téléphone portable ou d’un smartphone, ne nécessitant donc pas d’installation spécifique (voir La rem n°24, p.52).

À partir de Fire Firefox OS, libre de droit, Sébastien Codeville a pu développer un système d’exploitation, grâce à une équipe de 35 personnes, composée notamment d’anciens ingénieurs de Firefox OS ayant travaillé chez des opérateurs mobiles ou chez des fabricants de téléphone. En 2016, la société KaiOS Technologies Inc est créée à San Diego en Californie. En 2017, elle lance la première version du système d’exploitation KaiOS. En 2018, deux nouveaux investisseurs rejoignent TCL, premier actionnaire historique : le groupe indien Reliance Retail apporte 7 millions de dollars en mars et Google injecte 22 millions de dollars en juin. En août 2018, l’entreprise revendique 40 millions de téléphones équipés de KaiOS, principalement en Asie et en Inde. En mai 2019, le fonds franco-chinois Cathay Innovation investit 45 millions d’euros supplémentaires, notamment pour renforcer l’équipe, qui compte dorénavant 260 collaborateurs, et pour développer autour de KaiOS de nouveaux services destinés aux utilisateurs des pays émergents. La société est aujourd’hui présente aux États-Unis, à Hong Kong, à Taïwan, en Chine, en Inde, au Brésil et en France, où se trouvent ses bureaux de recherche et développement, qui se consacrent notamment à un projet de blockchain et à des logiciels publicitaires.

Un système d’exploitation taillé pour les pays émergents

Concernant principalement l’Afrique, l’Asie et l’Amérique latine, le marché des feature phones est prometteur grâce à un coût de fabrication – et donc à un prix de vente – nettement moins élevé que pour un smartphone d’entrée de gamme. « Il y a plus de trois milliards de personnes dans le monde qui vivent avec un revenu inférieur à 2,50 dollars par jour. Ce segment n’a pas les moyens de se payer un smartphone ni les services de données requis par l’évolution croissante des applications smartphones », explique Tarun Pathak, directeur associé de la société d’étude et de conseil Counterpoint Technology Market Research.

KaiOS a travaillé avec les principaux fabricants de chipsets (composants électroniques) et concepteurs de microprocesseurs, notamment l’américain Qualcomm, les chinois Spreadtrump et UNISOC ou encore le taïwanais MediaTeK, afin d’optimiser le développement du système d’exploitation selon la performance des appareils. La durée de charge de la batterie constitue en effet un enjeu crucial dans les pays émergents. « Avec un téléphone KaiOS ou un autre feature phone, vous pouvez rester cinq jours sans le recharger. Jusqu’à 25 jours si vous n’utilisez pas trop internet. C’est très important dans les pays émergents parce que l’utilisateur n’a pas toujours accès à une prise. Et puis il faut que le feature phone soit plus résistant à la poussière, à l’humidité, aux chutes » explique Sébastien Codeville.

Le système d’exploitation KaiOS est compatible avec la 3G et la 4G/LTE, le Wi-Fi et intègre une puce GPS, ainsi qu’une puce Near Field Communication, (NFC), vecteur de paiement mobile sans contact (voir La rem n°6-7, p.38).

Le développement de l’usage des réseaux 4G dans les pays émergents s’accélère grâce aux feature phones équipés de KaiOS. En Inde, KaiOS est devenu le deuxième système d’exploitation le plus populaire après Android, et devant iOS. Selon un rapport de la société d’études de marché CyberMedia Research (CMR) India, publié en 2017, tandis que le nombre d’abonnés indiens à la 2G diminuait seulement de 3 % par trimestre, l’arrivée de Reliance Jio, opérateur mobile indien commercialisant à moins de vingt euros le JioPhone équipé de KaiOS, a provoqué une accélération de cette baisse à 40 %. De plus, selon une autre étude réalisée en mai 2018 par DeviceAtlas, leader mondial de la détection en temps réel d’appareils électroniques, l’utilisation des données 4G est passée de moins de 500 millions de Go à la mi-2016 à 4,5 milliards de Go en septembre 2017.

Des services adaptés aux feature phones

KaiOS a également développé un KaiStore, magasin de web-apps, proposant à ses clients les services des grandes plateformes du web, parmi lesquels ceux de Facebook, Twitter, Google Maps, Google Search, Google Assistant et, plus récemment, ceux de YouTube et de WhatsApp. En collaboration avec ces entreprises, KaiOS a développé une architecture informatique afin que l’utilisation des web-apps s’apparente au mieux à celle des applications natives. « Par exemple, ce sont nos serveurs qui gèrent tous les envois de notifications en se connectant à ceux de Facebook, Twitter […] ou la gestion des comptes et la localisation » explique Sébastien Codeville. Comme pour un magasin d’applications natives, un développeur ou une entreprise peut créer une web-app à travers le KaiOS Developer Portal afin qu’elle soit accessible sur le KaiStore. Pour compléter l’écosystème, l’entreprise a développé KaiAds, plateforme de publicité ad hoc pour feature phones, offrant l’opportunité aux développeurs de monétiser leurs web-apps et aux marques de diffuser leurs publicités.

En se positionnant entre les feature phones classiques et les smartphones dont le marché est saturé depuis 2018, KaiOS, sans réel concurrent, destine ces smart feature phones aux 34 % de la population mondiale encore non abonnés à la téléphonie mobile, selon les données fournies par Counterpoint Technology Market Research, ainsi qu’aux 57 % qui n’utilisent pas l’internet mobile en raison du prix trop élevé ou d’un manque d’accès au réseau.

Sources :

  • « Reliance Jio is speeding up the slow death of 2G in India », Ananya Bhattacharya, qz.com/india, January 17, 2018.
  • « KaiOS, a feature phone platform built on the ashes of Firefox OS, adds Facebook, Twitter and Google apps », Ingrid Lunden, techcrunch.com, February 26, 2018.
  • « MWC 2018: Kai Announces Partnerships with Mobile Industry Giants », Tim Metz, kaiostech.com, Feb. 26, 2018.
  • « February Media Digest : The Rise of Feature Phones », Eletta Leung, kaiostech.co, March 12, 2018.
  • « JioPhone’s KaiOS surpasses iOS to become India’s second most popular mobile operating system », bgr.in, May 7, 2018.
  • « 22 millions de dollars pour KaiOS, la startup qui met Google Maps sur des téléphones à clapet », Julien Cadot, numerama.com, 29 juin 2018.
  • « Sébastien Codeville, CEO de KaiOS Technologies : « Passer de 40 à 100 millions de téléphones avec KaiOS » », Nicolas Certes, lemondeinformatique.fr, 27 août 2018.
  • « More than a Billion Feature Phones to be Sold over Next Three Years », Varun Mishra, counterpointresearch.com, March 13, 2019.
  • « Mobile OS « KaiOS » that Powers Reliance Jiophone Secures $50 Mn from Cathay Innovation », Vardaan, indianweb2.com, May 24, 2019. 
Docteur en sciences de l’information et de la communication, enseignant à l’Université Paris-Panthéon-Assas, responsable des opérations chez Blockchain for Good

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