Musique : le streaming s’impose partout

Le streaming compte désormais pour presque la moitié des revenus mondiaux de la musique. Banalisé, il a conduit Apple à fermer iTunes, le service de téléchargement qui avait contribué à légaliser l’écoute de la musique en ligne.

L’année 2018 a consacré le streaming musical. Ce dernier est le mode d’écoute le plus plébiscité et désormais aussi le plus rémunérateur. Selon la Fédération internationale de l’industrie phonographique (IFPI), le streaming a représenté 47 % des revenus mondiaux de la musique en 2018, soit presque la moitié du chiffre d’affaires mondial de la musique, qui s’élève à 19,1 milliards de dollars. Il en dynamise par ailleurs la croissance : avec une hausse de 10 %, le marché mondial signe sa meilleure performance sur les quatre dernières années grâce au streaming, qui progresse de 34 %. Si le téléchargement légal avec iTunes avait pu limiter en partie les conséquences de l’effondrement des ventes de CD dans les années 2000, seul le streaming aura su inverser la tendance baissière du marché constatée depuis le pic de 1999, où le marché mondial de la musique avait atteint 25 milliards de dollars. Et il devrait même permettre de revenir à ces niveaux, sinon de les dépasser. En effet, le pic de 1999 a été réalisé sur un nombre limité de marchés, les États-Unis, l’Europe, le Japon et l’Australie principa­lement, où existait un réseau solide de distribution pour les CD. Ailleurs, le marché de la musique était sous-développé. Avec le streaming musical, l’obstacle de la distribution est levé et ce sont désormais tous les pays qui peuvent alimenter la croissance du marché mondial de la musique (voir La rem n°46-47, p.97). Les plus fortes hausses viennent d’Amérique latine (+ 16,8 %) et, à l’avenir, l’Afrique, l’Inde seront d’importants contributeurs.

Le constat est le même sur les marchés historiques, même si la croissance y est moins forte du fait de l’antériorité des services de streaming sur ces territoires. Ainsi, en France, longtemps considérée comme une exception du fait de la résistance du marché du CD, le streaming est devenu, pour la première fois en 2018, la première source de revenus sur le marché de la musique. La part du numérique (57 % du total des ventes) l’emporte sur les ventes de CD et de vinyles grâce à la croissance du streaming (26 %). Ce dernier représente 301 millions d’euros sur un total de 735 millions d’euros, ce qui représente 90 % des revenus numériques et 51 % des ventes globales selon le Syndicat national de l’édition phonographique (SNEP). Le streaming sur abonnement domine puisqu’il représente à lui seul 243 millions d’euros, avec 5,5 millions d’abonnés en France, soit un million de plus qu’en 2017. Ces chiffres sont toutefois inférieurs à ceux des autres pays européens, le taux de pénétration du streaming musical en France étant de 10 % quand il peut s’élever jusqu’à 20 % dans d’autres pays. Le potentiel de croissance est donc élevé, mais il concerne désormais des populations plus difficiles à convaincre. En effet, pour des personnes n’ayant pas une pratique assidue d’écoute de la musique, la valeur perçue des services de streaming payant s’est fortement dégradée par rapport aux services gratuits d’écoute, notamment le streaming vidéo de musique sur YouTube. C’est ce que constate le SNEP en le déplorant : le streaming vidéo représente plus de la moitié du temps consacré au streaming musical en France, dont 48 % du temps capté par la seule plateforme YouTube, mais il ne corres­pond qu’à 11 % des revenus du streaming musical en France.

Ce value gap (transfert de valeur) semble insurmontable, même si la récente directive européenne sur le droit d’auteur (voir La rem n°50-51, p.12) renforce les obligations de contribution des plateformes. En effet, il illustre le plébiscite par de nombreux internautes du streaming vidéo et de l’écoute gratuite. Ce phénomène est d’ailleurs plus marqué aux États-Unis, l’un des marchés où le streaming s’est développé le plus tôt avec 75 % des revenus du marché américain de la musique en 2018. Au premier semestre 2019, la croissance du streaming vidéo a dépassé celle du streaming audio grâce à YouTube et à de nouveaux services comme Tik-Tok. Certes, Apple Music, Spotify et Amazon dominent encore le marché puisque leurs services de streaming audio représentent ensemble 333,5 milliards de streams au premier semestre 2019, contre 175 milliards pour le streaming vidéo. Mais cette domination est désormais remise en question par le streaming vidéo, ce phénomène étant intimement lié à la banalisation des connexions haut débit pour l’internet mobile.

Au moins le streaming, audio ou vidéo, rend-il caduques les autres formes d’écoute de la musique, malgré le succès surprenant des ventes de vinyles, en France ou aux États-Unis. Ainsi, Apple, à qui l’on doit d’avoir le premier légalisé l’écoute de la musique en ligne avec l’iTunes Music Store, lancé en 2003, a annoncé la fermeture de son service le 3 juin 2019. Dédié au téléchargement, ce dernier n’aura pas survécu au streaming et au succès de l’iPhone, le terminal phare du groupe. En effet, iTunes a imposé des pratiques légales de téléchargement parce qu’il a été historiquement couplé à l’iPod qui a permis de matérialiser l’écoute de musique numérique dans un objet design. Or l’iPhone a pris en charge cette fonction, parmi d’autres. En acceptant des connexions 3G et désormais 4G, il a ensuite permis au streaming musical de trouver ses adeptes. Apple a d’ailleurs tardé à franchir le pas puisque son service de musique, Apple Music, n’a été lancé qu’en 2015 (voir La rem n°36, p.56). Il a dépassé Spotify en nombre d’abonnés aux États-Unis à l’issue du premier trimestre 2019.

Cette évolution des pratiques n’est pas dom­mageable pour Apple puisque les revenus générés par les abonnements ont l’avantage d’être récurrents. Et ils sont désormais plus conséquents que ceux engendrés par le téléchargement : selon l’IFPI (qui représente l’industrie du disque dans le monde entier), ce dernier ne repré­sente plus que 12 % des revenus mondiaux de la musique enregistrée, contre 47 % pour le streaming et 25 % pour les CD. Enfin, iTunes était également pénalisé par sa polyvalence alors que, dorénavant, les applications spécialisées dominent. Il permettait de télécharger de la musique, mais aussi des podcasts, de la vidéo, autant de services qui se retrouvent désormais de manière séparée au sein de l’écosystème d’applications proposé par Apple. Au streaming avec Apple Music s’ajoutent ainsi Apple Podcasts d’une part, et Apple TV+ pour les offres de streaming vidéo d’autre part (voir La rem n°50-51, p.60). De ce point de vue, la fermeture d’iTunes devrait également provoquer un transfert de ses clients vers les nouveaux services dédiés d’Apple. Sauf que, pour ces dernières offres, Apple pourrait se retrouver dans une position délicate vis-à-vis des autorités de la concurrence. Alors qu’iTunes n’avait pas de véritable équivalent, Apple Music ou Apple TV+ sont en concurrence respectivement avec Spotify ou avec Netflix, deux services qui cherchent désormais à contourner l’AppStore et ses commissions (voir La rem n°49, p.80). Ils reprochent à l’AppStore les commissions prélevées sur leurs abonnements alors même que la notoriété de leurs offres est suffisante pour se passer d’un intermédiaire. Spotify a par ailleurs saisi la Commission européenne concernant les pratiques d’Apple sur l’AppStore qui viseraient à dégrader la qualité des offres concurrentes de ses services quand elles refusent d’opter pour des abonnements directement depuis le magasin d’applications (voir La rem n°50-51, p.22). Si Apple devait être condamné, alors son modèle économique serait remis en question au moment même où le groupe mise de plus en plus sur les services pour développer son chiffre d’affaires.

Sources :

  • « Le streaming pèse désormais 75 % des revenus de la musique aux États-Unis », La Correspondance de la Presse, 8 mars 2019.
  • « Le marché français de la musique à la traîne du rebond mondial », Nicolas Madelaine, Les Echos, 15 mars 2019.
  • « Le streaming payant devient la première source de revenu de la musique en France », Caroline Sallé, Le Figaro, 15 mars 2019.
  • « Le marché mondial de la musique en forme », Caroline Sallé, Le Figaro, 3 avril 2019.
  • « Pourquoi le monde de la musique enterre le téléchargement », Jean-Philippe Louis, Les Echos, 29 mai 2019.
  • « Apple confirme la fermeture d’iTunes », Jean-Philippe Louis, leseschos.fr, 3 juin 2019.
  • « Apple devrait mettre au rebus iTunes », Caroline Sallé, Elsa Bembaron, Le Figaro, 4 juin 2019.
  • « Musique : le streaming audio ralentit », Caroline Sallé, Le Figaro, 2 juillet 2019. 
Professeur à Aix-Marseille Université, Institut méditerranéen des sciences de l’information et de la communication (IMSIC, Aix-Marseille Univ., Université de Toulon), École de journalisme et de communication d’Aix-Marseille (EJCAM)

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