Après Nice-Matin, Xavier Niel sauve France-Antilles. Paris-Normandie à son tour menacé

Condamnés à la disparition, les quotidiens réunis sous la marque France-Antilles seront ressuscités par Xavier Niel qui, après son très politique investissement dans Nice-Matin, se fait fort de sauver la presse locale en difficulté. Un de ses proches, Pierre-Antoine Capton, est pressenti pour sauver Paris-Normandie.

Du grand empire de presse de Robert Hersant, ne resteront que les titres sauvés par Xavier Niel. En effet, c’est le renoncement du Groupe Hersant Média à La Provence et à Nice-Matin qui conduira le quotidien niçois à se constituer en société coopérative d’intérêt public – SCIC (voir La rem n°33, p.26), avec une promesse d’investissement non tenue du groupe belge Nethys. Pour être sauvé, Nice-Matin devait passer sous le contrôle d’Iskandar Safa qui perdra son pari après le rachat surprise de la participation de Nethys par Xavier Niel : il fallait éviter la droitisation du titre, Iskandar Safa possédant le très engagé Valeurs actuelles (voir La rem n°52, p.39).

Après le retrait des quotidiens régionaux du sud de la France, ne restait plus du Groupe Hersant Média que le pôle Antilles–Guyane, à savoir les trois quotidiens France-Antilles de Guadeloupe, Martinique et Guyane, auxquels s’ajoutent quelques magazines locaux et une radio. Menacé à son tour et placé en cessation de paiement (voir La rem n°42-43, p.34), il avait été repris en 2017 par la nièce de Robert Hersant, Aude Jacques-Ruettard qui, à travers AJR Participations, y a injecté quelque 8 millions d’euros. Depuis, elle en assumait également les pertes, le chiffre d’affaires de l’ensemble étant passé de 45 millions d’euros en 2016 à 28 millions d’euros en 2018. Le groupe perdait cette année-là 6 millions d’euros. En juin 2019, la société Antilles Guyane Médias, qui édite France-Antilles, était placée en redressement judiciaire, le temps pour Aude Jacques-Ruettard, de trouver un repreneur ou des investisseurs.

Très vite, Octopus Network, le groupe de Bruno Blandin, président du Medef Guadeloupe, s’est mis sur les rangs. Mais son plan social important, avec 30 salariés conservés sur 236, ainsi que des conditions suspensives, ont rendu vaine la tentative de reprise. Le tribunal de commerce de Fort-de-France, qui a reporté à plusieurs reprises sa décision pour laisser à Aude Jacques-Ruettard le temps de trouver des financements, a dû finalement trancher le 30 janvier 2020. Il a prononcé la liquidation judiciaire du groupe, le projet déposé par AJR étant insuffisamment financé. Ce dernier proposait la reprise de 125 salariés, une édition papier trois fois par semaine à la Guadeloupe et en Martinique, une bascule sur le numérique en Guyane. L’impression devait se faire à la Guadeloupe y compris pour l’édition martiniquaise, acheminée en bateau puisque le journal ne devait sortir que tous les deux jours. Mais ce plan, estimé à 7,3 millions d’euros, n’était financé qu’à hauteur de 3 millions d’euros par des investisseurs locaux et 3 millions d’euros par des aides de l’État et des collectivités. Pour 1,3 million d’euros, la Guyane, la Martinique et la Guadeloupe sont ainsi devenus les premiers départements de France à ne plus avoir de presse quotidienne régionale, la dernière édition des titres étant parue le 1er février 2020. Le symbole est important et ses conséquences sont majeures : la presse locale, à côté de l’audiovisuel (La Première, chaîne du service public, ainsi que les chaînes et les radios privées), est un creuset de l’identité de ces territoires ultra-marins.

C’est là qu’intervient de nouveau Xavier Niel. Contre toute attente, il annonce aux représentants du personnel, le 17 février 2020, son intention de faire une offre de reprise, ce qui conduit le tribunal de commerce à relancer artificiellement l’activité du groupe le même jour. L’offre de reprise de Xavier Niel est portée, comme pour Nice-Matin, par sa holding personnelle NJJ. Xavier Niel s’engage à conserver 114 salariés. La Guadeloupe imprime là encore l’édition martiniquaise qui est acheminée en avion sur l’île sœur afin de garantir une publication quotidienne. En revanche, la pagination des titres est réduite. Le numérique doit être développé ainsi que l’événementiel local, une stratégie déjà déployée à Nice-Matin. Le tribunal de commerce prend acte et donne jusqu’au 21 février 2020 à Xavier Niel pour améliorer son offre. Finalement, 126 salariés seront repris et Xavier Niel investira 4,5 millions d’euros dans le groupe, complétés par 3,5 millions d’euros de fonds publics. Le 1er avril 2020, l’activité reprend avec une publication d’abord en ligne, la crise sanitaire et le confinement ne favorisant pas une reprise rapide des éditions imprimées.

Les mêmes péripéties risquent de concerner également le titre Paris-Normandie. Ancien titre du Groupe Hersant Média, le titre avait fait partie des toutes premières cessions du groupe afin de réduire son endet­tement (voir La rem n°24, p.23). Repris par Xavier Hellie et Denis Huertas à la barre du tribunal de commerce du Havre en 2012, le titre sera de nouveau mis en redressement judiciaire le 1er avril 2016 avant d’être cédé à Jean-Louis Louvel, un entrepreneur local, en avril 2017 (voir La rem n°42-43, p.37). Trois ans plus tard, le 16 avril 2020, la société éditrice du titre est mise en liquidation judiciaire par le tribunal de commerce de Rouen afin de bénéficier d’une période de continuation. Le journal doit en effet faire face à la baisse tendan­cielle de ses revenus que la crise sanitaire du Covid-19 a accentuée avec une chute massive des recettes publicitaires qui représentent 9 millions d’euros sur les 30 millions d’euros de chiffre d’affaires annuel.

Cette mise en liquidation judiciaire signe l’échec de Jean-Louis Louvel qui s’était engagé à désen­detter le titre en sept ans. Candidat à Rouen pour La République en Marche aux élections municipales de 2020, Jean-Louis Louvel avait par ailleurs cherché à se séparer du titre pour éviter les conflits d’intérêts. Pierre-Antoine Capton, proche de Xavier Niel avec qui il est associé dans Mediawan, avait manifesté son intérêt. La mise en liquidation pourrait le conduire à reformuler une offre. Le groupe belge Rossel, éconduit en 2017 au profit de Xavier Ellie, pourrait lui aussi être intéressé afin d’élargir sa couverture dans le nord-ouest de la France.

Sources :

  • « Le quotidien « France-Antilles » menacé de disparition », Nicolas Richaud, Les Echos, 2 octobre 2019.
  • « L’avenir de « France Antilles » se joue au tribunal de commerce », Alexandre Debouté, Le Figaro, 6 décembre 2019.
  • « Le journal « France Antilles » condamné à disparaître », Chloé Woitier, Le Figaro, 31 janvier 2020.
  • « Xavier Niel à la rescousse de « France Antilles » », Chloé Woitier, Le Figaro, 19 février 2020.
  • « Presse : Xavier Niel, le nouveau « papivore » », Chloé Woitier, Le Figaro, 5 mars 2020.
  • « « France-Antilles » devrait se relancer en avril », Nicolas Richaud, Les Echos, 19 mars 2020.
  • « Le journal « Paris-Normandie » demande sa mise en liquidation », Claire Garnier, Les Echos, 20 avril 2020. 
Professeur à Aix-Marseille Université, Institut méditerranéen des sciences de l’information et de la communication (IMSIC, Aix-Marseille Univ., Université de Toulon), École de journalisme et de communication d’Aix-Marseille (EJCAM)

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