Contrôle de l’honnêteté de l’information et pouvoir de sanction du Conseil supérieur de l’audiovisuel

Conseil supérieur de l’audiovisuel, décision n°­2020-227 relative à la procédure de sanction engagée à l’encontre de la société RT France, le 17 juillet 2019.

Parmi les divers moyens de lutte contre la diffusion de fausses informations, il convient de relever que, dans l’exercice de son pouvoir de sanction, le Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) peut être amené à se prononcer notamment sur le respect des exigences d’honnêteté de l’information par les sociétés de programme de radio et de télévision. L’article 3-1 de la loi n° 86-1067, du 30 septembre 1986, relative à la liberté de communication (audiovisuelle) pose en effet que « le Conseil supérieur de l’audiovisuel garantit l’honnêteté, l’indé­pendance et le pluralisme de l’information […] sous réserve de l’article 1er de la présente loi ». En son alinéa 1er, celui-ci énonce que « la communication au public par voie électronique est libre », avant d’envisager cependant, dès l’alinéa suivant, différents motifs possibles de limites apportées à « l’exercice de cette liberté », définies par cette même loi ou par d’autres textes, dont les conventions passées, par ledit CSA, avec les exploitants de ces services.

Faisant rappel de la mission qui lui a été confiée, à cet égard, par le législateur, ledit Conseil a adopté la délibération n° 2018-11, du 18 avril 2018, relative à l’honnêteté et à l’indépendance de l’information et des programmes qui y concourent. En son article 1er, il pose, en ce sens, que « l’éditeur d’un service de commu­nication audiovisuelle doit assurer l’honnêteté de l’information et des programmes qui y concourent ». Il y précise que « l’éditeur garantit le bien-fondé et les sources de chaque information » ; que, « dans la mesure du possible, l’origine de celle-ci doit être indiquée » (en contradiction avec la revendication d’un droit au secret des sources des journalistes ?) ; que « l’information incertaine est présentée au conditionnel » ; que ce même éditeur « fait preuve de rigueur dans la présentation et le traitement de l’information » et qu’il « veille au respect d’une présentation honnête des questions prêtant à controverse ».

La décision n° 2020-227, du 26 février 2020, relative à la procédure de sanction engagée à l’encontre de la société RT France illustre la difficulté et l’ambiguïté du contrôle du respect des exigences d’honnêteté de l’information dans l’exercice du pouvoir de sanction du CSA.

Après une première mise en demeure qui conditionne l’exercice du pouvoir de sanction du CSA, adressée, un an plus tôt, à ladite société (voir La rem n°53, p.10), la décision fut prise, sur la base des textes précédemment mentionnés, d’« engager à son encontre une procédure de sanction ». À l’issue de l’instruction indépendante menée, et la société intéressée ayant pu présenter ses observations, la présente décision a été rendue.

À l’origine de cette procédure, il avait été retenu que la société RT France avait « diffusé des informations indiquant que, selon des sources officielles russes, la France et la Belgique prévoiraient la mise en scène d’une attaque chimique en Syrie, en lien avec des « leaders terroristes » » et quelques jours après, elle avait « renouvelé et détaillé ces accusations, présentant sur un ton critique la réaction des autorités françaises » et « donné la parole à un analyste alléguant, en particulier, un parti pris des médias occidentaux sur cette question ».

La présente décision retient qu’« il résulte de l’instruction, d’une part, que la source des informations diffusées a été mentionnée et que le conditionnel a été employé, de sorte qu’aucun manquement de l’éditeur » aux obligations relatives à l’honnêteté et à la rigueur de la présentation et le traitement de l’information « n’est suffisamment caractérisé et, d’autre part, que le déséquilibre de la présentation des points de vue n’a pas été suffisamment marqué pour constituer un manquement à l’exigence de présentation honnête des questions prêtant à controverse ». De tout cela, le CSA conclut qu’« il n’y a pas lieu, dans les circonstances de l’espèce, de prononcer une sanction à l’encontre de la société RT France ».

Pareille décision peut être mise en parallèle avec la condamnation pécuniaire prononcée, au Royaume-Uni, par l’OFCOM (Office of Telecommunications), l’équivalent du CSA, à l’encontre de la chaîne RT diffusée dans ce pays. Reproche lui était fait d’avoir, dans des circonstances de même nature, à nouveau manqué à l’obligation d’impartialité de l’information. Pour confirmer la condamnation, la Haute Cour de Londres a notamment écarté le grief, formulé, dans son recours, par la société requérante, selon lequel il aurait ainsi été porté atteinte à la liberté d’expres­sion consacrée par l’article 10 de la Convention [européenne] de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales.

Il est évidemment rassurant et satisfaisant que si les faits initialement reprochés ne sont pas établis – à l’issue d’une instruction indépendante, la société visée ayant pu pour sa défense faire valoir ses arguments –, toute procédure de sanction ouverte par le CSA n’aboutisse pas à une décision de cette nature ou, si elle est prononcée, qu’elle puisse être contestée en justice. Même ainsi, convient-il cependant, sans risque pour la liberté et le pluralisme de l’information, de confier un quelconque pouvoir de sanction à une autorité telle que ledit Conseil, notamment sur la base de dispositions qu’il a, au moins en partie, lui-même déterminées ? Par souci de préservation de la liberté de communication, une telle compétence ou responsabilité ne devrait-elle pas être réservée au juge ? En matière de garantie de l’honnêteté de l’information et de lutte contre la diffusion de supposées fausses informations, convient-il d’ajouter des pouvoirs au CSA ?

Professeur à l’Université Paris 2

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