La 5G, dernière guerre entre les géants du cloud et des données et les opérateurs de télécommunications
Selon Hubert Guillaud, la « plateformisation » est un nouveau modèle économique propre au capitalisme de données, « un intermédiaire entre différents usagers qui vise via des outils ou une infrastructure dédiée à produire des données à exploiter ». Par exemple, lorsque la direction Digital et innovation de la SNCF imagine sa « plateformisation » en juillet 2020, elle explique la possibilité de la mettre en œuvre au niveau « des gares, via une plateforme physique qui propose des services fournis par des tiers ; de la maintenance d’infrastructures (ferroviaires, mais aussi routières ou numériques), avec le développement d’une plateforme de mise en lien des entreprises du BTP et des donneurs d’ordre ; du processus industriel, avec la mise en place d’une plateforme qui permettrait à des acteurs tiers de se saisir des données relatives à l’usage et à la maintenance des infrastructures pour proposer des services à des acteurs tiers ».
Cette notion de « plateformisation » B to B (business to business) est centrale dans le rapport de l’ANRT, pour qui « la 5G constitue, pour les entreprises industrielles, une voie d’accès privilégiée à la plateformisation numérique ». D’un débit dix fois supérieur à la 4G, avec des temps de latences, à long terme, proches du temps réel, cette nouvelle génération de réseau est perçue comme l’architecture technique qui permettra la transformation des entreprises en plateformes, et dont le modèle économique résidera dans la captation et l’interconnexion de données sur des chaînes de valeurs entre les organisations, au premier rang desquels, selon l’Agence nationale des fréquences (ANFR), « la santé (télémédecine, téléchirurgie, surveillance à distance), la ville intelligente (territoires connectés, sécurité publique, maîtrise énergétique), l’industrie (automatisation, robotique, pilotage à distance) et les transports (autonomisation, liaisons entre véhicules) » (pour un autre point de vue voir La rem n°56, p.99).
En effet, la 5G n’est pas une simple amélioration des réseaux de quatrième génération. Sa mise en œuvre repose « sur une architecture informatique où des équipements de réseaux sont remplacés par des serveurs spécialisés et des logiciels ». Plus précisément, l’ANRT explique que « dans un réseau 5G, de nombreuses fonctions réseau seront virtualisées, i.e. elles s’exécuteront en tant que logiciel (monde informatique) », fournissant alors les services d’un « réseau sans fil privatif ». Sur ce « réseau sans fil privatif » à très haut débit, les entreprises deviennent alors « conceptuellement leur propre opérateur mobile sur une zone géographique clairement circonscrite », sans toutefois devenir un opérateur de télécommunications au sens de l’ARCEP (Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse). Parce que les données sont alors traitées séparément de celles du « réseau public, la protection, la confidentialité des données liées aux processus et à la production devient théoriquement totale ». Ou tout du moins la valeur des données échappe totalement à l’opérateur de télécommunications et revient à l’industriel qui gère lui-même son réseau mais également à ses éventuels prestataires, spécialistes des données et des communications électroniques.
C’est la raison pour laquelle la 5G aiguise fortement l’appétit des trois premiers fournisseurs de services cloud mondiaux, appelés hyperscalers, qui « tendent à étendre leur domination aux services de la 5G », au risque que cette domination se traduise par « des pratiques anticoncurrentielles ». Parce qu’ils sont tout à la fois des ressources clés de la 5G et des « partenaires » des industriels et des opérateurs de télécommunications, « les hyperscalers ne peuvent être considérés comme des compétiteurs comme les autres », estime l’ANRT. Et d’appeler de leurs vœux une politique industrielle du numérique qui doit « contribuer à rendre auditable les plateformes, en intégrant au mieux les acquis du droit de la concurrence et de l’économie de l’innovation ». En atteste la participation active à GAIA-X, l’« écosystème de données européen » lancé en juin 2020 par vingt-deux grandes entreprises françaises et allemandes (voir La rem n°54bis-55, p.38), rejoint depuis par Google Cloud (Google Ireland), AWS (Amazon Europe Core S.a.r.l. au Luxembourg) et Azure (Microsoft NV) ainsi que Alibaba Cloud et Haier Cosmo IoT Ecosystem Technology, et plusieurs autres géants américains de l’écosystème du cloud dont notamment Palantir Technologies, Salesforce, Snowflake ou encore Cisco. Toutes ces entreprises, grâce à leur expertise dans les domaines du logiciel et de l’exploitation massive de données, se positionnent en sérieux compétiteurs des opérateurs de télécommunications pour le pilotage des réseaux de la 5G. Amazon, Microsoft et Google proposent une offre 5G pour leur service d’edge computing (voir La rem n°44, p.70) et travaillent avec les opérateurs de télécommunications Verizon, AT&T, NTT Communications, Telefónica ou encore Vodafone. En France, Google Cloud travaille depuis juillet 2020 avec le constructeur automobile Renault d’une part et l’opérateur Orange d’autre part, dans le cadre de deux partenariats stratégiques visant à « l’intégration de plus en plus forte du cloud dans les réseaux [5G] ».
L’ANRT voit l’avènement de la 5G comme l’opportunité pour les industriels de se transformer en plateformes numériques, mais également l’opportunité pour les géants du web et de l’informatique de se transformer en opérateurs de télécommunications, délivrant une offre globale pour ces mêmes industriels. D’autant plus que ce réseau de nouvelle génération s’accompagne d’un risque accru en termes de cybersécurité, puisque que celle-ci n’est plus traitée au niveau des équipements par les opérateurs, mais à un niveau logiciel, par des opérateurs informatiques. Les questions sont nombreuses et n’ont pas encore trouvé de réponse : « À quel point les solutions logicielles de cybersécurité sont-elles auditables par les opérateurs [de télécommunications] ? Les opérateurs sont-ils en mesure d’exiger l’auditabilité ? » En bouleversant la chaîne de valeur des communications électroniques sans fil, la 5G ne reproduit-elle pas le même risque, mais à l’échelle industrielle, de captation et de confiscation des données personnelles opérées à l’insu de tous à l’échelle individuelle par les hyperscalers ? « La 5G demeure en réalité largement terra incognita » concède l’ANRT.
La 5G dans les chaînes de valeur des données – Un défi technologique et industriel devant nous, Association nationale de la recherche
et de la technologie (ANRT), Les Cahiers Futuris, mars 2021.
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