Lagardère : la fin de la commandite ouvre une nouvelle étape

Alors qu’un démantèlement était annoncé au profit de ses actionnaires venus du capitalisme français, le Groupe Lagardère sauve son intégrité en abandonnant sa commandite. Mais l’opération semble s’apparenter à un sursis.

En devenant, en mars 2020, le premier actionnaire du Groupe Lagardère devant le Qatar, le fonds britannique Amber Capital a relancé son action contre le statut de société en commandite du groupe qui permet à Arnaud Lagardère d’en piloter la destinée malgré une présence au capital limitée à 7 % et 11 % des droits de vote. Déjà, en 2018, Amber Capital avait tenté de remettre en question la commandite. En 2020, les chances d’y parvenir paraissaient plus grandes, le groupe étant fortement pénalisé par la crise sanitaire qui a mis à mal notamment son activité de travel retail (activités commerciales dans des lieux de transport comme les magasins Relay). S’ajoutaient alors les difficultés financières d’Arnaud Lagardère, endetté à hauteur de 215 millions d’euros début 2020 alors que, dans une société en commandite, le comman­dité est responsable sur ses biens personnels des dettes de la société. Le 26 mars 2020, le fonds Amber proposait plusieurs résolutions pour l’assemblée générale du groupe en mai 2020, afin notamment de remplacer huit des dix membres du conseil de surveillance du Groupe Lagardère, première étape vers un démantèlement de la commandite. Arnaud Lagardère échappera à la menace grâce à l’arrivée de Vivendi au capital du groupe pour s’opposer aux visées d’Amber (voir La rem n°54bis-55, p.54).

Sollicité par Nicolas Sarkozy, membre du conseil de surveillance du Groupe Lagardère, Vincent Bolloré, qui contrôle Vivendi, fera en sorte que ce dernier rachète très vite 26 % du capital de Lagardère. Le Qatar, actionnaire historique du Groupe Lagardère, avec 13 % des actions et 20 % des droits de vote, apportait par ailleurs son soutien à Arnaud Lagardère contre Amber. Mais Arnaud Lagardère fera ensuite appel à Bernard Arnault qui, via Financière Agache, qui contrôle LVMH et Les Echos, va acquérir 27 % du capital de la holding personnelle d’Arnaud Lagardère. En partageant sa commandite, Arnaud Lagardère a opposé Bernard Arnault à Vincent Bolloré, entraînant un revirement de Vivendi en faveur d’Amber. Le Groupe Lagardère s’est à ce moment retrouvé menacé de démantèlement par ces deux acteurs du capitalisme français, Vivendi ayant des vues sur Europe 1 et Hachette Livre quand Bernard Arnault s’intéresse à Paris Match et au Journal du Dimanche, voire aux activités de travel retail. N’appréciant guère l’opération, le Qatar l’a fait savoir, se rangeant du côté de Vivendi qui demandait la convocation d’une assemblée générale anticipée. Le 24 septembre 2020, Bernard Arnault a annoncé à son tour être entré au capital du Groupe Lagardère avec 5 % du capital.

Si l’affaire a été portée devant la justice, un accord s’est vite imposé comme nécessaire, le Groupe Lagardère devant impérativement reprendre l’initiative face à la dégradation de ses finances. En février 2021, pour la présentation de ses résultats annuels 2020, le groupe faisait part d’une chute de 38 % de son chiffre d’affaires et d’une perte de 660 millions d’euros, tout en confirmant disposer de liquidités pour faire face à la situation après l’obtention, en janvier 2021, d’un prêt garanti par l’État (PGE) de quelque 465 millions d’euros. Le bilan aurait pu être bien plus sombre sans les bonnes performances de Lagardère Publishing qui contrôle les activités d’édition d’Hachette, lesquelles ont généré 246 millions d’euros de bénéfices. Arnaud Nourry, à la tête de la division édition du groupe depuis dix-sept ans, s’opposera même dans la presse (Le Monde du 23 mars 2021) à toute perspective de démantèlement de cette pépite, un rapprochement avec Editis (Vivendi) impliquant de dissocier les acti­vités françaises des activités à l’international pour des problèmes de concurrence. Cette prise de position lui vaudra son poste, Arnaud Lagardère l’ayant démis de ses fonctions le 29 mars 2021. À cette date, la perspective du démantèlement est devenue crédible, la décision d’Arnaud Lagardère étant interprétée comme un moyen de lever l’un des obstacles pour un rappro­chement des activités internationales d’Hachette avec celles d’Editis. Et ce rapprochement peut se justifier, ne serait-ce que pour offrir à Hachette les moyens de poursuivre son développement, des moyens dont dispose Vivendi. En effet, les difficultés de Lagardère n’aident pas sa division édition qui s’est retrouvée dans l’impossibilité de surenchérir face à Bertelsmann lors de la vente de l’américain Simon & Schuster (voir La rem n°56, p.60).

Mais, contre toute attente, le scénario inverse s’est produit. Le 28 avril 2021, le Groupe Lagardère a annoncé officiellement la fin de la commandite en contrepartie de la préservation de son intégrité. C’est Nicolas Sarkozy qui aura permis une entente entre les actionnaires du groupe, les nouveaux statuts du Groupe Lagardère devant toutefois être approuvés lors d’une assemblée générale le 30 juin 2021. En échange de l’abandon de la commandite, Arnaud Lagardère double sa participation au sein de Lagardère SCA, qui passe ainsi de 7 à 14 % du capital, pour 16 % des droits de vote. Vivendi conserve 27 % du capital pour 22 % des droits de vote, devenant ainsi l’actionnaire de référence du groupe. Le fonds Amber disposera de 18 % du capital, le Qatar de 12 % et Bernard Arnault de 7 %, ce dernier laissant donc le champ libre à Vivendi. Le nouveau conseil d’administration, composé de onze membres, représentera ces équilibres nouveaux : trois membres pour Vivendi, trois pour Lagardère, un pour Amber, un pour le Qatar, un pour Bernard Arnault, ainsi que deux représentants du personnel. Le nouveau PDG du groupe n’est autre qu’Arnaud Lagardère, son mandat pouvant être révoqué à la majorité des deux tiers des votes du conseil d’administration. Autant dire que l’intégrité du groupe et son management sont préservés le temps qu’il se redresse mais que son périmètre devrait en toute logique évoluer.

Vivendi y sera actif et appuie une stratégie qui mise sur les synergies entre Hachette et Editis dans le respect des règles concurrentielles, Vivendi étant de facto présent dans le capital des deux plus grands groupes français d’édition. Quant à Bernard Arnault, son intérêt pour les médias écrits du groupe est notoire. Le Groupe Lagardère fera face assez vite à l’échéance du remboursement de son PGE mais les activités de travel retail sont très dépendantes de la reprise du trafic aérien, l’un des derniers secteurs qui devraient sortir de la crise sanitaire, ce qui retardera le retour à une meilleure situation pour le Groupe Lagardère. Des cessions sont donc très probables. Mais ces grandes manœuvres auront lieu très probablement après l’élection présidentielle en France, ce qui évite des débats, immanquablement partisans, sur la prise de contrôle d’activités médiatiques symboliques par les plus grands des acteurs du capitalisme français.

Ainsi, le Groupe Lagardère, qui n’appartient plus au CAC 40, a perdu de sa superbe et une stratégie ambitieuse sera nécessaire s’il doit retrouver le poids qui fut le sien au début des années 2000. En effet, constitué en société en commandite le 5 mai 1992, le groupe est issu de la fusion d’Hachette et de Matra, lorsque Jean-Luc Lagardère a été obligé de recapitaliser Hachette en urgence après l’échec de la chaîne La Cinq au capital de laquelle le groupe était entré en 1990. Dix ans plus tard, le nouvel ensemble est redressé et représente, en 2003, un chiffre d’affaires de 13,2 milliards d’euros grâce notamment à la presse (Hachette Filipacchi) et à la distribution (Hachette Distribution Services). À l’époque, Hachette Livres représentait encore moins d’1 milliard d’euros de chiffre d’affaires, l’internationalisation de l’activité datant du rachat de Time Warner Book en 2006. Aujourd’hui, l’activité d’édition représente plus de 50 % du chiffre d’affaires du groupe, soit 2,37 milliards d’euros en 2020, mais le chiffre d’affaires du groupe n’est plus que de 4,43 milliards d’euros. Il aura donc été divisé par trois en un peu moins de vingt ans.

Sources :

  • « En lourde perte, Lagardère limite les dégâts grâce à l’édition », Nicolas Madelaine, Les Echos, 26 février 2021.
  • « Arnaud Nourry écarté de la direction de Hachette Livre », Enguérand Renault, Le Figaro, 30 mars 2021.
  • « Arnaud Lagardère prêt à lâcher la commandite », Nicolas Madelaine, Les Echos, 26 avril 2021.
  • « Un accord entre ses grands actionnaires évite le démantèlement du groupe Lagardère », Enguérand Renault, Le Figaro, 26 avril 2021.
  • « Ultime bras de fer autour du changement de gouvernance de Lagardère », Nicolas Madelaine, Les Echos, 27 avril 2021.
  • « Arnaud Lagardère signe une paix armée avec ses actionnaires », E.R., Le Figaro, 29 avril 2021.
  • « Arnaud Lagardère acte la fin du contrôle de son groupe », Nicolas Madelaine, Les Echos, 29 avril 2021.
Professeur à Aix-Marseille Université, Institut méditerranéen des sciences de l’information et de la communication (IMSIC, Aix-Marseille Univ., Université de Toulon), École de journalisme et de communication d’Aix-Marseille (EJCAM)

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